Hamadoun Kassogué, comédien et dramaturge Éminent homme de théâtre, entré au cinéma par effraction, la vie d’Hamadoun Kassogué est tout une histoire.
En cette période de grande difficulté pour la jeunesse africaine, notamment malienne, la vie de ce grand comédien, doublé d’un acteur au talent exceptionnel, est toute une école. Enseignant, cultivateur, manœuvre sur des chantiers, commerçant et videur de latrines, Hamadoun Kassogué, venu de son Kendié natal, situé dans le cercle de Bandiagara, a tout essayé avant de trouver sa voix dans le théâtre, puis le cinéma.
De tous les artistes maliens, la vie d’Hamadoun Kassogué né en 1957, dans le petit village de Moe Ley (Kani Godouna), sied mieux à celle des grands artistes. Pour atteindre le sommet de son art, il a dû se sacrifier et subir plusieurs injustices.
Mais, quand on s’appelle Hamadoun Kassogué, à l’état civil, «Bôlôgô» (en langue dogon, je n’en veux pas à Dieu), du côté maternel et «Aneye» (qui veut dire Dieu donné), du côté paternel et versé dans la religion traditionnelle du pays Dogon, le tout parachevé par une bonne connaissance du coran, rien ne doit pouvoir vous ébranler, même les injustices les plus fétides glissées sous vos pieds comme des peaux de bananes.
Hamadoun Kassogué, premier garçon, né d’une mère, elle-même première de son père, selon la tradition Dogon, a été élevé par son grand-père maternel, versé dans la tradition animiste. Ce qui n’était pas du goût de son père, musulman pratiquant rentré de la Mecque.
Après plusieurs tentatives d’arracher son fils des griffes de son beau-père, son père a fini par admettre qu’il ne pouvait rien contre la tradition et s’est résolu à laisser Hamadoun Kassogué à l’école de son grand père.
A cette époque, l’administration ne badinait pas avec la scolarisation des enfants. Malgré la réticence de son grand père, Hamadoun Kassogué mettra les pieds à l’école française à l’âge de 11 ans. Mais, comme le grand père n’avait pas dit son dernier mot, il va concocter un plan sur 5 ans pour le retirer de l’école au moment où il était en cinquième année pour qu’il aille parfaire sa formation traditionnelle au bois sacré.
Après trois ans et six mois passés au bois sacré, Hamadoun Kassogué, devenu adolescent devait revenir reprendre l’école française en 5e année. Les enseignants s’étant vite rendus compte qu’il avait un niveau plus élevé que celui de ses camarades de classe, vont l’envoyer en 6e année. Premier de classe avec une bonne moyenne, il accède facilement en 7e année.
Il quitte ainsi son Kendié natal pour Bandiagara. Dans cette ville à l’entrée de la falaise, le jeune Hamadoun Kassogué va découvrir la liberté. Cette découverte de la liberté va lui permettre de se découvrir un excellent talent de danseur et de chanteur.
Apprécié par tous pour son talent à l’état brut, Hamadoun Kassogué sera associé à toutes les activités culturelles de la bourgade. Mais, il a eu le temps d’apprendre le Coran sous la houlette de son tuteur de Bandiagara.
En 1970, il a eu le privilège de lever un grand défi de sa vie. Trop pris par les activités culturelles dans le cadre de la préparation de la biennale, pour ne pas être la risée des mauvaises langues, Hamadoun Kassogué devait à tout prix réussir au concours du diplôme d’étude fondamental (DEF).
Ce fut aussi cette année qu’il va faire un choix qu’il va regretter pendant une bonne partie de sa vie. Peu informé et vu son âge déjà avancé, il lui sera conseillé de choisir l’école normale secondaire, en cas de succès au DEF.
Cette année, consacré meilleur acteur de la troupe de Kendié, meilleur acteur de la troupe de Bandiagara et meilleur acteur et meilleur danseur de la troupe de Mopti, si Hamadoun Kassogué avait choisi à être orienté à l’Institut national des arts, il se serait sûrement mis à l’abri de plusieurs surprises.
Mais, que faire quand Dieu avait prévu les difficultés qu’il devait vivre avant de connaître le bonheur ? Sans les résultats du DEF, Hamadoun Kassogué et ses camarades de la troupe de Mopti ont rallié Bamako pour la biennale et c’est entre deux prestations qu’un de ses enseignants va lui annoncer son succès au DEF.
«Je me souviens, la joie d’avoir eu le DEF m’a mis dans un second état et j’ai dansé dans le ballet à thème jusqu’à perdre connaissance. On m’a accusé d’avoir pris un stupéfiant, non c’était parce que j’étais heureux que je me suis surpassé dans le ballet à thème », rappelle Hamadoun Kassogué.
Après la biennale et après les vacances, au moment où certains de ses camardes allaient au lycée, le jeune Kassogué intégra la section histoire et science de la terre à l’école normale secondaire. Des petits métiers par-ci et par-là Mais, déjà pendant sa formation, il s’est rendu compte de son erreur et à sa sortie, il ne fera pas long feu dans l’enseignement.
