Emmanuel Macron, pour son premier voyage présidentiel en Afrique, a passé la journée du vendredi 20 mai 2017 sur la base militaire de Gao, dans le nord du Mali. Il est allé à la rencontre des militaires français postés sur place dans le cadre de l’opération Barkhane. Bien sûr, il a aussi été reçu par son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta, avec lequel il s’est entretenu. Le président malien a accordé un entretien après sa rencontre avec le chef de l’Etat français à Christophe Boisbouvier, envoyé spécial sur ce déplacement à l’étranger pour RFI. Lire l’interview.
RFI: Monsieur le président, c’est votre premier entretien avec le nouveau président français, Emmanuel Macron. Comment ça s’est passé ? Quelle est la différence avec François Hollande ?
Ibrahim Boubacar Keïta : D’abord, je me félicite que le président Macron ait choisi de venir au Mali, même si ce n’est pas une visite officielle – c’est une visite aux troupes au Mali -, ce geste nous est allé droit au cœur et c’est pourquoi nous avons tenu à l’accueillir, personnellement, ici à Gao. Très, très bonne impression. Très bon entretien. Très bon contact.
Le président Macron est un homme d’une exquise courtoisie, en possession absolue des dossiers. Il sait de quoi il parle. Il n’y a pas de comparaison à faire. Je pense que le président Macron l’a dit lui-même, c’est la suite d’une continuation de belle facture de ce qui a été entrepris, en janvier 2013, par le président Hollande.
En même temps, il y a un langage de vérité chez Emmanuel Macron quand il dit : « Au Mali, les islamistes se regroupent, se renforcent et sont en train de se fédérer. » Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ?
Absolument. On l’a vu, un certain leader – dont je ne dirai pas le nom pour ne pas qu’on lui fasse de la publicité – a dit que désormais tout le monde est réuni, sous son panache, et a osé revendiquer l’odieux attentat qui a eu lieu, ici à Gao, le 18 janvier. Chacun s’en souvient. Ce fut l’horreur !
Oui, mais cette vidéo d’Iyad Ag Ghali avec ses comparses, cette extension des embuscades dans le centre du pays, n’est-ce pas le signe que l’Etat malien est en train de reculer ?
Non, l’Etat malien ne recule pas. L’Etat malien, comme tous les Etats du monde, est sous cette menace-là et je crois que, quand il y a un attentat sur le pont de Londres, quand il y a un attentat sur la promenade des Anglais, ce n’est pas un signe de recul de l’Etat français ou de l’Etat anglais. L’Etat malien ne recule pas.
Voilà deux ans que l’accord d’Alger a été signé et les forces rebelles ne sont toujours pas intégrées à l’armée malienne. On sent une certaine impatience chez Emmanuel Macron quand il dit qu’il faut « accélérer ».
Nous en avons parlé et je lui ai dit ce que je pense sur ce sujet-là. Il n’y a aucune volonté de traîner le pas côté malien. Nous serions les plus sots du monde de le faire. Il faut que nos frères acceptent d’avancer au même pas que nous. Mais beaucoup a été fait. Il y a eu la mise en place des autorités intérimaires, de nouvelles zones ont été créées comme la région de Taoudéni ou encore la région de Ménaka. Tout cela va avancer et le président Macron semble déterminé et décidé à nous aider, avec beaucoup de force.
Avec le président Macron, on croit comprendre qu’il faut accélérer aussi le G5 Sahel. C’est vous qui présidez justement ce groupement. Mais pour l’instant, on ne voit rien sur le terrain.
Ah si ! Ah si, cher ami ! Hier seulement, nos chefs d’état-major généraux étaient encore en conclave. La force conjointe est en train de devenir une réalité sur le terrain.
Dans la zone des trois frontières ?
Absolument, et donc j’ai eu le souci également d’en parler avec lui – au nom de mes collègues, de mes pairs – et j’ai noté le souhait du président Macron pour que nous nous réunissions, dans les meilleurs délais, avec lui, pour connaître les affaires du G5 Sahel et qu’il voit concrètement comment la France pourrait aider à son impulsion.
Un sommet G5, à Bamako, d’ici la fin du mois de juin avec Emmanuel Macron, c’est possible ?
Il l’a souhaité. Il l’a souhaité et nous ferons en sorte que oui. Je vais en parler avec mes collègues dans les jours qui viennent, m’entretenir avec eux et selon les agendas des uns et des autres, nous verrons quel est le moment qui sera le plus idoine pour que nous nous réunissions avec le président Macron.
A Bamako, puisque c’est vous qui présidez ?
Absolument.
« Il faut dialoguer avec les extrémistes religieux du Nord-Mali, en l’occurrence Iyad Ag Ghali », dit l’une des recommandations de la Conférence d’entente nationale du 27 mars dernier. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Aucune recommandation de la Conférence d’entente nationale n’a dit cela. La Conférence d’entente nationale n’a pas été actée. Un des participants à la Conférence d’entente nationale a tenu de tels propos. C’est son souhait, sa liberté mais cela n’a pas été acté comme résolution de la Conférence d’entente nationale. Aujourd’hui, vu le rôle que joue le monsieur dont vous avez parlé, ce n’est pas une mission de paix, ce n’est pas une mission au service des peuples mais une mission de terrorisme absolu, d’assassinat des gens. Une telle éventualité est à exclure. C’est clair.
Monsieur le président, vous refusez de signer, avec l’Union européenne, un accord de réadmission, dans votre pays, de vos compatriotes qui sont en situation irrégulière en Europe. Mais pendant la campagne française, le candidat Macron nous a dit qu’il était pour ce type d’accord et que la situation actuelle des sans-papiers était à ses yeux « un marché de dupes ».
Est-ce que vous en avez parlé, ce vendredi ?
Je crois que nous allons l’évoquer. Nous avons suivi la campagne française et nous savons que ce dossier a été un enjeu. D’aucuns ont voulu en faire un fonds de commerce, à la petite semaine. Je ne rentre pas dans le débat franco-français mais j’ai le souci des miens. Je ne souhaite pas qu’une mauvaise solution à cette question-là puisse leur réserver un sort très funeste dans certains pays où ils pourraient être transportés, par décision européenne.
Donc, nous allons examiner la question et voir, avec les autorités françaises et européennes, laquelle sera la meilleure pour nous, les nôtres. C’est l’intérêt des Maliens qui m’intéresse et m’importe le plus. Je ne méconnais pas pour autant les contraintes qui sont celles faites aujourd’hui à nos amis européens.
Source : RFI