Le discours du Président Amadou Toumani Touré, mercredi soir, avait pour objectif d’atténuer la colère des manifestants, de ce point de vue il se voulait rassurant et apaisant. Il a eu pour effet d’exacerber l’indignation. Bamako était en feu ce jeudi, du monument de l’indépendance à celui du Mali symbolisé par l’hippopotame mythique, les manifestants se sont rendu maîtres de la ville. C’est tout le boulevard de l’indépendance que prolongeaient le marché Dibida et la place de la liberté qui était concernés par les barricades et les pneus enflammés à même le bitume. Une fumée noirâtre, en grosses bulles, s’échappait et enveloppait des groupes de manifestants armés de cailloux.
Circuler à Bamako ce jeudi, au plus fort de la manif, était quasi impossible. Les manifestants ont convergé, en fin de matinée, aux abords du musée national, sur le chemin de Koulouba, où le départ a été pris : direction, le palais présidentiel, à quelques encablures. De l’autre côté de la colline, venant de Kati, les manifestants animés de la même volonté de se faire entendre, en particulier par le président de la République en personne, sont arrivés à Koulouba après plus de 10 kilomètres de marche.
Aux portes du palais, les épouses des militaires vont franchir toutes les barrières. Mardi dernier, elles avaient été empêchées d’arriver jusque là, mais ce jeudi, il n’y a pas eu de résistance de la part des forces de l’ordre, du reste, devant leur détermination, aucune force n’aurait pu les arrêter. Elles s’engouffrent dans le saint des saints. Elles en en avaient trop sur le cœur. Ces manifestants, ce sont d’abord et avant tout des épouses, des enfants, des frères et sœurs des militaires envoyés combattre au front et dont ils n’ont pas de nouvelles. Ils n’auront donc de répit que lorsqu’ils seront fixés sur le sort de leurs parents.Officiellement.
Quel répit peuvent-ils avoir lorsqu’à l’heure des nouvelles technologies, les nouvelles qui leur parviennent d’Aguel’hoc, de Menaka, de Tessalit, ou d’Anderamboukane ne disent qu’horreur, abomination et abandon. Et surtout lorsqu’ils apprennent que ces, pourtant vaillants et braves, soldats maliens ne sont pas assez équipés pour faire face à un ennemi surarmé, équipé d’engins de guerre de dernière génération.
Certains d’entre eux , revenus de la Libye n’avaient-ils pas en outre affirmé à leur arrivée au Mali qu’ils ne connaissent que le métier des armes, pour ne pas dire le langage des armes.
Les manifestations de Bamako, de Ségou s’indignaient du fait que les militaires partis défendre la patrie, l’intégrité du territoire et la sécurité des populations se soient retrouvés sans munitions.
Selon une des femmes reçues au palais par le Président ATT, « les soldats sur le terrain ne sont pas suffisamment armés et ne reçoivent pas l’ordre de tirer …C’est choquant et nous ne somme pas d’accords », a-t-elle confié à RFI. Devant cette situation elle a recommandé que l’on fasse la lumière sur ce qui s’est passé au front et que l’information soit donnée à temps. Il est aussi temps faire la lumière sur ce phénomène de bandits armés, a-t-elle soutenu.
Compte tenu de ce déséquilibre des rapports de force sur le terrain, de nombreux militaires maliens se sont refugiés au Niger et en Algérie, avant d’être évacués sur Bamako par avion. Dès lors on est à même de s’expliquer les raisons des manifestations qui ont timidement commencé le lundi et qui, de jour en jour, ont pris de l’ampleur. Pour les femmes, il fallait qu’elles prennent leur responsabilité historique car « les hommes ont peur », de dire même tout bas ce que ces femmes viennent exprimer tout haut devant le Président ATT.
Quand ATT déclarait dans sa dernière adresse la Nation avant-hier « C’est le lieu de réaffirmer notre soutien indéfectible aux Forces Armées et de Sécurité pour leur engagement sur le terrain. L’Etat mobilisera tous les moyens aux plans de l’équipement, de la logistique et de l’entretien pour leur permettre d’accomplir efficacement leur mission de préservation de l’intégrité territoriale et de protection des personnes et de leurs biens », Les manifestants semblent lui rétorquer qu’ils n’en sont plus au discours, mais aux actes.
Si des édifices publics ont été épargnés à Bamako, tel n’a pas été le cas à Kati et Ségou. D’autres manifestations sont annoncées pour vendredi tout comme une nouvelle rencontre des femmes avec ATT.
La mesure de réaménagement technique gouvernemental d’hier soir, où les ministres de la sécurité intérieure et de la Protection civile et celui de la défense et des anciens combattants ont permuté permettra-t-elle d’apaiser les esprits ? Quel décryptage d’un changement? L’arrivée du Général Sadio Gassama, pour prendre en main la question de sécurité au nord, au moment où la rébellion sévit traduit-elle la volonté des autorités de mener une vraie guerre contre toutes les menaces qui prennent en otage le septentrion, Les jours à venir nous édifieront !
B. Daou
Le Républicain Mali 03/02/2012