A 28 ans, Gladys Kazadi cumule plusieurs fonctions : vice-présidente du mouvement Les engagés, l’un des plus grands partis politiques de Belgique, poste qu’elle occupe depuis juin 2022 ; députée au Parlement bruxellois ; et conseillère dans la commune bruxelloise de Berchem-Sainte-Agathe. Malgré ses multiples occupations politiques, Gladys Kazadi dit notamment, dans cette interview, continuer de suivre de près l’actualité de la République démocratique du Congo (RDC), son pays d’origine, où elle est aussi active dans diverses associations qui œuvrent dans le pays.
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Depuis juin 2022, vous êtes la vice-présidente du mouvement politique Les engagés. Quelles sont vos attributions et vos priorités à ce poste ?
Gladys Kazadi (G.K.) : Je suis en particulier chargée de l’action citoyenne. C’est une mission importante, car elle permet la participation citoyenne d’une part et, d’autre part, de renforcer les synergies avec la société civile ainsi que de traduire les valeurs de notre mouvement dans un plan d’action concret qui réponde aux besoins réels des citoyens.
Nous avons désormais besoin d’une mobilisation en lien avec le terrain et les réalités sociales que vivent nos concitoyens.
J’entends incarner cet engagement et aussi faire le lien avec le tissu associatif en mettant en évidence le travail et en le faisant entrer en résonance avec celui du mouvement Les engagés.
Cette fonction de vice-présidente est complémentaire à mon travail au quotidien. Être sur le terrain, être en contact avec les associations et les citoyens, dans le but d’avancer, main dans la main, vers une société régénérée est déjà au cœur de mon action politique.
Mes priorités sont, entre autres, d’assurer davantage le lien avec les acteurs de terrain et accompagner nos mandataires. Chez Les engagés, nous pensons que les paroles ne suffisent pas et qu’il faut des actes ! Notre mouvement s’enracine dans la société civile, favorise la participation interne et fait vivre le débat d’idées et le dialogue permanent avec ses adhérents et tout citoyen intéressé.
L.C.K. : Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer en politique et à rejoindre Les engagés, l’ex- Centre démocrate humaniste ?
G.K. : Étant active au niveau associatif, je me suis rendue compte du fait qu’on est dépendant des choix politiques et de ce qui se fait à ce niveau. De plus, j’ai toujours porté un intérêt pour la politique et, en matière de représentativité, je regrettais le fait que les parlements n’étaient pas à l’image des citoyens et donc que certaines sensibilités manquaient. En tant que jeune, femme, d’origine étrangère, je pensais amener cette sensibilité. J’ai ainsi décidé de m’engager dans un parti centriste (le CDH à l’époque). Aujourd’hui, nous avons un nouveau mouvement: Les engagés. C’est un mouvement positif, plus ouvert, plus en phase avec les réalités contemporaines. Un mouvement au sein duquel je me suis engagée parce que je suis convaincue que le projet de société que l’on défend répondra le mieux aux enjeux actuels et futurs. Chez Les engagés, nous recherchons l’épanouissement de chaque être humain, quelle que soit son origine, sa culture,… Là où des partis se battent plutôt pour des catégories de personnes (par exemple, pour la classe ouvrière ou pour les entreprises), nous, Les engagés, avons décidé de nous battre pour tous. Nous priorisons l’intérêt commun et non des intérêts particuliers.
L.C.K.: Comment vous décririez-vous comme femme politique ?
G.K.: Du haut de mes 28 ans, je me considère comme une femme faisant partie de la jeune et nouvelle génération. Une génération qui veut aussi montrer qu’elle a également sa place en politique, qu’elle a une plus-value à apporter et qui considère qu’il faut composer avec les aînés en politique, travailler en synergie pour impacter positivement les générations présentes et futures.
L.C.K. : Vous êtes originaire de la République démocratique du Congo (RDC), quelle relation gardez-vous avec ce pays ?
G.K. : La RDC est un pays avec lequel j’ai un attachement particulier, étant d’origine congolaise et suivant également de près ce qui s’y passe au niveau sociétal. Je suis aussi active dans diverses associations qui œuvrent au sein du pays. Un autre aspect de la relation que j’ai avec la RDC est que ma thèse de mémoire, dans le cadre de mes études aussi bien universitaires que secondaires, à chaque fois, a porté sur ce pays. Le dernier en date portait sur le processus de réconciliation intercommunautaire au Kivu.
L.C.K.: Quels rapports votre mouvement politique ou encore le Parlement bruxellois entretiennent-ils avec la RDC ?
G.K. : Je peux citer un sujet que j’ai porté, avec mon mouvement, au sein des instances parlementaires. Nous avons voté une proposition de résolution sur la décolonisation structurelle et inclusive de l’espace public, afin de pouvoir construire une mémoire coloniale collective, partagée et assumée, de contextualiser et d’enseigner toute l’histoire coloniale belge, en incluant aussi le point de vue des historiens congolais et non uniquement celui des historiens belges. Cela permettra, à mon sens, aux personnes de comprendre l’histoire et d’en tirer des leçons. C’est de cette manière notamment qu’on pourra déconstruire les préjugés et les stéréotypes, car ce passé colonial qui n’est ni contextualisé, ni enseigné en incluant les deux points de vue, renforce les stéréotypes, les préjugés et le racisme à l’encontre des personnes d’origine congolaise en Belgique et des personnes noires en général. Il est important que l’État belge reconnaisse sa responsabilité au regard des méfaits commis durant la période coloniale et de présenter des excuses publiques. Le roi Philippe avait, d’ailleurs, évoqué les regrets de la Belgique par rapport aux souffrances infligées aux Congolais. C’est une étape dans la bonne direction, une étape vers une diversité inclusive et un vivre ensemble réussi et je continuerai, avec Les engagés, à travailler dans ce sens.
