Monsieur le Premier ministre,
Le lundi 25 juin 2012, j’ai fait déposer à votre cabinet une lettre vous suggérant l’organisation d’une Concertation nationale en vue de permettre aux acteurs de la vie politique malienne de se retrouver au tour d’une table pour discuter des graves problèmes, auxquels notre pays est confronté et qu’ensembles nous cherchons les voies et moyens d’une sortie de crise. À l’issue de ces concertations, je vous proposais de constituer un Gouvernement d’union nationale.
Je ne sais pas si ce courrier vous est parvenu, en tout cas je n’ai reçu aucune suite à cette démarche de bonne foi.
Aujourd’hui, j’apprends par les médias qu’un mini-sommet de la Cédéao se tiendra ce samedi 7 juillet 2012, pour échanger avec les partis politiques et les représentants de la société civile, sur la situation du Mali et la constitution d’un Gouvernement d’union nationale.
Ce mini-sommet, s’il était confirmé, appelle de ma part les réserves suivantes. D’abord, il ne serait pas précédé de véritables consultations entre les forces vives du Mali. Le risque est grand, comme dernièrement à Ouagadougou, que la partie malienne aille étaler ses divergences et ses contradictions, voire aller s’affronter hors de chez nous. Ensuite, le cours délai de préparation, sinon l’impréparation, pourrait nous amener à accepter une feuille de route approximative, sans contenu détaillé, qui risque de se buter à des difficultés insurmontables dans son application. Enfin, le gouvernement d’union nationale, dont le contour sera défini au cours de cette rencontre, risque d’être un club de personnalités politiques jouant les partitions propres à leurs formations originelles au détriment de l’efficacité et de la solidarité de l’action gouvernementale. Un gouvernement qui pourrait être perçu par les Maliens comme étant conçu à l’étranger. Notre fierté nationale a pris suffisamment de coups ces derniers temps pour éviter d’en rajouter aux yeux de notre Peuple.
De surcroit, les enjeux sont si importants que la précipitation, corollaire souvent de fautes, ne peut pas être de mise. Si vous louper la dernière chance de constituer un gouvernement solide, efficace, travailleur, capable de faire face aux énormes difficultés auxquelles notre pays est confronté, alors vous prendrez la responsabilité de plonger le Mali dans une impasse durable. Que nous Dieu nous en préserve! Face à ces sérieuses menaces, je vous propose une démarche alternative. Elle passe par le report du mini-sommet d’Ouagadougou, en adressant nos humbles excuses aux Autorités des pays frères. Il conviendrait alors de remercier les dirigeants de la Cédéao de tout l’effort entrepris pour notre pays, en leur expliquant de nous laisser un peu de temps afin que nous puissions nous mettre d’accord entre nous Maliens.
La véritable Concertation nationale que j’appelle de mes vœux, à laquelle devraient être conviés les représentants des principaux partis politiques, des associations de la société civile, des forces de défense et de sécurité, a pour termes de référence :
1. L’élaboration et l’adoption d’une feuille de route claire pour le Gouvernement de la Transition. Les objectifs à atteindre sont connus : la restauration de l’intégrité du territoire national et l’organisation d’élections libres, transparentes et crédibles, auxquelles pourrait être ajouté un 3ème objectif : celui de l’assainissement de la gestion des fonds publics. Il reste à préciser les moyens et les méthodes pour atteindre les objectifs arrêtés, ainsi qu’un chronogramme de réalisation des actions. Concernant le dernier objectif proposé, le Gouvernement devra procéder à l’audit des services publics par un cabinet international.
2. L’évaluation et l’adoption d’un calendrier réaliste de la Transition
3. La définition des rôles et des prérogatives des divers organes de la Transition
4. La définition des principes directeurs relatifs à la composition du Gouvernement d’union national
5. La réaffirmation de l’engagement qu’aucun dirigeant, président, premier ministre, membres du Gouvernement de la Transition ne pourra pas se présenter à la prochaine élection présidentielle, conformément à la déclaration des forces vives du Mali, adoptée le 13 avril 2012 à Ouagadougou.
Pour atteindre ces objectifs, des concertations préliminaires et une bonne préparation sont déterminantes. En conséquence, je voudrais vous suggérer les actions préalables suivantes :
(i) rencontrer individuellement un groupe restreint, composé de 3 représentants, de chacune des principales formations politiques et des organisations de la société civile de notre pays, pour connaître les points de vue des uns et des autres;
(ii) constituer une équipe de 10 d’experts, sélectionnés parmi les représentants des organisations consultées, au besoin avec l’assistance technique du Secrétariat exécutif de la CEDEAO. Cette équipe technique aura comme mission d’élaborer les synthèses des différentes positions et de procéder aux exercices de rapprochement nécessaires;
(iii) sur la base des travaux des experts, établir un rapport consensuel sur chacun des objectifs de la feuille de route, ci-dessus énumérés;
(iv) organiser une pré-réunion de concertation en vue d’échanger le projet consensuel de la feuille de route avec les groupes des forces vives, initialement rencontrés;
(v) organiser à Bamako, une Concertation nationale élargie, en vue de faire adopter la feuille de route par la majorité des organisations participantes;
(vi) soumettre la feuille de route à l’Assemblée nationale du Mali, au Président en exercice de la CEDEAO, à celui de l’UA et au Médiateur de la crise malienne, en vue de recueillir leurs observations et suggestions, qui pourraient être intégrer dans le document final;
(vii) définir les profils des membres du Gouvernement en fonction des objectifs de la feuille de la route;
(viii) finaliser la mise en place du Gouvernement d’union nationale, en concertation avec les forces vives
(ix) en cas de blocage, prendre ses responsabilités dans le seul sens de l’intérêt national;
(x) se mettre à la tâche avec conviction et détermination pour libérer notre pays, assainir la gestion de biens publics et organiser des élections crédibles.
Un travail intensif de 3 semaines suffirait, à mon avis, pour disposer : – d’une part d’une feuille de route largement partagée par les forces vives du Mali, par la communauté régionale et internationale – et d’autre part de constituer un Gouvernement national à hauteur de tâches.
Restant à votre entière disposition, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma plus haute considération.
Bamako, le 3 juillet 2012
Signé
Dr. Hamed Sow
L’Indicateur du Renouveau