La classe politique est totalement compartimentée et classée en patriotes, apatrides ou aigris, selon que l’on soutienne ou non la majorité présidentielle. La motion de censure présentée par l’opposition a été le signe révélateur d’un tel comportement chez les tenants du pouvoir chez lesquels une vision réductrice de la nation tient lieu de discours de réconciliation. La violence verbale s’est installée dans le style de la gouvernance en cours. La jeunesse qui, au lendemain des élections présidentielles de 2013, pouvait presque toucher des mains l’espoir d’un Mali uni, démocratique et prospère, n’a plus que ses yeux pour pleurer. Toutes les nominations de jeunes ont un lien avec l’appartenance à la famille ou au clan du Président. L’octroi des marchés publics suit les mêmes sillons sociaux.
La lutte contre la corruption promise dans la campagne est, par moments, devenue une stratégie d’intimidation des adversaires politiques avant d’être remisée dans les tiroirs. La fonction d’opération cosmétique de celle-ci vis-à-vis de l’extérieur ayant disparu, faute de crédibilité auprès de nos partenaires après les scandales de l’avion présidentiel et des équipements militaires. Jamais la gouvernance financière du Mali n’a été aussi opaque. L’utilisation abusive de l’article 8 du code des marchés publics témoignait de la volonté d’enrichissement personnel de certains acteurs-clé du régime. Le regard de l’extérieur sur un pays conditionne les investissements et les possibilités de soutien de toutes sortes. Le Mali sous IBK n’offre comme image à nos partenaires que les scandales financiers et les ordures domestiques. Ce qui impacte lourdement les capacités de mobilisation de fonds pour le pays. Le résultat de cette façon de gérer conduit à une grave menace sur l’ensemble national.
Sécurité collective hypothéquée
Le sentiment d’abandon chez une partie des populations va en grandissant, le Président Ibrahim Boubacar Kéita a quitté Bamako le 20 janvier 2015, date symbole pour notre armée s’il en fut, pour une marche de soutien à la liberté d’expression en France, dit-on. Le 26 Janvier, on tire sur un Officier Général en plein Bamako; le 27 janvier, la ville de Gao s’enflamme au cours d’une marche de protestation: le président, imperturbable continue son séjour à l’extérieur. Celui qui a publiquement dit qu’il n’a pas peur d’affronter le peuple malien confirme son optique de ne jamais rendre compte.
Ce qui est caractéristique de la présidence actuelle, c’est aussi son incapacité à la compassion avec les Maliens quand ils sont victimes de la nature ou des groupes armés et terroristes. Par exemple, à peine élu, il y eut des inondations à Bamako. Devant ce sinistre, le président a préféré faire le tour des chefs d’Etat qui ont financé sa campagne que de rendre visite aux sinistrés. Des voix s’étaient élevées à l’époque pour attirer son attention: ce fut peine perdue. Il y eut les noyades de Mopti avec plus de 80 victimes, les incendies des marchés de Bamako. Le mouvement informel « Je suis Nampala » lui reproche les mêmes faits: depuis les attaques de Nampala, Djoura et Tenenkou, Douékéré, Goundam etc., le président n’a pas pu compatir à la douleur et à la détresse de ses compatriotes.
Qu’est ce qui explique ce manque de compassion d’un président devant la détresse de son peuple ? Nul ne le sait, mais le constat est que de toute l’histoire politique du Mali indépendant, aucun président n’a été aussi distant, en si peu de temps, de son peuple. Faut-il le rappeler, plus que les triomphes personnels ou collectifs, ce sont les deuils qui ont ressoudé cette nation ! Il nous souvient l’événement tragique de la mort, le 23 septembre 2006, des jeunes du « Mouvement citoyen », lorsque tous réunis au stade Mamadou Konaté, des membres du RPM et nous même, nous tenant par les mains, avions toutes les difficultés du monde à cacher les larmes qui coulaient sur nos joues.
Il en fut de même pour la mort accidentelle, le 30 septembre 2006, des lycéens de retour de vacances de Gao. Dans ces deux cas, l’Etat avait su mettre l’émotion du peuple au bénéfice de l’unité nationale. L’organisation d’un deuil national pour des circonstances comme Nampala ou Gao nous aurait permis de faire partager la douleur des victimes à l’ensemble du pays; en même temps qu’elle nous aurait permis de tirer des épreuves un renforcement de l’unité nationale qui se délite de jour en jour depuis la crise institutionnelle et sécuritaire. Si le président IBK a pu aller aider la France à le faire chez elle, qu’est ce qui l’empêche de le faire chez lui, au Mali ? Mystère !
Aujourd’hui, les mauvais calculs nous mènent à la dérive. Ils ont permis de renforcer la rébellion touareg et créer les conditions favorables à une partition de fait du pays. La visite inopportune de Moussa Mara à Kidal n’a semé que désolation. Il en est résulté une absence totale de l’Etat à Kidal et le reflux de l’Administration malienne dans toutes les régions du nord. Le Mali a perdu tous ses acquis administratifs, politiques et militaires dans les régions du Nord à la veille de négociations que tout le monde prévoyait cruciales pour notre avenir commun. Aucun hommage national n’a été rendu aux victimes. Pire, cette visite a condamné notre armée à l’errance ou au cantonnement sur son propre territoire. La sécurité du Mali est sous-traitée à des échelons divers dont le plus visible semble être celui tenu par des groupes armés d’autodéfense. Enfin, les ressources de l’armée ont servi à enrichir des cercles mafieux sans qu’aucune sanction crédible ne soit en vue.
Pendant ce temps, le Président et son gouvernement ont de l’aversion pour tout débat national en vue de renforcer la cohésion nationale avant que d’aller négocier avec les groupes qu’ils ont contribué à consolider par leurs maladresses. Pourtant, un débat national aurait eu la vertu de donner aux négociateurs du gouvernement plus de poids, de légitimité et même de certitude d’avoir un consensus national minimal, pour certains points qui font l’objet des discussions. C’est un gouvernement affaibli, acculé à l’intérieur comme à l’extérieur, qui quitte Bamako pour les négociations qui engagent l’unité de la nation.
Devant ce tableau angoissant, plutôt que de poser les véritables jalons d’une réconciliation nationale, le président Ibrahim Boubacar Kéita s’enferme dans une quête effrénée de revanche sur ses adversaires politiques. Le pouvoir s’épuise dans des arguments périphériques où aucune question de fond n’est abordée. Plutôt que de répondre aux arguments politiques avancés par les partis de l’opposition, le pouvoir a toujours préféré s’engluer dans les invectives, les attaques personnelles et les menaces. Notre pays est dans la déprime pendant que le pouvoir tourne à vide.
Source: Le Républicain-Mali 2015-02-09 21:02:50