Près d’un an après une difficile grève de la faim, c’est la consternation pour les 442 grévistes sans-papiers de l’Église du Béguinage et de l’université de Bruxelles. Seules 12% des demandes de régularisation déposées à la fin du mouvement ont reçu l’aval des autorités. Une issue consternante, symptôme d’une politique d’immigration belge de plus en plus restrictive.
Ils avaient investi l’église du Béguinage et des locaux des universités bruxelloises. Pour protester contre l’entêtement des autorités à leur refuser un titre de séjour, 475 sans-papiers au total avaient entamé, en mai 2021, une grève de la faim. Un an plus tard, « sur les 442 dossiers de régularisation humanitaire introduits [un recours offert à tout exilé en situation vulnérable ndlr] seules 55 décisions positives ont été prises, soit environ 1 dossier sur 8 », indique le CIRÉ, une association dédiée à la défense des droits des personnes exilées, dans un communiqué.
L’Office des étrangers, en charge de la délivrance des titres de séjours avance, lui, « 53 dossiers » ayant reçu une réponse positive. Sachant qu’un seul dossier pouvait concerner plusieurs individus, une personne avec ses enfants par exemple. »Cette issue est très décevante et attriste beaucoup les grévistes, regrette Ahmad Manar, porte-parole des sans-papiers du Béguinage. Les gens sont en colère, ils se sentent humiliés par le gouvernement qui leur avait fait des promesses, mais qui n’a absolument pas respecté sa parole ». Après deux mois de mouvement, et une très forte dégradation de la santé des grévistes, un accord oral avait été passé entre eux et le gouvernement. Ce dernier leur avait promis d’étudier tous les dossiers, au cas par cas. Suscitant pour les sans-papiers l’espoir d’une régularisation après, pour certains, des années de combat.
« Des boulangers, des électriciens, des couturières »
Mais aujourd’hui, c’est donc la consternation qui prime chez les grévistes comme les associations. Car des personnes qui ont obtenu une réponse positive à leur dossier ont présenté les mêmes arguments que les sans-papiers dont la demande n’a, pourtant, pas abouti. « Des parents célibataires avec enfants ont été régularisés. D’autres, pourtant dans la même situation, ne l’ont pas été, affirme Sophie Devillé, du service politique du CIRÉ. Des exilés qui avaient obtenu un titre de séjour en 2009 – à la suite d’une autre grève de la faim – et qui l’ont perdu ensuite, ont eux aussi obtenu satisfaction. D’autres grévistes, qui présentaient exactement le même profil, ont reçu une réponse négative ».
Des résultats conséquents d’une procédure « opaque » et « arbitraire » que dénoncent de concert les associations. D’autant plus que « parmi les exclus de la régularisation, il y a d’anciens étudiants, qui ont passé plusieurs années en séjour légal en Belgique. Des personnes dont toute la famille vit ici légalement depuis très longtemps […] Des boulangers, des pâtissiers, des électriciens, des infirmiers, des couturières… qui ont tous en commun que leur vie est ici », explique un communiqué du CIRÉ.
Ces critères sont justement présentés comme « favorables à une réponse positive » par Dominique Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers. Mais elle reconnaît qu’en Belgique, « la loi ne fixe pas de critères d’obtention du titre de séjour. Ce sont des éléments en balance, une conjonction d’arguments qui vont influer l’issue de la demande, dans un sens ou dans l’autre ». « Toutes les personnes qui ont présenté des dossiers ont fourni des preuves de leur ‘ancrage’ à la société belge, martèle pour sa part Ahmad Manar. Elles collaient aux lignes directrices fixées en juillet par le gouvernement, via leur travail, leur implication dans l’économie. Mais on l’a vu : les diplômes, les années passées ici, le travail … tout cela n’a finalement pas pesé lourd dans la balance ». Dera, un Algérien de 30 ans qui dormait encore dans l’église du Béguinage six mois après la grève n’a jamais reçu de réponse des autorités. En décembre, il avait assuré à InfoMigrants n’être « jamais resté sans rien faire ». Depuis son arrivée en Belgique en 2015, il enchaîne toute l’année les missions dans le bâtiment et la pâtisserie. « Je sais faire tous les gâteaux vendus en boulangerie, et même les croissants ».
