Retour sur les hypothèses constitutionnelles en cas de vacance de pouvoir au Mali
L’état de santé du président Ibrahim Boubacar Keita, et ce depuis son élection au pouvoir, alimente fantasmes et interrogations. Pendant que certains trouvent que le « Kankelen Tigui » a perdu de sa superbe et de sa rigueur du temps où il était Premier ministre sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré, d’autres estiment, tout simplement, que le poids de l’âge est bien trop lourd à porter pour un président qui dirige un pays convalescent. D’où une gouvernance que d’aucuns qualifient à pas de tortue. L’opération du Chef de l’Etat de l’adénome de la parathyroïde, le 12 avril 2016, a remis à l’ordre du jour la supposée santé fragile d’IBK. Et la question que tout le monde murmure est l’éventualité d’une incapacité absolue et définitive d’IBK à poursuivre le reste de son mandat se pose, plus que jamais, avec acuité. Sur le plan strictement juridique tel que prévu par la Constitution du 25 février 1992, si le président en exercice n’était plus en mesure de remplir ses fonctions, notre Démocratie serait dans une situation inédite? Retour sur les hypothèses constitutionnelles en cas de vacance du pouvoir.
La gestion d’un Etat est une chose très sérieuse et exige des anticipations, des réflexions que si elles ne sont pas comprises peuvent être mal interprétées. Il en est ainsi de l’hypothèse que nous développons dans cet article qui essaie, pour des raisons d’exigences universitaires, de passer aux peignes fins les dispositions constitutionnelles de l’article 36. Il dispose que : « Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre. En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée Nationale. Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans.
L’élection du nouveau Président a lieu vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement. Dans tous les cas d’empêchement ou de vacance il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42 et 50 de la présente Constitution. »
En lisant entre les lignes, l’on peut dire que jusqu’ici les autorités maliennes ont agi dans la légalité. La convalescence du président IBK en France pouvait être qualifiée d’empêchement « de façon temporaire de remplir ses fonctions ». Et les maliens ont constaté de visu que c’est le Premier ministre, Modibo Keita qui tenait en ce moment l’essentiel du pouvoir. Un exercice qui devra durer jusqu’au retour en pleine forme du président IBK.
Néanmoins, dans le cas où la convalescence du Chef de l’Etat cacherait un problème de santé plus grave et que, les jours suivants, il soit tout simplement dans l’incapacité d’assurer ses prérogatives de Chef d’Etat, ce sera au Premier ministre et au Président de l’Assemblée Nationale d’agir. Ils devront saisir la Cour Constitutionnelle qui, à son tour, constatera la « vacance du pouvoir » ou « l’empêchement absolu et définitif » de la Présidence de la République. Le président du Parlement malien, en l’occurrence l’honorable Issiaka Sidibé exercerait donc les fonctions du président de la République.
Il aura, dans cette hypothèse que nous ne souhaitons du tout pas, la redoutable tâche d’organiser une élection présidentielle « vingt et un jours au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement » par la Cour Constitutionnelle.
A noter que durant cet exercice, l’honorable Issiaka Sidibé ne pourra jouir de certaines prérogatives essentiellement réservés à un président de la République cités dans les articles 38, 41, 42 et 50 de la Constitution. Il s’agit de nommer le Premier ministre, de nommer les autres membres du gouvernement et de mettre fin à leurs fonctions.
Il s’agit aussi de pouvoir organiser un référendum sur des questions d’intérêt national par exemple. Interdiction lui est également faite de dissoudre l’Assemblée Nationale. Enfin, il ne peut prendre des mesures exceptionnelles dans le cas où l’intérêt supérieur de la Nation est menacé. Sur ce point, nous pouvons constater que le bref délai de 21 jours au moins à 40 jours au plus, est une période extrêmement fragile pour la Nation. Et dans le contexte socio-politique toujours complexe du Mali, il faudra toute la maestria du désormais président par intérim et tout l’engagement de la société malienne de manière générale pour que l’élection présidentielle se déroule sans accrocs.
