Conseiller diplomatique du président Alpha Oumar Konaré en 1992, puis ministre des Affaires étrangères, et enfin Premier ministre en 1994.
Ce n’est pas faux. 1994 : Alpha Oumar Konaré, élu deux ans plus tôt, a toutes les peines du monde à canaliser les tensions qui minent le pays. Dans le Nord, la rébellion touarègue n’en finit pas. Les troufions sont à bout de nerfs et les étudiants sont dans la rue. Pour se rendre au palais, les ministres doivent emprunter, selon l’expression d’IBK, « des voies buissonnières ». « C’était l’anarchie, se souvient le procureur général près la cour d’appel de Bamako, Daniel Tessougué. Tout le monde pensait que Konaré allait tomber. Il venait d’user deux Premiers ministres en moins de deux ans. Et IBK est arrivé.
À peine nommé, il rend visite aux soldats et leur promet une loi de programmation militaire, qui verra le jour quelques mois plus tard. Ils ne l’oublieront jamais. En 2002, IBK, candidat pour la première fois à l’élection présidentielle, avait battu ATT dans son propre camp militaire. En 2012, les putschistes lui ont quasiment fait allégeance, et, cette année, il a fait un carton dans les casernes.
IBK s’occupe ensuite du Nord, y trouve une paix précaire. Son image d’homme à poigne est faite, même si certains de ses ministres de l’époque la remettent en question – « c’est le président qui décidait, lui ne faisait qu’exécuter », dit l’un d’eux. Il la parachèvera, lui l’activiste de gauche qui fut responsable, à Paris, de la section malienne de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf, alors présidée par Alpha Condé), en matant les étudiants grévistes.
Un quart de siècle, précisément. La première rencontre de ce Malinké avec la France intervient d’abord… chez lui, à Sikasso, où il a vu le jour en 1945. Son père, qui a fait l’école normale William-Ponty au Sénégal, est fondé de pouvoir au Trésor public. Les Blancs, le petit Keïta les côtoie de si près que certains de ses camarades le considèrent presque comme l’un des leurs.
Puis il découvre Paris à l’âge de 13 ans, après avoir remporté le concours général du Soudan français. Direction le prestigieux lycée Janson-de-Sailly. De ce premier contact, il a gardé une odeur (celle des croissants chauds) et un regret : un an plus tard, sa grand-mère, qui ne veut pas qu’il devienne un « petit Blanc », le contraint à rentrer au pays. Sa deuxième incursion en terre française sera plus longue. Études de lettres et militantisme à la Sorbonne. Petits boulots pour les financer. Il gagne des amis, dont Condé et Gbagbo. Et des ennemis, en s’engageant contre le régime de Moussa Traoré. Puis il donne des cours à l’université – à Tolbiac notamment, foyer d’agitation.
Mais de l’effervescence parisienne, IBK parle peu. La période « la plus palpitante » de sa vie, assure-t-il, est celle qui a suivi son retour au Mali, à l’âge de 41 ans. Là, il découvre un pays dont il ne mesurait pas l’état d’abandon : le Nord. Embauché par une ONG, Terre des hommes, il a pour mission de conduire un programme de sécurité alimentaire dans la région de Bourem, dans la boucle du Niger « .
La suite est plus connue. De retour à Bamako, IBK se rapproche de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema) et de Konaré, qui en fait très vite l’un de ses lieutenants, puis son Premier ministre pendant six ans – un record.
Il renonce à la primature en 2000 pour briguer la présidence. IBK, qui a compris que Konaré ne le soutiendrait pas (aujourd’hui encore, les deux hommes ne se parlent pratiquement pas), finit aussi par quitter le parti. Il créé le Rassemblement pour le Mali (RPM), se présente à la présidentielle de 2002, finit troisième (il crie à la fraude), soutient ATT au second tour, et prend sa revanche en gagnant les législatives. Il présidera l’Assemblée nationale pendant cinq ans. En 2006, premier jalon vers la rupture avec ATT, il s’oppose aux accords d’Alger censés mettre fin à une nouvelle rébellion touarègue. Ce rejet « a été un moment pénible, car il a été interprété comme une volonté de casser du Touareg », disait-il en 2007. Savait-il qu’il lui rapporterait, six ans plus tard, louanges et bulletins de vote ?
Un homme ambigu
En 2007, IBK est le seul poids lourd à se présenter contre ATT. Nouvel échec. Un autre désert s’ouvre devant lui. Il redevient simple député. Son parti perd la plupart de ses sièges à l’Assemblée. Dans la démocratie consensuelle made in ATT, il joue un rôle mineur… et ambigu. Côté pile, il fait comme tous les autres : il compte un ministre dans le gouvernement et affirme vouloir « travailler côte à côte » avec le président. Côté face, il se fait le pourfendeur d’un système qui « n’a rien à envier aux pires dictatures » et d’un président qui, par son « régionalisme outrancier », représente « une menace démocratique ».
À vrai dire, les ambiguïtés se bousculent autour de ce personnage au corps massif mais à la démarche légère, que ses amis disent entier, colérique et émotif, mais ni rancunier ni calculateur. On le présente comme hautain ? Il sait se montrer délicieux. « Mon chauffeur m’a fait remarquer que de toutes les personnalités que je rencontre, il est le seul à le saluer à chaque fois », constate un diplomate européen. Il fut, dans son passé parisien, un noctambule réputé ? Il a reçu le soutien, durant la campagne, de plusieurs dignitaires religieux. Ami de Gbagbo, il a courtisé son tombeur, Ouattara. Vétéran de la vie politique malienne, il incarne, pour ses électeurs, la rupture…
Il a réussi à être tout à la fois le candidat des putschistes, des religieux parmi les plus rigoristes du pays et de la communauté internationale (qui en a très tôt fait « le candidat de la stabilité »). Un exploit qu’il ne revendique pas, lui qui assure ne rien devoir à personne. Il admet tout de même qu’un tel raz-de-marée électoral, synonyme de très forte attente, sera « lourd » à porter. « J’en suis conscient, mais je suis confiant. Comme de Gaulle, j’ai une certaine idée de mon pays. »
Avec Jeune Afrique
L’ Indicateur Du Renouveau 2013-09-04 11:45:37