Après deux années à rabâcher les oreilles de ses élèves avec les leçons d’histoire et de science de la terre, Amadou va se convaincre à abandonner la craie. Et, la longue traversée du désert va commencer pour lui. Après avoir passé 4 années à flâner dans les rues de Bamako, il va se convaincre de retourner à la terre Un temps passé à cultiver un champ derrière Djalakorobougou, ne va pas lui sourire. Il décide de fendre et de vendre le fagot.
Au moment où, il s’attendait le moins, ses parents vont lui envoyer sa femme. Avec désormais deux bouches à nourrir, la vente de fagot devenait peu rentable. Il prend la résolution de s’attacher à des maîtres maçons qui lui versaient la somme de 400 Francs maliens par jour de travail.
Activité très peu rentable pour un jeune qui vit désormais en couple, Hamadoun Kassogué décide de s’installer à son propre compte dans la production de briques en terre. Mais, il n’avait pas compté avec la grande propension des Bamakois à construire avec des briques en ciment. Ballotté par les difficultés de la vie, il va se résoudre à trouver un travail régulier et rentable.
«Après une longue et bonne réflexion, j’ai compris qu’il fallait que je devienne videur de latrines. Ce travail était rentable et m’a permis de nourrir ma famille», a-t-il indiqué. Avant d’ajouter qu’il a informé sa femme qui devait l’assister en tirant sur la corde. «C’est dans ce métier que la chance allait me sourire pour la première fois.
Mme Diawara Victoria, la femme du Pr. Gaoussou Diawara, cherchait un videur de latrine pour une femme russe à Bamako. Par l’intermédiaire d’un petit frère qui était à l’époque boy chez Gaoussou Diawara, j’ai été informé», se souvient encore Hamadoun Kassogué. «Je me suis présenté chez cette dame qui n’a jamais su que j’étais celui qui allait faire le travail. Dès son départ au boulot, je suis venu avec ma femme pour vider ses latrines.
Nous avons tout lavé. Revenue de son boulot qu’elle ne fut pas sa surprise de constater la propreté des lieux. Au lieu de 40 000 Francs maliens comme convenu, elle m’a remis 120 000 francs maliens pour celui qui a fait le boulot et m’a demandé de repasser pour un petit cadeau», a-t-il ajouté. Très ému, c’est pour la première fois qu’Hamadoun Kassogué allait acheter un sac de riz pour sa famille.
« Et, mieux, j’ai remis tout le reste de l’argent à ma femme pour qu’elle gère la famille. Elle fut une très bonne gestionnaire» a-t-il indiqué. Opportunité d’entrée à l’INA
Avant d’ajouter que c’est quelques jours, seulement qu’il allait avoir la deuxième belle opportunité de sa vie, lorsque Jean Marie Lescoutier, enseignant de français à l’école normale, va mettre des gens à ses trousses pour qu’il vienne jouer et assurer la mise en scène de sa pièce intitulée «La langue et le scorpion» qu’il avait écrit sur Bazoumana Cissoko, le vieux lion.
«Cette année-là, la pièce de l’école normale a remporté le premier prix et j’ai remporté les trophées du meilleur acteur et de la meilleure mise en scène. Heureux, Jean Marie Lescoutier allait m’acheter un électrophone et me donner la somme de 25 000 Francs maliens», se souvient encore avec beaucoup de bonheur Hamadoun Kassogué.
Mais, au-delà de ces présents, Hamadoun allait avoir la chance de sa vie. «Au détour d’une ruelle de Bamako, j’ai rencontré le directeur de l’époque de l’école normale qui m’a informé de la décision du ministre des arts, de la culture et des sports de l’époque de m’ouvrir les portes de l’Institut national des arts. Pour quelqu’un qui avait tout essayé pour accéder à cette école, vous comprenez mon excitation.
Ce jour-là, j’ai passé la nuit devant la porte du ministre afin de pouvoir le voir pour la réalisation de sa décision», nous a indiqué Hamadoun Kassogué. Et, le matin, la surprise du ministre de voir devant son portail, le meilleur acteur de l’école normale, passée, il lui donne un mot à l’intention de Mamadou Somé, directeur à l’époque de l’INA. « Voilà comme, j’ai pu accéder à l’INA sans bourse», a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que dès sa deuxième année dans cette école, ces camarades vont faire de lui le secrétaire général du comité scolaire, poste qu’il va quitter en 4e année pour se consacrer aux travaux de son mémoire de fin de cycle.
«Pour mon mémoire, j’ai adapté le roman Mandat de Sembène Ousmane au théâtre et j’ai assuré la mise en scène», a-t-il rappelé. Sorti en 1980, major de sa promotion, Hamadoun Kassogué devait bénéficier d’une bourse pour la Grèce. Mais, peine perdue, cette bourse ira à quelqu’un d’autre. Une deuxième bourse lui sera promise en direction de la France, mais une fois encore, le brillant étudiant de l’INA sera évincé. Mais, le comble de l’injustice dont Kassogué a été victime, sera la façon avec laquelle, il sera évincé d’une bourse qu’il avait obtenue pour l’ex-URSS.
