Signe de la prudence observée à Paris, le déplacement a été différé à plusieurs reprises: ce devait être en décembre, puis mars, puis mai. Au final, la Tunisie sera le dernier pays du Maghreb où le président met les pieds. Après l’Algérie, où il avait évoqué «des révolutions [qui] ont apporté l’espoir, mais aussi soulevé des inquiétudes». Après le Maroc, dont il avait salué la «stabilité».
En Tunisie, Hollande vient soutenir un processus de transition «qui a ses succès et ses difficultés, note-t-on à l’Elysée. Il est normal que la France apporte son soutien, non pas à tel ou tel parti, mais à l’ensemble du pays.» «On ne peut pas dire qu’on soutient le processus de transition et venir quand tout est fini», défend une source de l’ambassade à Tunis, qui raconte les pressions dont fait l’objet cette visite, de toutes parts.
Caution
Car le principe même de sa venue ne fait pas l’unanimité: au sein même du parti socialiste, de la diplomatie et dans l’opposition tunisienne, certains ne voient pas d’un bon oeil une visite perçue comme une forme de caution à la coalition dominée par les islamistes d’Ennahda.
«Le président Hollande devrait user de l’influence de la France, comme partenaire économique clé et comme allié stratégique, pour faire pression sur la Tunisie pour qu’elle protège la liberté d’expression», a interpellé de son côté Human Rights Watch dans un communiqué, tout comme la FIDH, Amnesty,…
Les ONG égrènent dans leurs lettres ouvertes les nombreux cas préoccupants: celui du jeune Jabeur Mejri, condamné à sept ans et demi de prison pour des caricatures du prophète publiées sur Facebook. Celui de son ami Ghazi Béji, qui vient d’obtenir l’asile politique en France, pour les mêmes raisons. Ou encore celui d’Amina Sboui, la jeune Femen maintenue en détention provisoire depuis un mois et demi, rejugée ce jeudi devant la cour d’appel. Et puis la justice transitionnelle qui tarde, la constitution qui peine à s’écrire et inquiète encore sur plusieurs points, malgré les avancées,…
Sont, en revanche, sortis de la liste le rappeur Weld el 15, dont la peine de deux ans de prison ferme vient d’être commuée en six mois de sursis. Ainsi que les Femen européennes, libérées et expulsées la semaine dernière.
Gros chantiers
François Hollande s’entretiendra avec chacun des trois présidents qui chapeautent la coalition: celui de la République, Moncef Marzouki, celui du gouvernement, l’islamiste Ali Larayedh, et celui de l’Assemblée, le socialiste Mustapha Ben Jaafar.
Accompagné de dix ministres et d’une quarantaine de patrons, il signera une vingtaine d’accords et «réinsufflera de la confiance aux chefs d’entreprise» espère Habib Gaida, président de la chambre de commerce tuniso-française, inquiet de la frilosité française, quand Turcs, Italiens, Américains s’activent. Et que de gros chantiers s’annoncent, après les élections. «Nous sommes le premier partenaire de la Tunisie et nous entendons bien le rester», avait martelé le chef de la diplomatie Laurent Fabius en mai. Hollande devrait également faire des annonces sur la reconversion de la dette tunisienne et sur la récupération des biens mal acquis.
Lors de son passage à Sidi Bou Saïd, haut-lieu du tourisme, dans la banlieue de Tunis, le président devrait tenter de rassurer les vacanciers français, premiers clients d’une industrie touristique – française comme tunisienne – qui souffre de leur désertion. Il devrait aussi faire un détour par le célèbre mausolée soufi du village, ravagé par les flammes, au moment de la vague d’attaques de zaouias en début d’année.
Le chef d’Etat français prendra également soin de rencontrer les leaders de l’opposition et une ribambelle de personnalités de la société civile. Parmi les invités, l’avocate Radhia Nasraoui, la militante de toujours; sa consoeur Saïda Akremi, engagée de longue date dans la défense des prisonniers politiques, aux côtés de son mari Noureddine Bhiri, aujourd’hui au gouvernement; ou encore Habib Kazdaghli, le doyen de la faculté de la Manouba, qui a résisté à l’activisme violent d’étudiants jihadistes, avant de faire l’objet de poursuites ubuesques en justice, etc.
Incidents diplomatiques
La visite ambitionne aussi de «placer les relations entre les deux pays sur un plan plus convenable», attend Azyz Krichène, conseiller du président Marzouki.
Les propos de Michèle Alliot-Marie, qui avait proposé une «coopération» à la police tunisienne face au soulèvement populaire, symbolisent toujours, aux yeux de nombre de Tunisiens, cette France officielle qui a soutenu le régime de Ben Ali.
Certes, l’élection de François Hollande a été accueillie avec soulagement, toutes tendances politiques confondues. Mais les relations avec Ennahda restent empreintes de méfiance réciproque, d’autant que les incidents diplomatiques ne se sont pas arrêtés: dernier en date, les propos de Manuel Valls sur le «fascisme islamique», après de l’assassinat de Chokri Belaid, ont été vite instrumentalisés par Ennahda, alors traversé par de profonds clivages. «France dégage», «ingérence plus jamais ça», ont-ils crié dans leurs manifs, ressoudés autour de ce slogan.
«On n’a pas encore trouvé de nouvel équilibre dans nos relations», note de son côté le franco-tunisien Selim Kharrat, directeur de l’ONG al-Bawsala. Il attend de la France «une nouvelle posture» et une «meilleure compréhension du contexte tunisien».
François Hollande détaillera sa vision de la transition tunisienne demain, lors d’un discours à l’assemblée constituante, moment phare de sa visite.
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