C’est un procès inédit qui doit s’ouvrir ce lundi devant la Cour pénale internationale (CPI) : un jihadiste malien présumé a prévu de plaider coupable de la destruction de mausolées classés au Patrimoine mondial de l’humanité à Tombouctou.
Les experts espèrent que le procès délivrera un message fort contre la destruction de biens culturels, alors que 55 sites sont officiellement classés « en danger » à travers le monde.
Sur cette triste liste se trouvent notamment la vallée de Bamiyan (Afghanistan), dont les bouddhas avaient été détruits en 2001 par les talibans, et la cité antique de Palmyre (Syrie), partiellement détruite et pillée par les jihadistes de l’organisation Etat islamique (EI).
Des dunes du Sahara à celles de la mer du Nord, au pied desquelles se dresse la CPI, le Touareg Ahmad Al Faqi Al Mahdi est accusé d’avoir « dirigé intentionnellement des attaques » contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
Il devrait être la première personne à reconnaître sa culpabilité dans l’histoire de la Cour et est le premier accusé à répondre de crimes de guerre pour destruction de patrimoine culturel.
Cet acte est « devenu une tactique de guerre pour disséminer la peur et la haine », a écrit récemment la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, dans le magazine en ligne International Criminal Justice Today.
Ces attaques ont pour but de « réduire en lambeaux le tissu même de la société », a-t-elle ajouté, soulignant qu’il est « essentiel » que ces crimes ne restent pas impunis.
Plus que des pierres
Ahmad Al Faqi Al Mahdi est le premier jihadiste présumé à comparaître devant la justice internationale et le premier à répondre de crimes commis pendant le conflit malien.
L’accusation affirme que cet homme aux petites lunettes, né vers 1975, était un membre d’Ançar Eddine, qui fait partie des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda qui ont contrôlé le Nord du Mali pendant environ dix mois en 2012, avant d’être en grande partie chassés par une intervention internationale déclenchée en janvier 2013.
En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des mœurs, il aurait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées, détruits à coups de pioche, de houe et de burin. Le site a depuis été reconstruit mais pour la procureure Fatou Bensouda, l’enjeu des procédures « va plus loin que des pierres et des murs ».
Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de « Cité des 333 saints » qui, selon des experts maliens de l’islam, sont considérés comme les protecteurs de la ville, susceptibles d’être sollicités pour des mariages, pour implorer la pluie ou lutter contre la disette…
Ce sont ces rites, contraires à leur vision rigoriste de l’islam, que les jihadistes ont tenté d’éradiquer, avant d’en venir à la destruction des mausolées, selon l’accusation.
Les attaques avaient pour cibles « la dignité et l’identité de populations entières ainsi que leurs racines religieuses et historiques », assure Fatou Bensouda.
Fondée à partir du Ve siècle par des tribus touareg, tirant sa prospérité du commerce caravanier, Tombouctou est devenue un grand centre intellectuel de l’islam et a connu son apogée au XVe siècle.
L’accusé veut plaider coupable, car il est, assure son avocat Mohamed Aouini, « un musulman qui croit en la justice ». Il veut également « demander pardon aux habitants de Tombouctou et au peuple malien ».
Gommer le passé
Tout en se félicitant de la tenue de ce procès pour destruction de patrimoine culturel, des ONG ont regretté l’absence d’autres chefs d’accusation, notamment pour les violences sexuelles perpétrées au cours du conflit dans le Nord du Mali.
En outre, même si la liste des sites en danger ne cesse de s’allonger, d’autres poursuites ne seront pas évidentes. Ni l’Irak, ni la Syrie n’ont signé le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI : sans décision de l’ONU, aucune enquête n’est possible.
Pour l’archéologue Christopher Jones, qui a catalogué des dizaines d’attaques de ce type de l’EI sur son blog « Les portes de Nineveh », les jihadistes ne veulent pas seulement effacer une culture.
« En détruisant une mosquée chiite, vous effacez un système alternatif de croyances », a-t-il expliqué à l’AFP. « Vous déconnectez les peuples des éléments qui les lient » à leurs villes, pour qu’ils n’aient « plus de passé ».
Avec AFP