Des attestations de salariés indiquent qu’en février 2012, l’usine « n’a jamais été mise en production […] de façon continue » et avait de « nombreuses pannes ». En mai, la société canadienne Bumigeme, qui a construit l’usine, se plaint par mail que « Wassoul’or a accumulé plus de 1,6 million de dollars en factures impayées », et propose un plan d’action pour atteindre la pleine production en 17 semaines… si les fonds sont débloqués.
Aliou Diallo a choisi de se séparer de Bumigeme, moyennant le paiement d’un million d’euros, et a embauché d’autres experts. Mais le 24 septembre 2012, l’un de ses financiers évoque par mail « les nombreux problèmes qui nous empêchent encore de produire de l’or en quantités dignes de pouvoir être dévoilées ». Trois jours plus tard, l’un des responsables de la mine écrit que les teneurs en or du concentré issu de la mine sont « ultra basses ».
« Nous ne pouvons pas le dire au monde extérieur car personne n’essaiera de récupérer de l’or […] avec des teneurs initiales aussi basses », s’inquiète-t-il. Le mail est daté du 27 septembre, deux jours après la cotation triomphale de Pearl au second marché de la bourse de Francfort. Contacté par Mediapart, Aliou Diallo réfute catégoriquement ces accusations (lire l’intégralité de ses réponses sous l’onglet Prolonger).
Les soupçons de détournement de fonds ? « Je n’ai pas pris l’argent de Wassoul’or pour injecter dans la politique ou autre chose. Au contraire, je prenais l’argent de mes autres projets pour faire tourner Wassoul’or », s’était-il défendu dès 2014. Les comptes de la société, qu’il nous a fournis, font état de 240 millions d’euros investis. Il ajoute avoir abandonné 142 millions d’euros de créances en 2015 dans le cadre de la procédure de sauvegarde.
Les difficultés de la mine ? Il affirme que c’est le « départ prématuré » de Bumigeme qui a créé un « problème d’opération de la carrière et de l’usine ». Il ajoute que « la faiblesse de concentration d’or était plutôt liée aux problèmes d’opération de l’usine», et pas à la teneur en minerai. Il assure enfin avoir parfaitement informé de la situation les actionnaires, dont Pearl Gold. « Il y avait des problèmes, mais je pouvais constater aussi des progrès, et les experts sur le terrain nous disaient qu’ils seraient résolus », ajoute l’ancien coprésident de Pearl, Lutz Hartmann, qui a démissionné en 2014 à la suite de gros désaccords avec Aliou Diallo, notamment sur sa gestion «trop
autoritaire, sans prise en compte des avis des experts extérieurs et de Pearl Gold ».
Sur le front judiciaire, l’homme d’affaires malien se dit confiant. «Pearl Gold a déjà initié au Mali, où Wassoul’Or a son siège social, de nombreuses procédures judiciaires qu’elle a toutes perdues. Elle vient de perdre également un procès en Allemagne», indique-t-il. Malgré cette sérénité apparente, Diallo a tout de même musclé sa défense : en plus de son avocat habituel, Éric Turcon, il a fait appel au célèbre pénaliste Pierre Haïk, défenseur de Serge Dassault et de Nicolas Sarkozy, alias Paul Bismuth.
L’affaire n’a pas non plus ébranlé son indéfectible optimisme entrepreneurial. Aliou Diallo affirme que la mine, toujours à l’arrêt depuis près de trois ans, sera pleinement opérationnelle dès la fin 2016. Il tente aussi de développer par le biais de sa seconde société, Petroma, un gisement d’hydrogène à 50 km de Bamako. Le 22 février dernier, il a eu droit à une interview dans Le Figaro pour vanter son nouveau projet. Manifestement, Diallo cherche des investisseurs pour passer à la phase industrielle. Avis aux amateurs.
Airbus Group n’a pas souhaité faire de commentaire, non plus que les trois cadres du groupe liés à l’opération malienne que nous avons identifiés et contactés. Le financier Olivier Couriol a refusé, lui aussi, de nous répondre. Aliou Diallo a pour sa part refusé de nous parler, mais a accepté de répondre à nos questions par mail (voir sous l’onglet Prolonger), à l’exception de celle portant sur la nature de ses relations avec Airbus au Mali.
