Le gouvernement formé le 7 juillet 2016 par le président Ibrahim Boubacar Kéïta, sous la conduite du Premier ministre sortant, Modibo Keïta, est composé de 34 membres (contre 32 dans le précédent) dont huit femmes. On compte neuf rentrants. Certaines figures des mouvements armés y font leur entrée souvent contestée à la base. Ceux qui s’attendaient à un changement total dans la gouvernance du pays, attendront certainement la fin du Sommet Afrique-France prévu en janvier 2017 à Bamako.
«Le Mali touche le fond avec ce remaniement. Franchement, il faut que Ladji Bourama (Ibrahim Boubacar Kéïta) cherche de vrais conseillers» ! Ce commentaire d’une jeune consœur, Awa Sylla Magassouba, traduit le sentiment général après le supposé remaniement ministériel du 7 juillet 2016 ! En effet, le sentiment le plus partagé sur les réseaux sociaux, dans les bureaux de l’administration et dans la rue est que «la montagne a encore accouché d’une souris» ! «Si elle a même accouché», diront certains. Ceux qui souhaitent un changement radical dans la gouvernance du pays sont très déçus. «La formation du nouveau gouvernement n’a été finalement qu’un coup d’épée dans l’eau qui a confirmé l’impertinence du chef, le tâtonnement et la gouvernance par embuscade dans la conduite des affaires de l’Etat», constate K. Toé, un chroniqueur politique indépendant.
«Trois ans de pouvoir, 3 Premiers ministres et 5 remaniements ministériels. Du jamais-vu au Mali. Une gouvernance sans vision politique est une bombe à retardement», rappelle ironiquement Seydou dit Martin Diawara, leader du Parti Lumière pour l’Afrique (opposition). «Impossible de gérer un Etat dans le tâtonnement», renchérit Fousseyni Camara, un intellectuel bloggeur influent de la diaspora malienne en France. «Ma déception est totale…Les quelques départs, sans grande surprise, ne sont rien à côté des arrivées encore plus aberrantes et machiavéliques», poursuit M. Camara. Comme beaucoup d’interlocuteurs, il est d’avis que «nous sommes dans l’improvisation et le sentiment que le président n’est au courant de rien de l’état réel du pays. Pour un homme qui a passé plus de 30 ans dans tous les rouages de l’Etat, c’est à désespérer…».
Pour des observateurs, ce manque de vision se ressent dans le choix des hommes. «Depuis son élection, le constat est que l’homme (IBK) a un gros souci dans le choix des hommes. C’est ce qui explique l’instabilité des différentes équipes. Tous les ministères ont été chamboulés au moins deux ou trois fois, en moins de trois ans», rappelle M. Camara. «Ce remaniement ne rassure point, malgré la personnalité de certains nouveaux comme Me Mamadou I. Konaté, récemment nommé président du Comité chargé de la révision constitutionnelle. Pourquoi le faire changer ? Erreur de casting concernant le Comité ?» s’interroge Abdourhamane Dicko, spécialiste des questions «sécurité et développement». Une interrogation légitime pour nos interlocuteurs, d’autant plus que, rappellent-ils, «les avocats n’ont jusque-là pas réussi à ce poste». Une autre erreur de casting, soulignent des observateurs, c’est l’entrée de Nina Walett Intallou, une figure emblématique du Mnla, mais contestée au sein de la Cma qu’elle est pourtant supposée représenter à la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvjr) dont elle était la première vice-présidente. N’empêche, «la logique géographique semble respectée en ce qui concerne les régions nord», souligne M. Dicko qui préside également l’Association des ressortissants de Gabéro (Gao). Même si, comme le rappelle un observateur anonyme, «Mohamed El Moctar est chargé de Réconciliation, alors que sa légitimité est contestée et ses fréquentations jugées douteuses, tant au sein de sa communauté qu’au niveau de Bamako».
IBK déjà en campagne pour 2018 ?
La présence des «ex-mouvements» armés est plutôt bien accueillie par nos interlocuteurs. «Cette entrée est prévue dans l’accord, mais elle avait mis du temps à se réaliser… À chaque fois, la machine s’est grippée. Aujourd’hui, c’est finalement chose faite… C’est un acte de rapprochement assez important pour la sortie de la crise», souligne Papa Sow, chroniqueur politique sur Maliweb.net. Un avis partagé par de nombreux observateurs de la crise malienne. «La présence des représentants des mouvements dans le gouvernement leur permettra de comprendre beaucoup de choses dans la démarche de l’Etat et surtout de mesurer la sensibilité de certaines situations», précise M. Sow.
Pour l’ancien Premier ministre, Moussa Mara, «l’entrée des représentants des groupes armés, s’ils ne sont pas contestés par ces mêmes groupes, peut constituer un signe de progrès dans la quête de la réconciliation nationale». Malheureusement, comme souligné plus haut, la présence de Nina Walett Intallou est déjà contestée par la Cma. «Si la Cma venait à accepter son entrée au gouvernement, vous pouvez être sûr d’une chose, elle ne se serait pas contentée juste du petit département de l’Artisanat et du Tourisme», a souligné Almou Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination.
Sa présence est la plus décriée sur les réseaux sociaux, compte tenu du rôle qu’on lui attribue dans la rébellion de 2012, donc dans la déstabilisation du Mali ces dernières années. Cette entrée vient s’ajouter à d’autres mesures de «bonne foi» prises par les plus hautes autorités, comme le vote et la promulgation de la loi sur les Autorités intérimaires. Toutefois, insiste M. Mara, «il convient en ce moment d’avancer sur ces chantiers en posant des actes concrets à inscrire dans le cadre d’une politique globale lisible et cohérente». Et de rappeler que le «gouvernement est un outil de mise en œuvre d’une politique, elle-même fondée sur une vision. Il est temps que ces dernières (politique et vision) soient clairement établies, notamment sur la question lancinante du Nord, mais aussi sur d’autres questions (école, gouvernance…) pour donner un sens aux changements annoncés». «Il faut souhaiter bonne chance au gouvernement…pour espérer sortir notre pays du marasme et le mettre définitivement sur le sentier du progrès», conclut Moussa Mara.
Un optimisme mesuré que certains observateurs, comme Fousseyni Camara, ne partagent pas. «Ce gouvernement ne pourra rien changer, car le problème, c’est le président lui-même qui est déjà en campagne pour sa réélection», déplore le bloggeur engagé. Une analyse largement partagée !
Moussa BOLLY (Avec Xinhua)