La fin des expats, l’essor des repats ?

TRIBUNE. Autant pour des entreprises européennes qu’africaines, il s’agit désormais de capitaliser sur le potentiel de la diaspora africaine pour mieux réussir en Afrique.
PAR JEAN-MICHEL HUET*, ASTRID DE BÉRAIL, MELISSA ETOKE EYAYE

Les chocs culturels et professionnels peuvent être importants pour les entreprises européennes qui souhaitent pénétrer le marché africain. Souffrant parfois du syndrome du « territoire conquis », ces mêmes entreprises, pour investir en Asie, hésiteraient moins qu’en Afrique à engager des démarches prospectives et à s’entourer de personnes du terrain pour déchiffrer leurs marchés. Or, la première raison d’échec des entreprises françaises en Afrique est la sous-estimation du coût de compréhension du marché. Ceci, couplé au renforcement de la présence de nouveaux partenaires en Afrique (Chine, Turquie…), s’est traduit pour la France par une perte de 50 % de parts de marché sur la dernière décennie. Parallèlement, le premier facteur de réussite pour les entreprises françaises est l’intégration d’un partenaire « enlocalisé » fiable.

Place au recrutement de talents locaux

Une entreprise comme Diageo, producteur anglais de liqueur (dont Guinness), a ainsi réduit sa part de managers expatriés en Afrique de 70 à 30 %. On constate que le phénomène du recours aux expatriés européens pour travailler en Afrique est en train de laisser le pas à d’autres types de recrutement : le « local content » devient la norme. Ce phénomène s’explique par la combinaison de deux tendances : d’une part, le niveau des cadres africains s’est considérablement amélioré (70 % des étudiants africains en MBA veulent se relocaliser en Afrique), d’autre part ils sont généralement moins chers que les expatriés (leur package de mobilité est souvent moins étoffé). De nombreux dispositifs sont d’ailleurs apparus pour faciliter leur impatriation (AfricTalent, Forum Elit’ de l’African Business Club, MoveMeBack, Careers in Africa, etc.).

Pour comprendre les marchés africains, les repats (abréviation de « repatriés », par opposition aux « expatriés ») sont en effet particulièrement attractifs. Ils mêlent légitimité, « intérêt personnel à l’avancement du continent », mais également intelligence émotionnelle, capacité à repérer les tendances de fond et les signaux faibles. Séniorité entre pairs, joutes verbales, plaisanteries, salutations et systèmes d’allégeances implicites, posture, non-dits, etc. sont autant de codes sociétaux qui ont toute leur place dans une relation commerciale réussie. Respecter ces codes, c’est mettre en place un climat de confiance avec ses partenaires locaux et construire une relation de long-terme.

S’adapter en interne pour tirer pleinement profit de la diaspora

La clé de l’utilisation optimale par les organisations des talents de la diaspora repose sur deux piliers : l’attention, c’est-à-dire la capacité de l’organisation à s’enrichir de compétence et de visions complémentaires, et la masse critique, c’est-à-dire le poids de ces talents aux postes de responsabilité.

Certaines entreprises ont su mettre en place de véritables mécanismes d’inclusion via notamment trois types de mesures. La première consiste en un ancrage sur le terrain. Par exemple, Orange va prochainement relocaliser toutes ses équipes travaillant sur l’Afrique à Casablanca, tandis que la Société Générale a déjà créé quatre directions régionales au Maroc, au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. La deuxième mesure est la volonté d’un véritable changement de paradigme dans les recrutements. À ce titre, CFAO, leader de la distribution et des services en Afrique est l’exemple phare de cette transition. Ne comptant que deux Africains sur dix-sept membres de son Comité exécutif (alors qu’ils représentent 80 % des effectifs), CFAO s’est lancé dans une véritable réforme de sa politique de recrutement. Enfin, des directives fortes au niveau central sont également nécessaires. Ainsi, chez l’indien Bharti ou le britannique Vodafone, les directives RH émanant du Siège incluent le fait de responsabiliser les compétences locales et d’assurer une mobilité interafricaine pour favoriser l’apprentissage en continu sur différents terrains.

Les mobilités courtes et circulaires sont effectivement une solution particulièrement attractive. Le PNUD s’est emparé de cette idée dès 1977 à travers le programme TOKTEN (Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals) mis en place dans de nombreux pays. Le Maroc de son côté a créé un programme attractif de contrats de deux ans ciblant le retour – ponctuel ou définitif – des Marocains de la diaspora. Côté privé, Unilever, avec son « Future Leader Program » ou Canal+ et son « Canal Talent Abroad » encouragent les diplômés africains d’écoles de commerce à retourner en Afrique pour des périodes déterminées.

On constate qu’en s’adaptant aux marchés et aux demandes des opérateurs privés, le rythme de la mobilité s’intensifie, laissant émerger des logiques de rotation entre Afrique et Europe. Notre conviction : l’époque qui est la nôtre favorise une mobilité accrue des personnes, des biens, des services et des capitaux, faisant des diasporas un atout majeur pour accompagner les entreprises européennes dans le développement du continent.

* Associé BearingPoint.

** Consultante senior Bearing Point.

*** Consultante senior Africa and International Bearing Point.

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