À la suite de notre première demande d’entretien par mail, Aliou Diallo nous a envoyé la réponse suivante, avec copie à ses avocats : « Bonjour Monsieur Philippin, J’ai bien reçu votre e-mail ci-dessous. Je sais qu’une plainte contre X a été déposée en mars 2015 par Pearl Gold AG, auprès du Parquet financier de Paris. Je sais aussi que cette plainte a été classée sans suite mais qu’elle a été redéposée à l’identique en 2016 afin qu’elle puisse être instruite.
Pearl Gold AG a déjà initié au Mali, où Wassoul’Or SA a son siège social, de nombreuses procédures judiciaires qu’elle a toutes perdues. Elle vient de perdre également un procès en Allemagne où Pearl Gold AG a son siège social, la Cour régionale de Francfort ayant annulé le vote de confiance au président du directoire en débarquant tous les membres du conseil de surveillance.
Je constate également que le Parquet financier de Paris n’a pas cru bon de se saisir de la plainte de 2015 dont je n’ai jamais eu connaissance. J’ignore si je suis visé et je ne vois pas très bien le lien avec votre pays. Dans ces conditions et tant que je n’aurai pas connaissance de son contenu et donc pu en estimer les conséquences éventuelles, j’ai décidé de ne pas m’exprimer au sujet de ce dossier. Je suis sûr que vous me comprendrez et je vous demande de ne pas insister. Mes conseils nous lisent en copie. »
Malgré cette réponse, nous nous sommes permis d’insister en envoyant à Aliou Diallo des questions précises, auxquelles il a fait par mail les réponses suivantes : Quel a été le montant total des fonds levés, à votre initiative, via Mansa Moussa Gold Fund (MMGF) puis Pearl Gold ? En sus de ces fonds levés sur le marché, M. Diallo a-t-il injecté des fonds personnels dans la mine ? Combien d’argent a été réellement investi, au total, dans les équipements de la mine de Kodiéran ?
« Tout d’abord, avant même la création de Mansa Moussa Gold Fund en fin décembre 2004, le total du bilan de Wassoul’Or SA Fin 2004 était de 26.220.803.846 FCFA soit 39.973.357 EUR. Les fonds levés par Mansa Moussa Gold Fund de 2005 à 2009, sont d’un total d’environ 19.678.710.000 FCFA, soit environ 30.000.000 EUR. Le total du bilan de Wassoul’Or est passé de 26.220.803.846 FCFA soit 39.973.357 EUR en 2004 à 84.936.424.713 FCFA, soit environ 129.484.744 EUR
en 2009.
Cet accroissement du total du bilan de Wassoul’Or a été rendu possible par les fonds levés par Mansa Moussa Gold Fund, par l’augmentation de mon compte courant et par des financements bancaires locaux. Bien sûr que j’ai injecté des fonds personnels dans la mine. Toutes ces informations concernant les fonds personnels que j’ai injectés, l’apport de Mansa Moussa Gold Fund sont vérifiables dans les états financiers certifiés de Wassoul’Or, approuvés par le conseil d’administration et l’assemblée générale.
Dans une mine, il n y a pas que des équipements de l’usine, il y a des sondages à faire dans la carrière, des campagnes de recherche géologique et géochimique. Tous les échantillons de recherche doivent être analysés dans des laboratoires certifiés, des fois avec de multiples analyses par échantillon. Il y a également, des études de faisabilité et environnementales à faire, des aménagements de digues pour le parc à rejets, une cité minière, des centrales électriques, des équipements miniers roulants, des bâtiments administratifs, une piste d’atterrissage et une consommation élevée de carburant pour faire fonctionner l’ensemble, sans oublier le personnel local et expatrié avec les différents sous-traitants.
Le besoin en fonds de roulement est conséquent. Dans le cas de Wassoul’Or, comme nous avons voulu une mine très proche des communautés riveraines, des investissements ont également été faits pour faciliter les relations avec ces communautés. Des écoles ont été construites, des centres de soins avec salles d’accouchement. Des routes et des ponts ont été construits. Des digues de retenue d’eau ont été également aménagées pour les éleveurs.
Sans oublier les différentes campagnes de vaccination des jeunes, pendant les périodes d’épidémie de méningite. Mettre une mine en production, c’est plus que bâtir une cité. » Selon nos informations, la mine n’était pas opérationnelle en février 2012 lorsqu’elle a été inaugurée par M. Diallo et le président malien Amadou Toumani Touré. « Dans ces conditions, d’où venait l’or qui a permis de fondre un lingot pendant cette inauguration ?
