Contrebalancer la puissance des Etats-Unis et la politique néolibérale de l’Europe qui créent la misère des peuples à travers le monde. C’est, pour de nombreux observateurs, l’une des ambitions des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Une alliance qui vise à établir un nouvel ordre mondial rivalisant avec la suprématie politique, diplomatique et économique américaine et européenne. Donc une sérieuse menace pour l’ordre unilatéral établi par ces puissances.
Minimisée au départ, les puissances traditionnelles prennent aujourd’hui au sérieux cette menace au point d’œuvrer à déstabiliser politiquement les pays concernés, afin d’y provoquer un effondrement économique. Les BRICS peuvent-ils vraiment devenir plus puissants que l’Occident ? C’est la question que bien d’économistes et de géostratèges se posaient aux Etats-Unis et en Europe ! Et la réponse s’est vite imposée comme une évidence, vu le poids démographique, économique et géopolitique d’un ensemble composé d’une puissance mondiale (la Russie) et de redoutables pays émergents (Brésil, Chine, Inde et Afrique du Sud).
Cette menace a été minimisée dans un premier temps en Occident, dont les dirigeants misaient sur un antagonisme destructeur entre ces pays qui n’ont presqu’en commun que leur envie de contrebalancer l’hégémonie des USA et de l’Europe dans les relations internationales. Malheureusement, cette volonté a jusque-là permis aux BRICS de surmonter leurs paradoxes et leur antagonisme pour se doter d’institutions solides et ambitieuses comme cette banque qui annonce déjà le déclin de la Banque mondiale. La menace se précisant chaque jour davantage, l’Occident a décidé de riposter pour éviter son déclin économique ainsi programmé. La meilleure stratégie en la matière, c’est la déstabilisation politique dont l’effet sur l’économie peut-être dévastateur.
Considérée comme pays-phare des BRICS, c’est la Russie qui a subi cette attaque en premier lieu avec la crise ukrainienne. Une crise qui a débuté le 21 novembre 2013, suite à la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer l’Accord d’association avec l’Union européenne. Cette initiative visait en réalité à isoler la Russie dans sa zone de prédominance économique et diplomatique. Ebranlée au début de la crise, l’économie russe a vite surmonté l’impact négatif de cette crise sur sa croissance. Au lieu d’être abattue, la Russie a été ragaillardie par cette attaque des Européens ridiculisés par les Russes en Syrie. Aujourd’hui, Poutine est incontournable pour trouver une solution à la crise syrienne, car les rapports de force sont en sa faveur depuis qu’il a réussi à anéantir la puissance de feu de l’Etat islamique dans la région.
Les ventres mous déstabilisés
Compte tenu de ce qu’ils représentent en termes de marchés et de contrats économiques, la République populaire de Chine et l’Inde sont pour le moment intouchables. Leur effondrement économique peut avoir de dramatiques répercussions sur les industries américaines et européennes. Sans compter que leurs organisations politiques sont assez complexes à comprendre et à démonter. En conséquence, l’Afrique du Sud et le Brésil deviennent la cible de l’Occident. Ils sont les ventres mous des BRICS, donc faciles à déstabiliser pour porter un coup fatal au nouvel ordre mondial qu’ils représentent.
En Afrique du Sud, où le président Jacob Zuma fait face à plusieurs scandales de corruption, le climat politique ne cesse de se détériorer. «Le président a brisé son serment, il a délibérément violé la Constitution. C’est Zuma qui devrait partir», ont scandé le 17 mai dernier les parlementaires des Combattants pour la liberté économique (EFF, opposition). Ils avaient été violemment chassés de l’Assemblée nationale, alors qu’ils perturbaient le début de séance en demandant le départ du chef de l’Etat, Jacob Zuma. Dans le pays de Mandela, le tribun Julius Malema est le Cheval de Troie idéal pour déstabiliser le pays, sous prétexte des indélicatesses du président Zuma reconnu coupable d’avoir violé la Constitution et empêtré dans plusieurs scandales de corruption.
En effet, fin mars, la Cour constitutionnelle (plus haute juridiction sud-africaine) avait estimé que le chef de l’Etat avait violé la Constitution pour n’avoir pas remboursé une partie des 20 millions d’euros d’argent public utilisés pour rénover sa résidence privée. Dans les prochains jours, la justice doit aussi se prononcer sur le rétablissement ou non de près de 800 chefs d’accusation de corruption contre le président, dans une affaire de contrat d’armement.
«Je ne suis pas effrayé par les services de sécurité. S’ils sont violents, on répondra par la violence. À chaque fois que le chef de l’Etat se présentera devant le Parlement, la même chose se produira. Zuma ne sera jamais en paix dans ce Parlement», a prévenu l’opportuniste Julius Malema, assuré du soutien extérieur dans sa mission de lynchage et de déstabilisation politique. Même si Zuma est difficile à défendre, force est de reconnaître aussi qu’il est n’est qu’un prétexte face aux réels enjeux de la crise qui vise à affaiblir économiquement l’Afrique du Sud, donc de porter un coup à la stabilité des BRICS. Déjà, l’économie sud-africaine a été récemment rétrogradée à la 3ème place africaine, selon une étude du cabinet KPMG. Cela est compréhensible, d’autant plus que l’instabilité politique ne cesse de provoquer la chute du Rand, la devise nationale. À la longue, il faut s’attendre à une dégradation de la note de la dette de l’Afrique du Sud.
