La fin du ministère de l’identité nationale, un leurre ?

Mine de rien, ce remaniement touche à un symbole de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Un « marqueur » du sarkozysme, aussitôt dénoncé par l’opposition comme un « flirt »  avec les thèses du Front national. En modifiant le ministère de l’immigration et de l’identité nationale,ne s’agit-il pas d’un aveu d’échec de la part de l’Elysée, après les nombreuses polémiques comme celle autour du débat sur l’identité nationale mené par Eric Besson ?

La mutation du ministère de l’immigration intervient au moment où se produit un « virage au sommet », selon le Canard enchaîné. « La stratégie de Patrick Buisson n’a pas marché », aurait lâché Nicolas Sarkozy à des conseillers, lundi 8 novembre, selon l’hebdomadaire. Une référence au politologue et conseiller élyséen associé à l’idée d’offensive sécuritaire et de campagne ancrée à droite. « Quand on gagne 1 point sur le Front national, on en perd 4, notamment au centre », aurait ajouté le chef de l’Etat, toujours selon le Canard.

ON A ‘RIPOLINÉ’ UN MARQUEUR DU SARKOZYSME

« Après le discours de Grenoble, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy a bien augmenté auprès des sympathisants du Front national, mais cela n’a pas duré. Passée de 33 % d’opinions positives à 40 % entre juillet et août, cette cote est retombée à 30 puis 26 % en septembre et octobre, un niveau inférieur à celui de juin », explique Frédéric Dabi, directeur du département opinion de l’IFOP. Pour autant, le sondeur reste « prudent » et pense qu’il ne faut pas s’attendre à une remise en cause de la stratégie de Nicolas Sarkozy consistant à « envoyer des signes » aux électeurs de la droite de la droite : « On a simplement ‘ripoliné’ ce marqueur de l’identité nationale, qui pouvait faire mauvais genre auprès d’une partie de l’électorat. »

« Sur le plan des signes et de l’image, la suppression du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, c’est très positif », estime le député UMP Etienne Pinte, qui a combattu sa création et n’a pas voté la dernière loi sur l’immigration. Ce changement aurait-il été inspiré par François Fillon, dont il est proche? « Il ne me l’a pas dit mais je pense que c’est fort possible. Il a toujours été très réservé sur cette affaire de stigmatisation, de globalisation de la question de l’immigration », assure Etienne Pinte. Pourtant, celui qui soutient souvent des dossiers de demandes de régularisation d’étrangers s’affiche lui aussi prudent: « Je me demande qui sera mon interlocuteur au ministère. Quand Brice Hortefeux le dirigeait, j’obtenais assez peu de réponses à mes demandes. »

« UN LEURRE GROSSIER »

Le retour du portefeuille de l’immigration sous la responsabilité de Brice Hortefeux est « un leurre grossier », dénonce Patrick Lozès, du Conseil représentatif des associations noires, sur son blog. Le responsable insiste sur le fait que Brice Hortefeux a été condamné pour injure raciale. Une affaire dont le ministre attend le jugement en appel, courant décembre selon Bakchich. Tout en faisant savoir qu’un éventuel pourvoi en cassation aurait un effet suspensif (voir en édition abonnés du Monde.fr).

Au-delà des questions de personnes, la mutation du ministère de l’immigration est grave, insiste Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, opposant à sa création: « La réjouissance de la disparition du ministère de l’immigration et de l’identité nationale ne peut être que de courte durée, quand on voit que tout le secteur de l’immigration passe sous la coupe du ministère de l’intérieur. Je pense que c’était un rêve de Nicolas Sarkozy quand il occupait ce poste, de diriger l’ensemble de l’immigration, des visas aux naturalisations, auparavant rattachés aux affaires étrangères ou aux affaires sociales. La politique de l’immigration a besoin d’autres visions que celles de la police et des préfets. », défend ce spécialiste de l’histoire de l’immigration et de la nationalité.

Une vision partagée par l’historien Gérard Noiriel, qui estime qu' »on ne peut pas se réjouir car en trois années d’existence ce ministère a multiplié les mauvais coups, comme l’introduction de la notion de ‘Français d’origine étrangère’ ou la stigmatisation des étrangers indésirables même quand ils sont Français ».

PAS DE PAUSE DANS LES MESURES LIÉES À L’IMMIGRATION

Concrètement, le gouvernement va-t-il assouplir sa position sur l’immigration ? « C’est un changement de ministre, c’est tout, tranche une source à l’Elysée. L’organisation n’est pas du tout touchée. Ce sont les mêmes locaux, les mêmes services… Il n’y aura aucun changement de la politique. » Interrogé sur ce point, le conseiller en communication de l’Elysée précise que le président de la République s’expliquera sur ce thème mardi soir, à la télévision.

Il ne faut pas non plus attendre de « pause » particulière dans les mesures liées à l’immigration, estime cette source élyséenne : le ministre aura à préparer les débats parlementaires prévus en janvier pour le passage au Sénat de la loi sur l’immigration. Porté par Eric Besson, le texte comporte notamment l’extension de la déchéance de nationalité aux Français naturalisés depuis moins de dix ans condamnés pour meurtre d’agents dépositaires de l’autorité publique. Et de nombreuses mesures durcissant l’entrée et le séjour des étrangers en France.

Alexandre Piquard

Le Monde 16/11/2010