La mine était bien opérationnelle. C’est le lieu de préciser qu’avant la construction de la grande usine, il y a eu d’abord la construction d’une unité pilote. C’était l’engagement de Mansa Moussa Gold Fund et de Sodinaf. À savoir, construire une usine pilote et la grande usine. L’usine pilote a été opérée plus d’une année. Nous détenons encore les registres de production de cette unité pilote. Le Minerai qui a été traité à l’usine pilote est bien celui de Kodiéran et l’or qui en a été extrait vient bien du traitement du minerai de Kodiéran.
L’or qui a donc été utilisé dans l’inauguration vient bien du traitement du minerai de la mine d’or de Kodiéran par l’unité pilote. À l’inauguration, la grande usine était bien finie. Le conseil d’administration de Wassoul’Or a d’ailleurs fait un constat de la fin des travaux de la grande usine, en adoptant une résolution sur la finition de celle-ci. L’opérateur était sur place.
C’est le commissionning qui devait continuer après l’inauguration du 25 février 2012 et qui a été malheureusement interrompu par le coup d’État du 22 mars 2012, entraînant le départ précipité de l’opérateur, qui n’a pas eu le temps de former le personnel malien, en vue de lui transférer la gestion après 3 ans comme prévu. Donc, l’usine était bien là, finie. Mais l’opérateur n’y était plus. Ce n’est pas parce qu’on a un permis de conduire qu’on peut s’improviser au volant d’une Formule 1, même si nous sommes propriétaires d’une voiture de Formule 1. »
Selon nos informations, à la mi-2012, M. Diallo disposait d’informations confidentielles issues de Wassoul’or, faisant état de nombreux problèmes liés à la mine (problèmes techniques, fournisseurs impayés, concentrations d’or trop faibles, etc.). Pourquoi ces informations n’ont-elles pas été dévoilées aux actionnaires de Pearl Gold ? « L’opérateur est parti juste après les événements de Mars 2012. Pearl Gold était bien informée de ce départ prématuré de l’opérateur. D’ailleurs, c’est le président du directoire de Pearl Gold, à l’époque Lutz Hartmann, avec le président de son conseil de surveillance Robert Goninon, qui ont négocié, pour le compte de Wassoul’Or, le contrat entérinant le départ de l’opérateur. Pearl Gold a toujours eu un représentant sur le site, à savoir Robert Goninon, qui était également un de ses représentants au conseil d’administration et à l’assemblée générale de Wassoul’Or.
Robert Goninon, en tant que président du conseil de surveillance de Pearl Gold, devait donner les informations qu’il fallait aux actionnaires de Pearl Gold. C’était dans son devoir. Wassoul’Or informe ses actionnaires et leurs représentants dans ses réunions du conseil d’administration et de l’assemblée générale. Le problème que la société a rencontré est un problème d’opération de la carrière et de l’usine.
Ce n’est pas la première fois que ce type de problèmes arrive à des sociétés minières au Mali, avant de retrouver le chemin du profit, après la fin du commissionning. C’est l’interruption du commissionning de l’usine de Wassoul’Or qui n’a pas permis de finaliser son paramétrage et de mettre en place une stratégie d’exploitation de la carrière par selective mining. La faiblesse de concentration d’or était plutôt liée aux problèmes d’opération de l’usine qu’à la qualité de l’usine.
Pearl Gold elle-même a mandaté un cabinet international pour faire l’audit de l’usine et qui a conclu que celle-ci était assez bien construite. Les problèmes d’opération de la mine n’étaient pas des problèmes cachés à Pearl Gold, qui était représentée sur le site par son président du conseil de surveillance. » En mars 2012, M. Diallo obtenait, via une augmentation de capital de PG et sans sortir un euro de cash, 5 millions d’actions PG, d’une valeur d’environ 60 millions d’euros, en échange d’une créance de livraison d’or.
Quelle est la justification de cette opération, qui semble avoir été réalisée pour le seul profit de M. Diallo ? « Pearl Gold a acquis 25 % de Wassoul’Or sans débourser un centime. La transaction consistait à me transférer des actions de Pearl Gold contre 25 % de la mine. Après que Pearl Gold ait acquit 25 % de Wassoul’Or, elle a souhaité en être aussi un des actionnaires créanciers, vu qu’en face ma société Sodinaf avait le contrôle de la mine et détenait la quasi-totalité des créances sur Wassoul’Or sous forme de droits de livraison future d’or.
