Je rencontrais un homme simple, dont le beau rire s’éteignait lorsqu’on évoquait l’occupation du septentrion. Au moment de nous quitter, il me fit cadeau de l’enregistrement de Kanuté Ka Visa Ko. Je découvrais ses talents, son engagement artistique et militant. J’allais tout retrouver ensuite dans son livre «Un Artiste dans la cité». Habib est un bel humain.
Malien, Africain, citoyen du monde, il pose toujours un œil critique sur lui-même d’abord, sur l’immigration, sur l’Afrique en général, sur le Mali, sur le monde occidental, sur les rapports complexes entre le Continent et le monde des Blancs. Comédien très connu et apprécié au Mali, Guimba brûle aussi les planches en Europe. Jusqu’au 23 février, il est à l’affiche de la Maison des Métallos, à Paris, dans le spectacle «L’œil du Loup», mis en scène par Clara Bauer. Cette adaptation théâtrale du roman de Daniel Pennac nous plonge dans la magie d’un conte presque africain.
Habib Dembélé y incarne un enfant, au zoo, debout devant la cage d’un loup, interprété par Vincent Berger. Le loup est exaspéré, il ne comprend pas pourquoi l’enfant le fixe obstinément. Il l’invite à plonger dans son œil unique pour découvrir sa vie de loup, sa vie de loup libre en Alaska, sa vie avant que la férocité de l’Homme ne l’enferme dans cette cage. L’enfant, à son tour, invitera le loup dans son œil pour lui faire découvrir sa vie, sa vie dans son Afrique natale, sa vie d’avant. Dans l’œil de l’autre, porté par les mots de l’autre, chacun découvre l’autre, le monde de l’autre. Chacun se fond dans l’histoire de l’autre. Le spectateur y est entraîné par la magie des métamorphoses et du talent. Car du talent, Vincent Berger et Habib Dembélé en ont. Ils jouent toutes les démarches, toutes les voix, tous les rires, tous les chagrins.
Tour à tour, ils sont la meute, la mère au pelage noir, la petite louve à la robe dorée, le bédouin, le guépard, le dromadaire, l’inoubliable pêcheur inuit. Ils deviennent l’époustouflant camion surchargé, comme on en voit partout en Afrique. Le spectateur, qu’il soit adulte ou enfant, est emporté. Emporté en Alaska, sous la neige et la pluie, en Afrique jaune, en Afrique grise, en Afrique verte. Il est le loup traqué, l’enfant perdu et émerveillé. Le public subit la déforestation. Il souffre de la mondialisation comme le loup et l’enfant. Il marche à leurs côtés jusqu’à «l’autre monde». Il s’identifie aux personnages. Il vit le destin du loup et celui de l’enfant, finalement enfermés, l’un dans une cage, l’autre dans un monde qui n’est pas le sien. Le spectateur comprend vite que le 3ème personnage, l’accessoiriste, joue son propre rôle quand il apporte un énième costume aux comédiens, ou quand il les interrompt comme s’ils étaient en répétition. À vue, il bouge les éléments du décor, et actionne la machinerie du théâtre. «L’œil du Loup» est une pièce de théâtre sur le théâtre. C’est du grand théâtre, du théâtre magique, du théâtre comme on l’aime.
Du théâtre qui émeut, qui enchante, qui fait rire. Le public parisien se lève pour applaudir quand les lumières se rallument. Il ne reste plus qu’à espérer que le projet d’emmener «L’œil du Loup» au Mali devienne réalité, afin que le merveilleux de ce conte participe à la redynamisation de la vie culturelle malienne, sévèrement mise à mal depuis janvier 2012.
Françoise WASSERVOGEL
SOURCE: Le Reporter du 12 fév 2014.