Rarement, la ville des trois caïmans aura été autant endeuillée en un si petit laps de temps.
Bamako ressemble, à s’y méprendre, au far west, où les règlements de compte étaient
légion sous les yeux complaisants d’une pseudo-justice. Face au constat macabre, de plus
en plus de citoyens réclament l’application de la peine de mort par la justice du pays. Mais,
à l’analyse, il nous parait que ce problème d’insécurité a largement dépassé le cadre de
l’application ou pas de la peine de mort, dont la dernière application au Mali, remonte en
août 1980 sous le régime de Moussa Traoré.
Par courtoisie professionnelle et sociale, nous vous ferons économie du décompte macabre
qui, hélas, ne semble pas s’arrêter. Des citoyens trouvent de plus en plus la mort dans des
circonstances dramatiques. Un destin funeste qui choque et qui interpelle. Plus qu’un simple
meurtre, les mises à mort constatées ressemblent plus à des règlements de comptes et aussi
à des meurtres avec préméditation. Face à de tels crimes qui tendent à se banaliser,
beaucoup de citoyens réclament le rétablissement de la peine de mort. Des religieux mais
aussi des personnes qu’on peut qualifier de citoyens d’obédience religieuse modérée
martèlent « Annafs bennafs » (une âme arrachée à la vie ne peut être remplacée que par
une autre âme). Mais, au-delà de ce raisonnement simpliste, cette recrudescence de la
criminalité n’est que la résultante de la faiblesse de l’Etat dans ses démembrements les plus
essentiels, en l’occurrence, la Justice.
Cela est un secret de Polichinelle. Le Mali cherche autorité politique désespérément. L’Etat
est faible, à tel point qu’il peine à exercer son pouvoir politique sur son propre territoire. La
réélection d’IBK à la tête du pays est un trompe-l’œil, au vu des immenses espoirs qu’il avait
suscités cinq ans plus tôt. Lui, qui débordait d’un fort charisme, donnait l’impression d’être
un homme d’Etat intransigeant, et qui pourrait restaurer l’autorité de l’Etat. Aujourd’hui
encore, l’autorité de l’Etat est loin d’être une réalité en République du Mali. Une situation
qui a comme conséquence une anarchie quasi-totale. Un sentiment de délaissement de la
part de l’Etat s’est installé chez le citoyen lambda. Un sentiment négatif qui induit un autre
sentiment qui l’est tout autant : l’impunité. Car, lorsque la Justice, garante d’un Etat de droit,
est la principale coupable des dérives dans un pays, que dire alors des potentiels
justiciables ? L’on peut s’adonner à toutes sortes de délinquance, et s’en tirer assez bien.
D’ailleurs, l’ouvrage de l’ex ministre de la Justice, Mamadou Ismaila Konaté, dresse tous les
tares et retard de notre appareil judiciaire.
La Justice est coupable, mais également les élites maliennes. Privilégiés dans un pays comme
le Mali où la majorité de la population vit sous le seuil de la pauvreté, ces nantis, pour la
plupart d’entre eux, ne se contentent point de leurs salaires. Ce sont de véritablesgentlemen cambrioleurs. Leurs forfaits se chiffrent à des milliards de pertes. Et, comble de
l’injustice, ils s’en tirent très bien. Jamais en République du Mali, post Révolution 1991, l’on a
vu un cadre être sanctionné, comme le veut la loi, pour les forfaits de délinquance financière
qu’il a commis pendant l’exercice de ses fonctions. Et aujourd’hui, en ces temps où la
frustration sociale atteint des proportions rarement égalées, des homicides sont commis. Le
fait même qu’une personne ait le courage de tuer une autre, prouve, à suffisance à quel
point, le citoyen lambda ne considère pas la Justice de son pays.
Alors, le phénomène de la résurgence de la criminalité dépasse largement le cadre de
l’application de la peine de mort ou pas. Il n’est qu’un des principaux symptômes de la
faiblesse de l’autorité étatique. Qu’à Dieu ne plaise, si l’Etat ne retrouve pas sa place en
l’état, il est à craindre qu’un jour, que ceux qui disent le droit soient une des cibles d’autres
gens qui ont soif de vengeance et, paradoxalement, de justice. L’on oublie souvent que la
peine de mort est souvent appliquée dans nos rues par la Justice populaire. L’on a brulé vif
tellement de présumés délinquants, et le taux de criminalité n’a point chuté.
Ahmed M. Thiam
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