Le Républicain : Ces deux deniers mois, à Bamako, ont été très riches en rencontres CEDEAO, UEMOA, REAO, BCEAO, BAD, pour parler de monnaie unique, de blanchiment, de comptes dormants, de financement des entreprises…. Quelle lecture faites-vous de ces différentes préoccupations ?
Moussa Alassane Diallo : Il est vrai que beaucoup de rencontres de haut niveau ont été organisées à Bamako ces derniers temps et portant essentiellement sur des questions économiques, financières et monétaires. Je pense que toutes ces concertations s’inscrivent dans la gestion des conséquences de l’après crise financière internationale de 2008 à 2009 et des reformes structurelles indispensables pour non seulement prévenir une nouvelle crise, mais aussi et surtout pour bâtir un système financier nouveau répondant à des normes prudentielles plus adaptées.
En effet, la dernière crise financière a eu un caractère international et a touché toutes les économies du monde (pays industrialisés, pays émergents et pays en voie de développement). Elle a résulté de l’abondance de liquidité et de la perte du sens des risques, notamment aux Etats Unis à travers le très fort développement des produits dérivés sur les marchés financiers. Cette situation s’est traduite par un déséquilibre nourri par des mouvements spéculatifs entre l’économie réelle et le volume global des flux financiers échangés, les cours des différentes valeurs étant fictivement maintenus à des niveaux anormalement élevés.
La crise financière trouve son origine dans la titrisation d’une bonne partie des créances des banques américaines des « subprimes » en les transformant en produits financiers échangeables en bourse et pour lesquels, les banques et les fonds d’investissement américains, européens et asiatiques ont massivement investi en raison de leur taux de rentabilité particulièrement élevé.
Globalement, les banques ont fortement contribué à la chute des principaux marchés boursiers du monde entraînant un assèchement progressif des liquidités bancaire et une crise de confiance dans les relations entre les banques, les unes paniquées à l’idée de possible faillite se méfient des autres à l’idée qu’elles sont impliquées dans les crédits toxiques du marché américain, d’où la paralysie du marché financier.
La crise financière internationale a entraîné un effondrement brutal des marchés financiers avec des impacts négatifs sur l’économie et des situations de récession observées en Europe et aux Etats Unis.
L’absence de supervision, de contrôle et de régulation d’un nombre important d’établissement bancaires et financiers aux Etats Unis est aussi à l’origine de cette débâcle financière qui a ébranlé les fondements mêmes de l’économie internationale.
Pour certaines économies africaines, la crise a affecté les appuis budgétaires aux Etats des partenaires techniques et financiers et les modalités de leur décaissement.
C’est pourquoi, les organisations sous régionales et régionales en charge des questions économiques, financières et monétaires s’activent pour assurer une refondation du système financier, un renforcement de l’intégration économique et monétaire et une consolidation de la stabilité macro économique.
Le Républicain : Quel est l’état des lieux du système bancaire malien ?
Moussa Alassane Diallo : Avec aujourd’hui treize Banques et deux Etablissements Financiers, le paysage bancaire du Mali s’est densifié et diversifié au cours des dernières années. Cette situation s’est traduite par une amélioration de l’offre de services bancaires et financiers à la clientèle, une plus grande compétitivité du secteur bancaire et une amélioration des concours bancaires au financement de l’économie.
L’état des lieux du système bancaire malien doit s’analyser à la lumière de la grave crise financière expliquée plu haut que toutes les économies du monde ont connu au cours des années 2008 et 2009.
Les Banques et Etablissements Financiers du Mali ont parfaitement bien géré cette crise financière qui n’a eu aucun impact, non seulement sur la situation financière des banques, mais aussi sur la situation des dépôts de la clientèle.
Au 31 décembre 2010, le système bancaire malien:
– comprend 286 agences et bureaux,
– emploie 3.215 agents,
– collecte 1.339 milliards de FCFA auprès de la clientèle,
– a un encours de crédit de 941 milliards de FCFA,
– a des fonds propres nets de 134 milliards de FCFA,
– présente un résultat bénéficiaire cumulé de 21 milliards de FCFA.
Le Républicain : Au delà des chiffres et des bilans, les banques maliennes financent elles à souhait l’économie ?