«Après avoir perçu les frais du voyage et vendu tous mes effets encombrants, c’est à l’aéroport que j’ai constaté que mon nom a été biffé de la liste au Blanco et l’on a poussé l’outrecuidance jusqu’à vouloir me faire rembourser les frais de voyage, chose que j’ai refusée», se rappelle Hamadoun Kassogué comme si c’était hier.
C’est victime de toutes ces injustices, en 1982, qu’Hamadoun Kassogué sera rattrapé par le métier d’enseignant, mais cette fois à l’INA. « En ma qualité de major de ma promotion, l’on va me donner la possibilité d’enseigner l’art dramatique à l’INA », a-t-il indiqué. C’est cette prestigieuse école qu’il eut l’opportunité de participer à la formation de grands comédiens maliens comme Zantigui, Michel Sangaré, Kari Bogoba Coulibaly et Magma Gabriel pour ne citer que ceux-là.
Il nous a rappelé une autre injustice qu’il a vécue du fait du directeur de l’époque de l’INA. «Après avoir participé à un stage avec une troupe de marionnettistes de Avignon, j’ai reçu de l’école d’art d’Avignon une bourse pour des études poussées en art dramatique, mais le directeur de l’INA à l’époque, dira que la structure devait envoyer la bourse au Mali et non à un individu. Il a souhaité consulter le comité pédagogique qui a décidé que j’étais le mieux indiqué pour cette bourse, mais rien n’y fut, la bourse fut donnée à un de mes élèves », a-t-il rappelé sans rancune.
Celui qui, contrairement à beaucoup d’artistes maliens et africains, dit sans ambages qu’il vit de son art, ne peut pas être rancunier, car selon lui, c’était la voie toute tracée par Dieu pour lui. Aujourd’hui, propriétaires de trois bâtiments à deux niveaux à Bamako et d’un parc à bétail bien fourni à Siby, Hamadoun Kassogué dit : « Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ceux qui disent qu’un artiste ne peut pas vivre de son art.
J’ai tout fais dans la vie, mais, j’ai fini par l’art qui me nourrit aujourd’hui». C’est en 1999, que ce comédien émérite eut l’opportunité pour la première fois de fouler le sol européen, grâce à sa franche collaboration avec Patrick More, metteur en scène Suisse qui est tombé sous son talent de comédien et de metteur en scène.
Et, depuis, n’arrive plus à se séparer de lui. Chaque année, depuis 1993, Hamadoun Kassogué séjourne en Suisse dans la compagnie «Spirale» de Patrick More, soit pour mettre en scène une pièce de théâtre, soit pour jouer dans une pièce qu’il a souvent la chance d’assurer la mise en scène. En plus des cours qu’il donne à l’école des hautes études de théâtre de Lausanne, Hamadoun Kassogué, depuis trois ans, travaille avec la compagnie «Baobab» au Canada où, il fait des mises en scènes et la coproduction.
Et depuis, 1993, il collabore avec de nombreuses structures au Mali, en Afrique et en Europe. Hamadoun Kassogué a commencé son expérience cinématographique en jouant le rôle de Kerfa le fou, dans le film «Sya, le rêve du python» de Dany Kouyaté. Le passage de comédien de théâtre à acteur de cinéma n’a pas été de tout repos pour Hamadoun Kassogué, malgré son riche talent, révélé par le film de Dany Kouyaté.
«C’est à l’issue d’une longue discussion qu’il m’a convaincu de jouer le rôle de Kerfa, comme figurant. En réalité, contrairement à ce que pense beaucoup de cinéphile, le rôle de Kerfa était un rôle de figuration et c’est après une discussion avec le réalisateur qui m’a convaincu que personne d’autre que moi ne pourrait jouer ce rôle avec beaucoup satisfaction », a-t-il indiqué. Effectivement Dany Kouyaté avait vu juste, arrivé pour trois mois de tournage, à dix-sept jours, Hamadoun Kassogué avait fini sa partition.
Le résultat a été formidable et venait de révéler à l’humanité un acteur malien plein de talent. Depuis, «Sya», le comédien devenu acteur n’a plus chômé. Cinéma s’entend.
Il a joué dans plusieurs films comme : «les aventures de Seko» de Habib Dembélé du Mali? «Bamako» de Abdrou-amane Sissako de la (Mauritanie), «Le sage de Badiangara» de Louis Deck (France), où en plus d’être acteur, il fut l’assistant réalisateur, «KABALA» de Hassane Kouyaté du Mali, commissaire Balla et «Samanyana Bassi» du CNCM.
Il se prépare actuellement pour jouer le rôle principal dans le film «toile d’araignée» de Ibrahime Touré qui est une adaptation du livre du même nom écrit par Ibrahima Ly. Cet artiste, malien dont le talent n’est plus à démontrer, fait l’objet d’une forte demande de la part de réalisateurs européens qui sont intéressés par sa vie comme trame de films documentaires.
Assane Koné
Source: LE REPUBLICAIN