En outre, avec mon collègue Pierre Kompany, nous étions présents à la cérémonie officielle de restitution de la dépouille de Patrice Emery Lumumba à ses proches. C’était un moment historique qu’il fallait marquer et c’était donc important pour nous Les engagés d’être présents.
L.C.K. : Quel est l’apport de la diaspora congolaise en Belgique ?
G.K. : La diaspora congolaise est l’une des plus grandes diasporas parmi les diasporas d’Afrique subsaharienne en Belgique. C’est une communauté pro-active, qui est pleine de potentiel et qui est une valeur ajoutée à la Belgique.
Les obstacles auxquels est confrontée cette diaspora étant nombreux, j’en citerai trois. Le premier est évidemment le racisme et les préjugés, qui ont pour conséquence des discriminations liées à l’emploi, par exemple. A ce sujet, selon un récent rapport d’Unia (institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l’égalité des chances en Belgique), malgré un diplôme de l’enseignement supérieur, les jeunes d’origine étrangère (notamment d’origine congolaise) restent désavantagés sur le marché du travail. Le même cas de discrimination se constate aussi dans l’acquisition de logement.
Ensuite, il y a la difficulté de pouvoir trouver sa place au sein de la société, à cause notamment des discriminations structurelles qui affectent des personnes au quotidien, simplement en raison de leur couleur de peau, de leur habillement, de leurs cultures et de leurs croyances. C’est l’un des combats du mouvement Les engagés. Nous sommes intransigeants envers toute forme de rejet de l’autre, car nous sommes convaincus que nous parviendrons à créer une société si nous vivons les uns avec les autres, en apprenant à nous connaître, en s’entendant sur un projet commun et des valeurs partagées.
Le dernier obstacle concerne l’accès à l’information. Le fait que les canaux utilisés pour transmettre les informations ne sont bien souvent pas adaptés au public de la diaspora congolaise. Et donc “la bonne information” ne lui parvient pas. C’est un problème.
Mon travail, en tant que parlementaire, en ce qui concerne ces trois obstacles, consiste à accompagner les personnes victimes de racisme et de discrimination, à dénoncer et à militer auprès des instances gouvernementales pour que des solutions soient trouvées et aussi pour qu’il y ait une véritable sanction. C’est aussi un rôle de relai, afin de permettre aux personnes d’avoir accès à la bonne information et les orienter vers les structures adéquates. Enfin, à travers mon action politique quotidienne, je me suis engagée pour une société plus inclusive, plus solidaire et plus tolérante dans laquelle chacun et chacune peut trouver sa place pour s’épanouir.
L.C.K. : La Belgique a récemment restitué à la RDC les restes de Patrice Lumumba. Quel est le sens de cette action et que représente pour vous la figure politique de cette personnalité ?
G.K. : J’avais salué cette démarche, ce geste fort de restitution par la Belgique qui n’est que justice bien qu’il mérite d’être salué. Ce que j’avais, d’ailleurs, fait lors de mon allocution durant la cérémonie d’hommage rendu à Patrice Emery Lumumba, au mois de juin dernier, à l’ambassade de la RDC à Bruxelles. Et comme je l’avais dit, c’est un événement d’une grande importance qui contribuera, je l’espère, à une relation plus apaisée entre la Belgique et le Congo.
Après 61 ans d’attente, c’est aussi, quelque part, une victoire pour la famille de Lumumba, pour les Congolaises et Congolais à travers le monde et, enfin, pour tous ceux qui sont attachés à la vérité, à la justice, à la liberté et à la dignité humaine. Mais, du chemin reste encore à parcourir pour faire la lumière sur toutes les zones d’ombre qui entourent l’assassinat de cette figure politique qu’est Patrice Lumumba. Une figure politique qui est pour moi un symbole d’un engagement vrai, sincère et sans faille. Il a montré que peu importe ce qui pourrait advenir, tant que notre lutte est noble et juste, il faudrait la mener. Il est et restera une source de motivation et d’inspiration dans mon engagement politique. En tant qu’élue belge d’origine congolaise, je continuerai, par mes actions, à défendre ces valeurs de démocratie, de liberté et de dignité qui lui étaient si chères.
L.C.K. : Vos projets sur le plan professionnel ?
G.K. : Continuer à être un acteur de changement et à participer activement à la construction d’une société plus juste, plus inclusive où tout un chacun a les mêmes chances de s’épanouir. Je veux continuer à être utile, à apporter ma pierre pour susciter un changement positif au sein de la société, que ce soit par le biais de la politique ou pas.
Propos recueillis par Patrick Ndungidi
Source: Adiact-congo