La crise économique actuelle au Liban, qui a pris de l’ampleur après 2019, met en lumière un facteur essentiel : le rôle de la diaspora libanaise. Composée de plus de 8 millions de personnes réparties à travers le monde, soit bien plus que les 4 à 5 millions de citoyens vivant au Liban, cette diaspora a longtemps été perçue comme un soutien crucial pour l’économie du pays. Toutefois, cet apport massif de fonds externes a eu des effets pervers qui ont contribué à aggraver la crise. Ce phénomène peut être assimilé au complexe hollandais, une dynamique qui a détruit les secteurs productifs du pays et accéléré l’exode des talents vers l’étranger, créant un cycle infernal de départs et de dépendance économique.
Le complexe hollandais : une comparaison adaptée au Liban Le complexe hollandais désigne la manière dont l’afflux massif de ressources naturelles dans une économie entraîne la surévaluation de la monnaie locale, rendant les secteurs productifs comme l’industrie et l’agriculture moins compétitifs. Dans le cas du Liban, ce ne sont pas des ressources naturelles qui ont provoqué ce phénomène, mais plutôt les remises de fonds et les capitaux en provenance de la diaspora.
Les remises de fonds, représentant jusqu’à 18 % du PIB libanais, ont été essentielles pour stabiliser l’économie et soutenir les familles locales, mais cet afflux massif de devises étrangères, principalement en dollars, a provoqué une surévaluation de la livre libanaise. Cela a rendu les exportations moins compétitives, tandis que les secteurs comme l’agriculture et l’industrie se sont effondrés. Le Liban est ainsi devenu excessivement dépendant des importations, une situation typique des économies touchées par la malédiction des ressources.
Destruction des secteurs productifs et exode des talents
La surévaluation de la livre libanaise et la destruction des secteurs productifs ont entraîné un appauvrissement des opportunités locales. Les industries exportatrices et l’agriculture, autrefois des moteurs économiques, ont été négligées au profit d’une économie axée sur la rente et les importations. Ce déclin a provoqué un exode massif des compétences. Les jeunes talents, diplômés et qualifiés, n’ont trouvé que peu d’opportunités au Liban, et ont cherché à s’établir à l’étranger.
L’absence de perspectives d’emploi pour ces jeunes a contribué à l’intensification de l’exode des cerveaux, et la diaspora libanaise s’est renforcée en nombre, alimentant ainsi le cycle de dépendance. Avec chaque nouvelle vague de départs, les remises de fonds augmentaient, permettant au gouvernement de maintenir un modèle économique non viable à court terme, tout en affaiblissant les bases mêmes de l’économie locale.
Le rôle ambigu de la diaspora
Bien que la diaspora ait été cruciale pour maintenir l’économie libanaise à flot, son influence a parfois eu des effets destructeurs. Les flux de capitaux envoyés par les expatriés, souvent attirés par les taux d’intérêt exorbitants proposés par les banques libanaises, ont contribué à nourrir un secteur bancaire défaillant. Ce modèle a conduit à une spirale d’endettement insoutenable et à l’effondrement du secteur financier en 2019.
En outre, en votant dans les élections libanaises depuis 2008, la diaspora a gagné un poids politique considérable. Cependant, ses intérêts sont parfois perçus comme déconnectés des réalités locales, ce qui complique les réformes économiques nécessaires au pays.
Un cycle infernal alimenté par l’exode et la dépendance
Ce cycle a provoqué une double dynamique destructrice : d’un côté, la destruction des secteurs productifs pousse de plus en plus de Libanais à quitter le pays, et de l’autre, cet exode renforce la dépendance économique du Liban vis-à-vis des remises de fonds et des capitaux externes. Ce phénomène rappelle la malédiction des ressources, où l’abondance de devises étrangères devient un frein au développement des capacités locales.
Alors que les talents partent à l’étranger, le Liban perd des compétences précieuses qui auraient pu aider à revitaliser l’économie. Le pays reste ainsi coincé dans un modèle de dépendance aux importations et à l’aide externe, sans capacité à redresser ses propres secteurs productifs.
La nécessité d’une nouvelle stratégie pour la diaspora
Pour sortir de ce cycle infernal, le Liban doit non seulement diversifier son économie, mais aussi mieux canaliser les ressources de sa diaspora. Les remises de fonds pourraient être redirigées vers des investissements productifs dans des secteurs comme l’agriculture, les technologies, et les énergies renouvelables. Les talents expatriés pourraient également être incités à revenir et à contribuer à la reconstruction du pays, en créant des opportunités d’emploi locales.
Cela nécessiterait cependant un cadre économique plus stable, fondé sur la transparence et la confiance. Les réformes politiques sont essentielles pour rétablir la confiance des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou expatriés.
Conclusion
La diaspora libanaise, bien qu’un pilier économique essentiel, a contribué à exacerber la crise économique du pays en renforçant un modèle de dépendance et en détruisant les secteurs productifs par le biais d’effets similaires au complexe hollandais. Le cycle d’exode des compétences et de dépendance aux remises de fonds a plongé le pays dans une spirale destructrice. Pour briser ce cycle, il est crucial que le Liban trouve des moyens de retenir ses talents et d’encourager des investissements productifs de sa diaspora, tout en menant les réformes nécessaires pour stabiliser l’économie et réduire la dépendance aux capitaux externes.
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