C’est peu de dire que nous vivons dans un monde complexe et en perpétuel mouvement où, les bouleversements stratégiques, la globalisation et l’interconnexion des situations, l’extraordinaire progrès des connaissances ainsi que des moyens de communication pèsent sur notre perception de la réalité et rendent incertain l’art de gouverner.
Ce qui nous impose un effort constant de renouvellement et de reconstruction de nos analyses afin que notre action soit toujours plus efficace, toujours plus cohérente avec nos orientations fondamentales.
La géostratégie est à la confluence de plusieurs disciplines, en particulier de la géopolitique et de la géo-économie. Elle sert à :
– Analyser les rapports de force sur le plan international dans le but de comprendre le contrôle des territoires,
– Observer et comprendre l’évolution économique du monde,
– Souder en permanence les réalités entre puissance et espace,
– Distinguer ce qui est stable, les zones d’incertitudes ou de turbulences,
– Repérer les lignes de fracture et les conflits potentiels,
– Ancrer la réflexion dans l’action en fournissant une grille d’analyse et de compréhension.
Voilà autant d’éléments qui confèrent à la géostratégie une dimension essentielle dans l’art de gouverner, en ce qu’elle fournit aux décideurs les outils leur permettant d’anticiper pour agir et assurer ainsi la continuité de leurs actes.
A la lumière de ce qui précède, l’occasion me semble opportune de dire quelques mots de la situation du Sahel considéré aujourd’hui comme une région cruciale dans la sécurité et la stabilité internationale. Nous faisons face à quatre grands défis qui renvoient à une série de problématiques et de crises imbriquées les unes dans les autres.
1. Défis internes liés à une vulnérabilité historiquement et structurellement induite par une imbrication de facteurs internes et externes :
* Extrême étendue des territoires, faible peuplement et frontières inexistantes ; d’où la faible effectivité de la souveraineté des Etats.
* Situation de post-conflit non encore stabilisée, persistance des revendications identitaires t des rivalités intercommunautaires.
* Faisceau d’indicateurs socioéconomiques négatifs.
2. Défis liés à l’explosion de la criminalité transnationale organisée, avec le trafic de drogue (selon l’ONU, environ 50 tonnes de cocaïne transitent par cet espace par an), immigration clandestine. Ce qui fait que nous sommes en face d’acteurs hybrides, qui s’appuient sur des complicités locales et qui disposent de territorialités.
3. Défis liés à l’accroissement de la menace terroriste marqué par l’enracinement du terrorisme djihadiste incarné par AQMI (capacités militaires et capacités de recrutement renforcées grâce aux ressources tirées de la collusion avec des réseaux mafieux et le paiement des rançons), la connexion avec Boko Haram.
4. Défis liés à la nature de la réponse, nécessairement globale, multidimensionnelle (sécurité, développement, gouvernance) et multinationale.
Comment cette réponse se met en œuvre ? Il s’agit :
– D’instaurer la sécurité et contenir les facteurs de désordre : premier enjeu de gouvernance (renforcement de nos capacités, adaptation de nos dispositifs pour nous permettre un engagement durable sans rupture logistique).
– De mettre en œuvre une politique de développement visant une récupération sociale du territoire par le redéploiement de la puissance publique et une offre de service de base (eau, santé, formation, économie locale – le PSPSDN constitue une une réponse institutionnelle pour garantir plus de participation, plus de responsabilité, plus d’expression des particularismes sans remise en cause du pacte républicain.
Le caractère transnational de la menace nous a conduits à considérer que la coopération régionale et internationale a un rôle central. Au préalable, il nous a fallu travailler à une convergence dans l’analyse et l’évaluation de la menace (il s’agit de notre sécurité collective) pour une mutualisation progressive des capacités et une meilleure articulation avec nos partenaires extrarégionaux.
Ainsi les pays du champ (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger) ont tenu une réunion au mois de Mai 2011 à Bamako. Nous avons mis en place le CEMOC (Comité d’état major opérationnel conjoint) et l’UFL (Unité de fusion et de liaison). Dans le prolongement de la réunion de Bamako, les pays du champ et leurs partenaires ont organisé une conférence à Alger en Septembre 2011.
Nous rentrons de Washington où nous avons rencontré les Américains pour voir concrètement l’opérationnalisation de certains engagements. En décembre prochain, nous irons à Bruxelles pour rencontrer l’Union européenne.
En décembre, nous aurons une rencontre des pays du champ élargie au Burkina Faso, au Nigéria et au Tchad. Puis il y aura une autre rencontre avec l’UMA (Union du Maghreb Arabe) notamment la Libye, le Maroc et la Tunisie.
Il existe des défis à court et longs termes à relever.
Dans le court terme, il y a à asseoir la responsabilité de chacun sur son sol national. Il y aura une articulation (complémentarité et coordination) avec nos voisins sur la base de protocoles définissant un mécanisme d’information préalable, de mise en parallèle et dévaluation post-opérationnelle.
Avec les partenaires extrarégionaux, il s’agira de trouver des arrangements techniques liés à des objectifs précis. Cela passe par le renforcement des capacités, l’appui logistique, le partage du renseignement à finalité opérationnelle (nous sommes partie intégrante de la lutte internationale contre le terrorisme).
Cette démarche est impactée par des événements imprévus survenus en Libye. Les conséquences de cette crise libyenne sont :
– La prolifération des armes,
– L’afflux d’ex-membres des forces gouvernementales.
Cela est venu perturber le cours normal de nos politiques. Mais nous réaffirmons la responsabilité de l’Etat envers tous ses fils en ce qui concerne leur réinsertion socioéconomique. Cependant l’Etat ne cèdera à aucune intimidation, n’acceptera ni instrumentalisation ni récupération de la situation et ne tolérera aucune action de subversion.
Par Soumeylou Boubèye Maïga
Le 22 Septembre 17/11/2011