Nezha, une Marocaine de 52 ans arrivée à Bruxelles en 2009 a elle aussi toujours travaillé. Elle a même appris le français et le néerlandais, et s’investit dans diverses associations locales. En octobre 2021, l’avocate de cette mère de famille a reçu une copie de son dossier déposé auprès de l’administration. La mention « autorisation temporaire » était barrée, laissant comme seule autre option le refus de la demande. « On a toujours tendance à comparer, mais chaque dossier est unique, répond Dominique Ernould. Ceux des grévistes, en comparaison à d’autres dossiers de sans-papiers que nous recevons toute l’année, sont faibles ». Certains comportaient par exemple des éléments jugés « négatifs » par l’administration. À savoir le fait d’avoir commis des délits tels que des vols ou du trafic de stupéfiants. « Le travail au noir est aussi un mauvais point », ajoute la porte-parole.
Pour rappel, les sans-papiers ne peuvent, de fait, travailler de manière légale, n’ayant pas d’autorisation de séjour. Ce paradoxe les condamne à la précarité et aux petits salaires, et les rend très vulnérables à l’exploitation par le travail.
Une politique d’accueil de plus en plus restreinte
Les 423 dossiers refusés ont automatiquement été assortis d’une obligation de quitter le territoire. Et ont été invités, par la même, à rencontrer un « coach ICAM », chargé de les informer sur « leurs perspectives d’avenir durable au pays d’origine ». Le dispositif a été mis sur pied en juillet 2021 par le gouvernement. « Quand il n’y a plus de possibilité en Belgique pour ces personnes, on essaye de trouver une solution durable, en encourageant au retour », explique Dominique Ernould.
« Parler aux grévistes de retour au pays est d’un cynisme inouï, s’insurge de son côté Sophie Devillé. La plupart ont construit leur vie en Belgique et n’ont pas quitté leur pays par choix. Avec cette décision, les autorités nient jusqu’à l’existence même de ces personnes. C’est stupéfiant. Mais malheureusement, dans la ligne politique du gouvernement ».
D’après la militante, la Belgique a adopté depuis quelques années une ligne très dure au sujet de l’immigration, en restreignant par exemple les conditions d’accès légales au séjour. « Le montant des revenus pour prétendre à un regroupement familial a beaucoup augmenté », affirme-t-elle. Ce durcissement s’applique aussi aux étrangers en situation régulière. Le statut de réfugié, auparavant illimité dans le temps, vaut désormais pour cinq ans.Fin mars, le gouvernement belge a par ailleurs annoncé la construction de trois nouveaux centres fermés, équivalent des centres de rétention en France, et un centre de départ, créant ainsi 500 places supplémentaires. « Cette décision historique marque un véritable tournant. Nous créons plus de capacité de retour que jamais et pouvons faire un pas de géant dans la politique de retour de notre pays », s’était réjoui le Secrétaire d’État à la Migration, Sammy Mahdi. Chaque année, environ 24 000 personnes reçoivent un ordre de quitter le territoire belge.
Une perspective inimaginable pour les anciens grévistes de Bruxelles. Rentrer en Algérie est « tout simplement impossible » pour Dera. « Ici, je me suis fait beaucoup d’amis, des Belges, des Marocains, des Turcs, raconte-t-il. En Algérie, je n’ai plus ma copine, et j’ai même perdu mon père. Je n’ai plus personne à voir là-bas ». En juillet dernier, face à l’éventualité de retour dans son pays, Karim, un Algérien de 43 ans a tenté de mettre fin à ses jours. Désespéré par la position du gouvernement, il avait avalé plusieurs lames de rasoir.
Marlène Panara
Source: Infomigrants