Tout l’ancien canton du Folona (cercle de Kadiolo) a été affligé par l’annonce de son décès. Eh oui, Monsieur Checkna Traoré dit «Checknè Golona» ou «Karatabugu Zié» s’est éteint dans l’après-midi du jeudi 21 mars 2019 à Kadiolo (480 km au sud de Bamako) où il profitait d’une agréable retraite amplement méritée. Le monde scolaire de ce cercle perd ainsi un grand homme, un éducateur hors pair.
Pionnier de la vulgarisation de l’éducation, avec aux moins six écoles ouvertes dans le cercle, Checkna Traoré fut un grand éducateur aussi bien à l’école qu’en société et en famille. D’un commerce agréable, celui qui fut un père pour beaucoup d’entre nous ne pouvait pas souffrir de voir un enfant prendre un mauvais chemin, qu’il le connaisse ou non.
Il fut donc une lumière pour beaucoup d’enfants pendant des décennies dans le cercle de Kadiolo !
Dans le Folona, il était «N’Golona Cheickné» (chef lieu d’une commune rurale du cercle de Kadiolo où il a passé une grande partie de sa carrière d’enseignant) ou «Karatabugu Zié». Karatabugu en référence aux hangars entourés de haie morte où il a dispensé ses leçons dans certaines localités. Chez les Sénoufos (les maîtres des Miniankas et les tuteurs des Ganas), «Zié» désigne le premier fils. Dans «Karatabugu Zié», il faut comprendre le pionnier, le précurseur de l’instruction, de l’éducation classique.
Oui, Checkna Traoré fut «Karamoko», un pionnier de l’enseignement, un précurseur de l’instruction. Monsieur Checkna, comme tous ces braves et courageux anonymes, ont accompli leur fonction avec passion, abnégation, persévérance…. Et cela dans les pires conditions de l’exercice de ce noble et exaltant métier d’enseignant dans des zones où il fallait être dissuasif et persuasif pour amener et garder les enfants à l’école. Oui, ils ont éduqué des gosses dans ces zones où on est souvent convaincu que les garçons sont plus utiles au champ et les filles au foyer à côte de leurs mamans ou chez les époux rejoints la plus grande précocité.
Ces Maîtres (et Maîtresses) et professeurs sont restés en classe avec la craie au moment où, sous la seconde République, les enseignants cumulaient des mois et des mois d’arriérés de salaires. Ils venaient dispenser leurs leçons souvent avec la douleur morale de n’avoir rien laissé à manger à leurs enfants. Le plus souvent, leurs épouses se sont montrées braves pour les aider à faire en sorte que la marmite continue à bouillir dans le foyer.
Je n’oublierais jamais cette scène dont j’ai été témoin alors que je faisais la 3e année fondamentale (CP1). Un matin notre maîtresse (Mme Sidibé Oumou) est arrivée en classe totalement bouleversée. Elle est restée de longues minutes la tête baissée sur la table comme si elle était incapable de nous regarder dans les yeux. Inquiets, nous (un petit groupe) sommes rapprochés d’elle pour lui demander ce qu’elle avait et si nous devrions informer la direction.
C’est en ce moment qu’elle a fondu en larmes en disant que cela faisait deux jours qu’elle ne mangeait pas (son mari était aussi dans la même galère car professeur d’anglais au second cycle) car trouvant à peine de quoi nourrir ses enfants. Ce jour, elle n’avait même pas de quoi leur donner à manger.
Nous étions des gosses, mais peu d’entre nous ont retenu les larmes ce jour. Elle venait nous dispenser tous les jours l’instruction, mais nous étions loin d’imaginer le sacrifice qu’elle consentait ainsi.
Quelques minutes après, elle avait surmonté sa douleur et se dressait fièrement devant nous pour donner ses leçons. Et par la suite (à son insu) nous avons organisé une collecte pour la soutenir.
Mme Oumou Sidibé était de cette génération d’enseignants du devoir. Tout comme Dialakoro Danioko, Checkna Traoré, Dotienga Traoré, Kassoum Koné, Zana Sanogo, Nanfaga Ouattara, Fadiala Coulibaly, Abdoulaye Bamba (décédé il y a quelques jours aussi), Kariba Sanogo, Fampi Sanogo, Dramane Berthé, M. Ndiaye, Ambroise Konaté, Kéné Kodio, M. Bagayogo, Karidjigué Sissoko… Et beaucoup d’autres (connus de vous et de moi ou anonymes) grâce à qui nous sommes devenus ce que nous sommes de nos jours.
Beaucoup de ces enseignants-patriotes ne sont plus de ce monde. Mais, ils se sont éteints avec la légitime satisfaction du devoir accompli.
Une mission assumée et accomplie sans autre attente que la fierté de contribuer à l’épanouissement intellectuel des enfants et d’apporter sa pierre dans l’édification d’une nation instruite. Ils n’espéraient même pas la reconnaissance des parents ou des élèves qui ont réussi, à plus forte raison celle de la nation. Leur récompense était la satisfaction morale de dire que tel ou tel fut mon élève ou j’ai enseigné tel cadre qui fait aujourd’hui la fierté de sa famille et du pays.
Pour cela, la patrie ne leur sera jamais assez reconnaissante. Que ceux qui ne sont plus de ce monde reposent en paix dans la grâce éternelle du Tout Puissant, le Très Miséricordieux.
Dors en paix mon papa Cheickna Traoré. Puisse Allah faire de cette douloureuse épreuve une source de raffermissement de la foi pour mes frères et sœurs, et aussi pour mes mamans éplorées, Djénébou et Ami Diallo !
AMEN !
Moussa Bolly