Complot contre Dilma Roussef
Au Brésil, c’est la présidente qui a été écartée du pouvoir le 12 mai 2016. La grande combattante Dilma Roussef est remplacée par le «très libéral», voire le «trop libéral», Michel Temer. Un pion des Etats-Unis, car il a été un agent de la CIA. Un véritable «putsch» qui entérine une crise politique actionnée de l’extérieur sous prétexte de «marasme économique» et du «cynisme des politiques». Après deux mandats réussis, Lula a cédé le fauteuil présidentiel à Roussef en 2010. Mais la technocrate s’est fait engloutir par les loups de la politique machiste à la solde de l’impérialisme américain. Il est vrai que la baisse des tarifs de l’électricité et des taux d’intérêts ainsi que les exonérations fiscales aux entreprises menaçaient les acquis de l’ère Lula, qui avait tiré 40 millions de Brésiliens de la pauvreté. Et cela, d’autant plus que ces mesures tardaient à produire des effets palpables sur la relance des investissements.
Après donc des mois de scandales, de procédures et de rebondissements, la présidente brésilienne a finalement dû céder sa place à son vice-président, Michel Temer, 75 ans, qui va gouverner le pays pendant 180 jours, maximum. Pendant cette période, la présidente affrontera un procès en destitution. La demande de destitution a permis le retour au pouvoir de la Droite conservatrice, incarnée par Michel Temer. Une Droite opportuniste, entachée de corruption qui a véritablement réussi son «coup d’Etat institutionnel» contre la présidente brésilienne. Celle-ci, par ses réformes osées, devenait de plus en plus un poison menaçant l’existence de cette Droite comme force politique. Elle a réussi son coup avec la bénédiction de ceux qui souhaitent mettre le Brésil à terre pour déstabiliser les BRICS. Mais les prochains mois risquent d’être tendus au Brésil, car une partie de la population refuse de reconnaître le nouveau gouvernement. La première intervention du président par intérim, Michel Temer, a d’ailleurs été accompagnée par des concerts de casseroles dans certains quartiers des grandes villes acquises à la Gauche.
Riposter pour protéger ses intérêts économiques et diplomatiques
Et le 22 mai 2016, la Gauche a mobilisé les populations contre le président par intérim. À Sao Paulo comme à Rio de Janeiro, le nouveau président par intérim a ainsi été hué dans plusieurs manifestations. Parmi les manifestants venus réclamer le départ de Michel Temer dans le centre de Rio, beaucoup de jeunes, souvent affiliés aux partis de Gauche et aux syndicats étudiants et ouvriers avec l’appui du grand Mouvement des travailleurs sans terre (MST). Ils dénoncent depuis des semaines «un coup d’Etat institutionnel» contre Dilma Roussef. Ils critiquent surtout les mesures économiques de privatisation des entreprises publiques annoncées par le gouvernement formé par Michel Temer.
Pourquoi tant d’acharnement à déstabiliser les pays des BRICS ? C’est la question que certains lecteurs ne manqueront pas de se poser. Depuis la crise de 2008 provoquée par une finance totalement débridée, constatent certains observateurs, les dirigeants de la zone transatlantique ont montré qu’ils préfèrent mettre le monde à feu et à sang, plutôt que de se réformer. Un choix volontaire qui impose l’austérité aux peuples. Sans compter le recours à la force des armes (Syrie, Ukraine, Libye, Mali…) pour s’imposer au reste de la planète. Face à ces menaces, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont décidé de poser les bases d’un autre monde. Une volonté axée sur une politique de développement économique mutuel, nouveau système monétaire international pour nourrir la croissance des économies physiques tirées par la recherche scientifique…
La philosophie originelle des BRICS est donc de contrebalancer l’influence occidentale en établissant un nouvel ordre mondial, où ils auront voix au chapitre. Une ambition qui menace les intérêts des Etats-Unis et de l’Europe dont les intérêts économiques sont ainsi compromis. Les BRICS sont les 4 plus grands créanciers de la dette du trésor des États-Unis et ont 3 fois plus de réserves internationales que le G-7. Ces dernières années, la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil, devant les Etats-Unis. L’Empire du milieu a surtout profité de la venue de la présidente Roussef pour diversifier ses achats de produits brésiliens avec notamment une série de grands contrats portant sur 35 avions Embraer E 190 qui lui ont permis d’équilibrer sa balance commerciale. Et ce n’était que visiblement le début du démantèlement de la puissance économique des Etats-Unis et de l’Europe dans le monde. Une menace précise que ceux-ci œuvrent aujourd’hui à circonscrire par la déstabilisation politique, en imposant à ces pays des dirigeants qui leur sont acquis, comme Michel Temer au Brésil. L’impérialisme a sans doute eu la peau de Dilma Roussef. À qui le tour au sein des BRICS ? Sans doute le plus exposé, Jacob Zuma de l’Afrique du Sud !
Moussa BOLLY