InfoMigrants est entré en contact avec un migrant africain enfermé dans le camp de Pabradé, en Lituanie, non loin de la capitale. Bloqué depuis plusieurs mois dans ce centre pour migrants, Éric supporte mal la pression permanente des militaires lituaniens présents dans le camp qui harcèlent les exilés pour les forcer à « rentrer chez [eux] ».
Selon nos sources, notre contact Éric (nom d’emprunt) a été arrêté lundi 7 février dans la matinée après une manifestation pacifique organisée dans les secteurs B et D du camp fermé. Les autorités lituaniennes l’ont menotté puis emmené dans un lieu inconnu. « Il a été tabassé, traîné au sol, il n’arrivait plus à marcher », ont déclaré des témoins. InfoMigrants n’arrive plus à entrer en contact avec lui. Pour rappel, les journalistes sont interdits d’accès à Pabradé.
Le témoignage d’Éric a été recueilli quelques jours plus tôt, le mercredi 2 février. Ce jour-là, il nous a raconté ses conditions de vie dans le centre : il s’est notamment plaint du froid, les chauffages ne marchant pas toujours dans les conteneurs qui servent de chambres aux migrants. Il a surtout tenu à parler de l’omniprésence militaire dans le camp et, selon lui, de leur harcèlement quotidien.
« Je suis arrivé il y a environ huit mois en Lituanie lorsque les Biélorusses ont ouvert les frontières. Je suis passé par la base militaire de Kabeliai, puis dans un autre camp dont j’ai oublié le nom avant de me retrouver à Pabradé. Le camp fonctionne en différent secteurs, je suis dans le B.
Ici, les militaires viennent tout le temps. Ils nous réveillent le matin pour nous compter. C’est fréquent. Ils ouvrent la porte, ils entrent, ils nous disent de sortir de nos lits et ils demandent nos noms, nos prénoms.
Comme si on était des criminels… Ils viennent dans les chambres parfois vers 6h ou 7h du matin.
Certains militaires entrent avec leurs armes, d’autres ont des tasers à la main. Parfois aussi, ils viennent avec des chiens. C’est vraiment compliqué. Les chiens n’ont jamais mordu personne à ma connaissance, mais ça fait peur de les voir dans nos chambres.
Selon les autorités lituaniennes contactées par InfoMigrants, il existe cinq centres de détention de migrants dans le pays. Trois d’entre eux sont placés sous la direction des garde-frontières (State Border Guard Service) : le centre de Pabradé, de Medininkai et de Kybartai. Les deux derniers sont gérés par le ministère de la Sécurité sociale et du Travail : le centre de Rukla et celui de Naujamiestis, à Vilius.
Plusieurs autres migrants ont parlé de la base militaire de Kabeliai, évoquée par Éric, qui sert, selon eux, de point de transit, avant de transférer les exilés dans les différents centres.De temps en temps, les chiens sont laissés en liberté dans la cour du camp. On n’ose pas sortir quand ils sont là. Ca nous impressionne trop. Les militaires font tout pour nous intimider, pour nous décourager. Ils savent que nous n’avons nulle part où aller. Quand les chiens sont là, on est condamnés à rester dans nos chambres.
Je n’ai jamais entendu de tirs dans l’enceinte du camp. Je sais que des militaires ont utilisé leur taser une fois pour immobiliser un Sénégalais pendant une bagarre dans une chambre.
« Ils nous traitent de ‘macaques' »
J’ai appris le russe quand j’étais en Biélorussie. Je parle couramment cette langue donc je comprends quand certains militaires lituaniens parlent. Ils nous insultent, nous traitent ‘d’extra-terrestres’ ou de ‘macaques’.
En Lituanie, une partie de la population parle le russe du fait de sa proximité géographique avec l’ancienne Union soviétique. Plus on se rapproche de la frontière biélorusse – c’est le cas de la ville de Pabradé – plus les chances de croiser des Lituaniens parlant le russe sont élevées.
À Pabradé, on nous parle uniquement pour nous dire de rentrer chez nous. Je sais que c’est pareil dans les autres camps.
Quand tu es malade, ils te disent : ‘Tu veux voir un médecin, rentre chez toi en Afrique te faire soigner’. Quand tu as mal quelque part, ils attendent longtemps avant de t’emmener voir un médecin. Mon voisin de chambre a été mal en point, il a passé trois jours dans son lit à Pabradé avant qu’ils ne l’emmènent à l’hôpital. Et encore, ils l’ont menotté pour y aller.
Il y a quelques semaines, j’ai eu mal aux dents. Les militaires m’ont dit : ‘Signe ce papier, sinon on n’appelle pas de médecins’. Tous les migrants connaissent ce ‘papier’. On ne sait pas ce qu’il y a écrit dessus, c’est en lituanien et ils nous interdisent de le prendre en photo. Mais on se doute que c’est une décharge qui autorise notre expulsion. On ne le signe jamais.
On demande tout le temps un interprète, un traducteur. Mais ils nous répondent toujours : ‘Non, signe’. C’est tout.
Depuis l’été dernier, des milliers de migrants, principalement originaires du Moyen-Orient, notamment d’Irak, et d’Afrique, ont franchi depuis la Biélorussie la frontière orientale de l’Union européenne en Lituanie ou encore en Pologne. L’Occident accuse la Biélorussie d’avoir provoqué cette crise en attirant les migrants à la frontière européenne en délivrant des visas et avec la promesse d’un passage facile.
Au mois de juillet 2021, le parlement lituanien a adopté un projet de loi autorisant la détention pour six mois des demandeurs d’asile entrant dans le pays. En décembre 2021, la Lituanie a allongé ce temps de détention à 12 mois. En outre, la loi stipule que les migrants peuvent être expulsés pendant l’examen de leur appel.
Charlotte Boitiaux
Source: INFOMIGRANTS