Moussa Alassane Diallo Le financement bancaire de l’économie est une préoccupation constamment exprimée par les pouvoirs publics, les opérateurs économique et les banques et établissements financiers.
L’une des priorités de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Mali est d’accompagner la mise en œuvre du Projet de Développement Economique et Social et la Loi d’Orientation Agricole du Président de la République, son excellence Amadou Toumani TOURE à travers la mobilisation des ressources financières pour soutenir les projets structurants du Chef de l’Etat dans les domaines de l’Agriculture, de l’Energie et des Infrastructures. Ces domaines constituent le socle même du développement économique et social du Mali.
Les Banques et Etablissements Financiers apportent une contribution de très grande qualité au financement de l’économie, mais je demeure convaincu que des efforts importants restent à faire. L’APBEF élabore actuellement une note sur le financement bancaire de l’économie pour non seulement assurer une large information du grand public et sur la base de chiffres vrais mais aussi, mettre en évidence les efforts déployés par le système bancaire dans le financement de l’économie.
Avec un cadre macroéconomique stabilisé et une politique budgétaire prudentielle, l’environnement est véritablement propice au financement plus accrue de l’économie.
De nombreuses initiatives ont été prises par le Gouvernement du Mali et seront de nature à assurer la promotion et le développement du financement des entreprises, il s’agit notamment de:
-la mise en œuvre d’une charte et d’une stratégie de promotion des PME,
– la création de l’Agence de Développement des Exportations,
– l’adoption de la Loi d’Orientation du Secteur Privé (LOSP),
D’autres chantiers sont en cours :
1°) le développement de nouveaux produits bancaires et financiers,
2°) la mise en place d’un fonds d’investissement,
3°) la mise en place d’un fonds de garantie pour soutenir l’accès des PME/PMI aux crédits,
4°) l’amélioration de la bancarisation et de la modernisation des instruments de paiements.
Le Républicain : Le taux de bancarisation au Mali et dans l’espace UEMOA, est faible. Quelles perspectives pour améliorer ce taux ?
Moussa Alassane Diallo : Je partage totalement votre affirmation relative à la faiblesse du taux de bancarisation au Mali, car ce taux se chiffre à 12%. L’objectif affiché est d’obtenir un taux de bancarisation de 20% à l’horizon 31 décembre 2012.
La faiblesse du taux de bancarisation au Mali et de façon globale dans l’espace UEMOA est une préoccupation et une interpellation du système bancaire. Dans le domaine de l’économie et de la finance, il est admis l’existence d’une corrélation positive entre l’accès des populations aux services bancaires et financiers et le niveau du développement économique du pays. C’est pourquoi, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest a initié depuis plusieurs années un vaste et ambitieux programme de renforcement et de modernisation des systèmes et moyens de paiements dont la mise en place d’un système de paiement en temps réel pour les transferts interbancaires de gros montants « STAR-UEMOA », l’instauration d’un système automatisé de compensation interbancaire « SICA-UEMOA », la promotion d’un système de paiement et de retrait par cartes dans l’espace UEMOA et le lancement de la Centrale des Incidents de Paiement.
Le système bancaire malien a effectué de gros efforts au cours des dernières années dans la couverture spatiale, l’on note des avancées significatives sur la création de réseaux bancaires dans toutes les régions du Mali tandis que les efforts d’implantation se poursuivent. L’ouverture de guichets bancaires de proximité favorise la bancarisation et l’accès des populations aux produits bancaires et financiers.
L’accès du plus grand nombre de populations maliennes aux comptes bancaires est loin d’être un rêve à mes yeux mais plutôt un objectif réaliste et réalisable.
Les actions menées par les Banques et Etablissements Financiers et la campagne d’information et de sensibilisation réalisées par la BCEAO à l’échelle sous régionale (UEMOA) se traduiront certainement par :
l’augmentation du taux de bancarisation des populations,
la baisse des commissions des transactions rendant ainsi accessible le service à tous,
la promotion de l’utilisation de la monnaie scripturale,
le renforcement de la sécurité des moyens de paiement,
la multiplication ainsi que la fluidité des transactions entre les divers acteurs économiques du Mali et de la sous région UEMOA.
Propos recueillis par S. El Moctar Kounta
Le Républicain 07/06/2011