Malgré les dispositions constitutionnelles, le Mali s’en trouverait toujours en risque
Si sur le plan juridique, tout ou presque a été prévu pour pallier à une incapacité, partielle ou définitive du président de la République à exercer le pouvoir, dans la pratique, des risques sont à craindre. Et les vieux démons du passé pourraient effectuer leur grand retour, au grand désarroi du malien lambda. D’abord, il faudra se demander si le délai de 21 à 40 jours est suffisant pour organiser une élection présidentielle. L’on se rappelle que ce délai avait été prolongé lors de la transition du président par intérim, Dioncounda Traoré. Certes le pays, à l’époque, vivait encore la grande crise, mais les séquelles perdurent encore de nos jours. Ensuite, le leadership et les qualités intrinsèques de l’actuel président de l’Assemblée Nationale font l’objet de doutes de la part de bon nombre de ses pairs mais aussi et surtout de la masse populaire.
Pourra-t-il valablement assurer l’intérim sans écorner la Loi fondamentale du Mali et sans « tenter le diable ». Il n’est pas à exclure, nous touchons du bois et que Dieu nous en préserve, que si son intérim devait s’apparenter à sa gestion de la présidence de l’Assemblée Nationale, qu’un autre coup d’Etat ne survienne. D’autant plus qu’il est reconnu de tous les politologues que tout putsch survient comme la sanction d’une gouvernance toujours défaillante. Un épisode qui sera un bâton de plus dans les roues d’un Mali qui avance déjà bien difficilement.
La santé du président de la République, un dossier classé secret défense
Les maliens ne demandent qu’à savoir la vérité sur l’état de santé réel de leur président. Mais, il n’est pas si simple de communiquer sur l’état de santé physique, mental et moral d’un Chef d’Etat. Les questions de protection de vie privée des personnalités politiques diffèrent d’un système juridique à un autre. Il en va autrement selon qu’on soit dans le système anglo-saxon ou de droit latin. Toujours est-il que la maladie des Chefs d’Etat est entourée du plus grand secret.
Ainsi, le docteur Pierre Rentchnik et Pierre Accoce avaient fait des révélations fracassantes dans leur ouvrage « Ces malades qui nous gouvernent », à la fin des années 1970. Sur le président Roosevelt : «Franklin Roosevelt était malade à Yalta. Mais qui sait que sa tension artérielle atteignait alors trente à son maximum, oblitérant dramatiquement sa lucidité dans la négociation capitale qu’il engageait avec Staline sur le partage du monde?». Et aussi sur John Kennedy, autre président célèbre des Etats-Unis: «Personne encore n’avait révélé que le président John Kennedy passait couché la moitié de ses journées atteint d’une grave maladie des glandes surrénales, à l’époque même ou Khrouchtchev installait les fusées soviétiques à Cuba.»
Autre exemple édifiant. Dans « Le Grand Secret », l’écrivain Michel Gonod et le docteur Claude Gubler, médecin personnel de François Mitterrand, avaient levé le voile sur ce qui était longtemps demeuré un secret d’Etat en France : «Le 16 novembre 1981, six mois après son élection à la présidence de la République, des examens médicaux révèlent que le premier président socialiste de la France était atteint d’un cancer de la prostate.» Ce qui ne l’avait pas empêché d’aller au bout de son premier septennat et d’en boucler un second.
Sur le continent noir, les exemples de présidents malades sont nombreux : le président bissau-guinéen Malam Bacai Sanha, le président ivoirien Félix Houphouet Boigny, le roi Hassane II du Maroc, le Général Eyadema Gnassingbé, le président gabonais Oumar Bongo Ondimba ou encore Umaru Musa Yar’Adua, le président du Nigéria. La liste est longue et tous gouvernèrent étant gravement malade. Tout près du Mali, le président algérien, Bouteflika, atteint d’une grave maladie qui l’immobilise dans une chaise roulante, exerce le pouvoir.
En définitive, pour l’intérêt supérieur d’un Mali encore convalescent, toute idée de vacance du pouvoir ou même d’empêchement n’est nullement la bienvenue. Le meilleur des scénarii pour le bonheur du pays serait que le président Ibrahim Boubacar Keita ait une santé la meilleure possible pour continuer le reste de son mandat. La stabilité sécuritaire, institutionnelle et sociale du Mali en dépend.
Ahmed M. Thiam
thiam@journalinfosept.com