Cinq jours de bataille juridique.
Tout a commencé le lendemain du scrutin lorsque le candidat de LMP (La majorité présidentielle), le chef de l’Etat sortant Laurent Gbagbo, a exprimé son intention de faire invalider des résultats du vote dans plusieurs régions du Nord.
Trois jours durant, la CEI (Commission électorale indépendante) tentera en vain de trouver un consensus pour proclamer les résultats provisoires de l’élection présidentielle. Au dernier de ces trois jours de délai légal, La majorité présidentielle déposera réclamation devant le Conseil constitutionnel afin d’obtenir l’annulation de votes par elle jugés frauduleux dans ces régions du Nord, tenues par l’ex-rébellion des Forces Nouvelles depuis 8 ans.
Présidé par Paul Yao N’Dré, qui est un proche de Laurent Gbagbo, le Conseil constitutionnel annoncera alors sa saisine de plein droit et la forclusion de la CEI dont le président, Youssouf Bakayoko, à la surprise générale, annoncera la victoire d’Alassane Ouattara avec 54,1% des voix.
Le Conseil constitutionnel passera alors à la vitesse supérieure : il invalidera d’abord la proclamation des résultats par le président de la CEI puis il entrera en délibération dans le seul cadre de sa saisine par le candidat Gbagbo. Il accédera en partie aux requêtes du chef de l’Etat en annulant les résultats de 7 départements du Nord où Laurent Gbagbo dénonçait des « irrégularités graves et nombreuses de nature à empêcher la sincérité.
et la régularité des résultats du vote, telles que bourrages d’urnes, empêchements de vote, ou encore votes contraints en faveur d’Alassane Ouattara sous la menace des armes ».
Le candidat Ouattara n’ayant pas déposé de recours, le Conseil constitutionnel n’avait donc plus qu’à retrancher les votes par lui annulés pour proclamer des résultats définitifs donnant la victoire au candidat Gbagbo avec 51,45% des voix.
L’ONU reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara
Un Ivoirien rencontré à Abidjan disait, ce vendredi soir, « on a deux présidents ».
Et dans cette bataille de légitimité, la communauté internationale par la voix du représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire a fait un choix, celui d’Alassane Ouattara. Yong Jin Choi l’a dit ce vendredi soir. A son avis, les résultats annoncés quelques minutes plus tôt par le Conseil constitutionnel ne correspondent pas aux faits. Et il va plus loin : « En tant que certificateur, j’ai vérifié tous les procès verbaux, qui sont le matériel de base. Il y en a plus de 20 000. Il nous a fallu trois jours. J’ai mis des centaines de personnes pour les vérifier un par un. Je suis arrivé à la conclusion absolue que c’est monsieur Alassane Ouattara qui a gagné.» Et il ajoute: « Même si toutes les réclamations déposées par monsieur Gbagbo étaient prises en compte, le résultat proclamé hier par la Commission électorale indépendante ne changerait pas, ce qui confirme que le candidat Alassane Ouattara est vainqueur de l’élection présidentielle ».
De fait, le fond du problème est le vote dans le nord du pays. Le camp présidentiel estime que tout a été faussé par une fraude massive. L’opposition rétorque que cette fraude est pure invention.
Dès lundi, le chef de l’Onuci, Yong Jin Choi, avait estimé que le vote s’était passé de façon globalement démocratique sur l’ensemble du territoire national. Ce vendredi soir, il était donc logique qu’il récuse l’annulation par le Conseil constitutionnel de tous les procès verbaux de vote dans sept départements du nord et qu’il certifie les résultats provisoires proclamés hier par la Commission électorale indépendante.
Tout aussi logiquement, en début de soirée, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, a officiellement reconnu la victoire d’Alassane Ouattara, suivi par l’Union européenne. Fort de ces soutiens, en début de soirée, Alassane Ouattara s’est clairement déclaré vainqueur.
Alassane Ouattara
Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies vient de certifier les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante qui me donne vainqueur de l’élection présidentielle, je suis donc le président élu de la République de Côte d’Ivoire.
Dans le camp présidentiel, on maintient en revanche, ce vendredi, que la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel est légitime.
Pascal Affi N’guessan
Président du FPI et porte-parole du candidat Gbagbo
A partir du moment où le Conseil constitutionnel est l’instance habilitée à proclamer les résultats, je ne vois pas où est le coup d’Etat. Le coup d’Etat, c’est quand une institution non qualifiée outrepasse ses compétentes pour exercer une responsabilité ou une charge qui ne lui revient pas. Le Conseil constitutionnel est l’organe compétent et il a fondé sa décision sur des faits, sur une analyse, sur le droit.
En outre, ce vendredi soir à la télévision nationale (RTI), Alcide Djédjé, proche conseiller de Laurent Gbagbo, a menacé de demander « le départ immédiat » du représentant de l’ONU.
L’ambiance à Abidjan
Etant donnée l’évolution rapide de la situation et les jugements divergents entre le Conseil constitutionnel et l’Onuci (l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire), c’est essentiellement la confusion et l’anxiété qui dominent ce soir à Abidjan. « Je suis fatiguée, je ne comprends rien », expliquait, en début de soirée, à un confrère journaliste, une femme ayant voté Laurent Gbagbo.
En fait, en milieu d’après-midi, la capitale économique ivoirienne s’est subitement vidée de sa population et les véhicules cherchaient quasiment tous à trouver un abri sûr. A Cocody comme à Yopougon, où selon un témoin sur place il y avait en fin d’après-midi un important déploiement des forces de l’ordre, et où l’on a entendu des cris de joie des supporteurs de Laurent Gbagbo. Par ailleurs à Koumassi, il y a eu des pneus incendiés par des jeunes favorables à Alassane Ouattara.
Mais en début de soirée ce vendredi, la situation semblait s’être calmée. Après l’annonce du verdict du Conseil constitutionnel à Adjamé, une commune populaire majoritairement pro Ouattara, des témoins sur place indiquent qu’il y a eu des manifestations, des boutiques cassées, des barrages ont été érigés mais lorsque les forces de l’ordre sont arrivées sur place, la foule s’est dispersée.
A signaler également que les blindés des Nations unies et des gendarmes français se sont déployés sur le grand boulevard Giscard-d’Estaing qui part du pont de-Gaulle en direction de l’aéroport.
Ce vendredi soir en fait, personne ne sait exactement où va la Côte d’Ivoire et, dans la majeure partie de la population, un sentiment prédomine : c’est l’anxiété de voir le pays basculer dans la violence.
RFI 04/11/2010