Comme Pearl Gold n’avait pas d’argent pour me racheter une partie de ces droits de livraison future d’or, elle a proposé de me payer par 5 millions de ses actions. C’est en ce moment qu’un contrat entre Sodinaf et Pearl Gold a été préparé par Lutz Hartmann et signé par les deux parties.
Les actions qui m’ont été livrées contre, dans le cadre de ce contrat, ont été vendues au fur et à mesure sur le marché. Vous pouvez aller sur le site de la bourse de Francfort pour constater le rythme de vente de ces actions qu’on a continué de vendre jusqu’en début 2014 pour financer les investissements et le fonds de roulement de Wassoul’Or.
Une bonne partie de ces actions a été vendue autour d’un Euro l’action. Donc détrompez-vous ! Nous n’avons pas levé 60 millions d’Euros, par la vente de ces actions. Nous avons tout au plus levé environ 15 millions d’Euros. Ces fonds, contrairement à ce que vous insinuez, ont bien été injectés dans Wassoul’Or. Ce qui est vérifiable dans ses états financiers certifiés de 2012, 2013 et 2014 et approuvés par son conseil d’administration et son assemblée générale.
La vente de ces actions n’a pas profité à M. Diallo, mais à Wassoul’Or. » En avril 2012, Sodinaf, la société de M. Diallo, a transféré les 5 millions d’actions PG vers un compte bancaire suisse détenu par la société Martagon Investments Limited, contrôlée par M. Olivier Couriol. Quelle était la finalité de ce transfert, qui semble dépourvu de justification économique ? Que sont devenues ces actions, qui ont par la suite fait l’objet d’opérations entre les différentes sociétés de M. Couriol immatriculées dans des paradis fiscaux ? Quel usage avez-vous fait de l’argent gagné via la vente de ces titres ?
« Ces actions ont été transférées à Martagon en lui donnant un mandat pour les vendre et reverser les produits de la vente en faveur du projet minier au Mali, pour financer les activités de Wassoul’Or. Ce qui est aussi vérifiable sur les états financiers certifiés de Wassoul’Or. » Entre janvier 2012 et avril 2013, M. Diallo a été associé à l’entrée de la société EADS au capital de Pearl Gold. Quelle était la finalité de cette opération ? EADS a-t-il bien acheté, via les sociétés offshore contrôlées par M. Couriol, une partie des 5 millions de titres obtenus par M. Diallo après l’augmentation de capital de mars 2012 ?
« À ma connaissance, aucune transaction n’a été finalisée avec EADS. » Pourquoi M. Diallo n’a-t-il pas respecté son engagement de finaliser la construction de la mine de Kodiéran, engagement qu’il avait pris en échange d’une créance de livraison d’or à valoir sur la société Wassoul’or ? « Contrairement à ce que vous insinuez, la grande usine a été bien finie. Après l’inauguration, le commissionning devait continuer et a malheureusement été interrompu à cause du départ de l’opérateur suite au coup d’État de mars 2012. La finalisation des travaux de l’usine a même été constatée par le conseil d’administration de Wassoul’Or et votée par tous les administrateurs, y compris les représentants de Pearl Gold. »
Pourquoi la mine de Kodieran n’a-t-elle toujours pas redémarré, près de trois ans après l’arrêt des installations ? Où en est votre projet de relance ? « Tous les investissements nécessaires ont été faits. À la date de l’obtention du règlement préventif, soit en juillet 2015, l’effectif du personnel était 91 personnes. À cette date, l’effectif global est de 525 personnes. Tous les équipements ont été achetés et livrés et sont en train d’être montés sur le site. La mine atteindra bien ses objectifs de production en 2016.
C’est important de noter que lors du procès du règlement préventif en 2015, mes différentes sociétés et moi-même avons abandonné 93 milliards de FCFA de créances sur Wassoul’Or, soit environ 142 millions d’Euros, pour arriver à l’homologation du concordat préventif. Ces informations vérifiables vous ont été données, sur votre demande, pour vous permettre de faire un travail professionnel et éviter la diffamation. »
Nous avons ensuite demandé à Aliou Diallo s’il avait aidé Airbus Group à décrocher la vente d’hélicoptères et d’un avion militaire au Mali, mais il ne nous a pas répondu.
Source Mediapart