Dès lors au sommet de la gloire, Mobutu tonne : « Le mobutisme, c’est quoi au juste ? C’est l’enseignement, la pensée et l’action du Président fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution ! » L’heure de la dictature vient ainsi de sonner. Le mathématicien congolais, pardon, zaïrois, Aubert Mukendi commente : « A partir de ce moment-là, toutes les forces qui avaient tendance à s’agiter ou à essayer de réclamer contre le pouvoir étaient matées. Mobutu était le seul maître après Dieu, l’unique propriétaire du pays, de ses richesses et même de la vie des gens qui vivaient dans le pays. C’était la dictature à l’état pur ».
L’air de la dictature
La rhétorique officielle donne le ton de l’ivresse. Plus besoin de saint ni de christianisme ! Le Christ (PSL) était le prophète des Juifs ; Mobutu sera le « prophète » des Zaïrois. Mais les populations se lassent de chanter et danser en longueur de journée pour un seul homme, fut-il un « prophète ». Et ventre affamé n’ayant point d’oreille, le peuple commence à dénoncer le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) qui devient du coup le « Mouvement des pourris de la république ».
En juin 1969, à l’université de Kinshasa, Mobutu est publiquement bravé. L’épreuve de force est engagée. Les militaires tirent à bout portant et emportent les cadavres. Personne ne connaîtra le nombre de morts, ni où et comment ces étudiants sont enterrés. Les leaders de la contestation passent en jugement, et deux d’entre eux sont condamnés à la prison à perpétuité. En juin 1971, Mobutu fait fermer l’université et incorpore ses 2 000 étudiants dans l’Armée. Les nouvelles recrues apprennent à défiler, à ramper, à obéir et à se taire.
Après l’université, c’est au tour de l’Eglise d’émettre des réserves et de critiquer le parti Etat et son Président fondateur. Mais Mobutu s’insurge : « Il n’est pas question que l’Eglise se mêle de mes affaires ! On ne peut pas mélanger les deux choses. Le Christ lui-même était formel : à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César ! ».
En mars 1978, à Kinshasa, 13 officiers sont exécutés à l’issue d’un procès martial. « S’il y a une chose qui marchait au Zaïre de Mobutu, sur le plan intérieur, c’était bien les services de sécurité. C’était une machine parfaitement huilée et rodée qui tenait les gens », assure Nimy Mayikida, chef de la Sécurité de l’époque. Et pour le prouver, Mobutu vocifère : « Toute protestation sera réprimée sans pitié ! ».
Sur ce sujet, l’ancien pilote d’hélicoptère, Pierre Yambuya, témoigne : « Les prisonniers assassinés étaient largués dans le fleuve Congo. Comme ce fleuve était la frontière avec l’autre Congo (le Congo Brazzaville : NDLR), les gens qui voyaient les hélicoptères survoler le fleuve croyaient à une surveillance nocturne ; mais ce n’était pas le cas…J’ai effectué plusieurs missions secrètes de ce genre, au temps du régime de Mobutu. Après le largage nocturne dans le fleuve, les gardes de corps et agents des services de sécurité nettoyaient les bâches ensanglantées qui contenaient les corps, afin de faire disparaître toute trace ».
Le ministre de l’Information de l’époque, Sakombi Inongo, savait tout cela, mais… « Nous ne pouvions pas parler, au risque de mourir, parce que Mobutu assassinait aussi facilement qu’on écrase un insecte. Or nous avions besoin de survivre », se justifie-t-il. Un certain Henri De Machiavel disait : « A la question de savoir s’il vaut mieux être aimé que criant, je dis que si l’une des deux doit manquer, il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ».
Sur ce plan, l’ancien Intendant de Mobutu, le Colonel De Tennbassche, précise : « Il (Mobutu) avait un côté machiavélique. Un jour, son Conseiller militaire lui avait offert un livre du prince De Machiavel où on avait noté comme dédicace : « On se demandera toujours qui a été l’élève de qui ». Entendez, entre Henri De Machiavel et Mobutu. Ce dernier aimait beaucoup ce livre : il le connaissait même…par cœur !
Mobutu et les femmes
« Je suis né d’un père cuisinier de missionnaires catholiques, dans l’Equateur. Ma jeunesse a été plus ou moins orageuses parce que j’étais d’origine modeste », confie Mobutu. Et l’ambassadeur de Belgique au Congo de l’époque, Alfred Cohen, le confirme : « Il éprouvait un immense respect pour sa mère, Mama Yélou, une vieille femme très sage et très simple qui exerçait sur lui une influence positive, stabilisatrice et modératrice ».
L’ancien chef de la CIA au Congo, Larry Devlin, se souvient de la première femme de Mobutu : « Marie Antoinette, dite Mama Mobutu, et Mobutu se sont mariés à l’âge de 14 ans pour l’une et 16 ans pour l’autre. Si Mobutu faisait quelque chose qui lui déplaisait, elle le lui crachait sans ambiguïté ».
Quelques jours avant l’arrivée du Pape Jean-Paul II à Kinshasa, Mobutu se marie avec son ancienne maîtresse, une institutrice du nom de Lobi Ladawa avec laquelle il a déjà eu quatre enfants. Le dramaturge congolais, Lye Mudaba Yoka, en parle : « Cette deuxième femme était en réalité sa concubine, le « deuxième bureau », comme on dit ici. Toute sa vie, cette femme s’est comportée en maîtresse. Ce qui est intéressant, c’est que sa petite sœur jumelle, Kossi, est également devenue la femme de Mobutu ».
Le beau fils de Mobutu lui-même, Pierre Jansen, n’en revenait pas : « J’étais très étonné. Comment des jumelles peuvent partager le même amour. Ca me dépassait, mais j’ai toujours vu ça sur le plan de la tradition africaine. Et j’ai vu qu’elles s’organisaient très bien, qu’elles partageaient les choses équitablement. Que ce soit à table, en voyage officieux ou officiel, lors des cérémonies…, partout elles étaient toujours ensemble ». Et le dramaturge Lye Mudaba Yoka, d’ajouter : « Ses rapports avec les femmes étaient intimement complices. Il a passé toute sa vie à rechercher, de manière presque forcée, je dirais même de manière orgiaque, la présence des femmes ».
L’ancien ministre de l’Information, Sakombi Inongo, en sait quelque chose, qui témoigne à son tour : « Mobutu aimait les femmes, un peu comme tout le monde. Mais lui, il allait plus loin : il a pratiquement couché avec toutes les femmes de ses collaborateur ! Moi-même, quand j’étais ambassadeur à Paris, il a fait une cour incroyable à ma femme. Nous étions au restaurant. Et il s’arrangeait toujours pour que mon épouse soit près de lui. Il la prenait et…Moi, je voyais, mais je faisais semblant de ne rien voir. C’était gênant ! Vous savez, un homme qui sait que son épouse a couché avec le Chef est totalement diminué. Mobutu le faisait-il pour se renseigner sur ses collaborateurs ou pour asseoir tout simplement son pouvoir ? Tout est possible, surtout qu’il voulait tout savoir ».
Dès lors, Mobutu va de dérives en arbitraires. Aussi, l’ancien ambassadeur belge au Congo, Albert Cohen, de conclure : « C’est au moment où Mobutu est justement sur sa lancée de grandeur de plus en plus affirmée et d’idées de plus en plus autoritaires que les choses devinrent de plus en plus difficiles et que l’Etat sera de moins en moins géré. Il va ainsi s’engager dans de mauvaises décisions ». (A suivre)
Par Oumar Diawara « Le Viator »
Le Coq 08/11/2010