Gouvernance et transparence sur l’aptitude des gouvernants : La question taboue de la santé de nos dirigeants s’invite à Bamako

 

Bamako bruit, depuis quelques jours, de rumeurs sur la mauvaise santé de certaines de nos plus hautes autorités. Pourtant, le sujet est à ce point considéré comme tabou qu’il n’est point aisé d’y mener des investigations.
Si le régime démocratique impose l’obligation pour les gouvernants de rendre compte aux gouvernés, les premiers doivent-ils informer les seconds de leur état de santé défectueux ? L’éthique politique semble le laisser penser. Cette thèse privilégie le respect vis-à-vis des mandants que sont les électeurs par rapport à l’élu qui n’est qu’un mandataire. Toutefois, l’on évoque le respect de la vie privée et surtout le secret médical pour battre en brèche cette position. Pourtant, les électeurs n’ont accordé leur suffrage qu’à un candidat sain et souhaitent vivement que ce bon état de santé lui permette de bien s’occuper de leur mieux-être.

Ainsi, si un président de la République est souffrant au point de recevoir des soins appropriés, l’obligation de transparence devrait inciter à informer le peuple. Tout comme le dirigeant a l’obligation de déclarer sa santé financière à travers la déclaration publique de son patrimoine, les populations ne comprennent pas que ceux qui les gouvernent s’obstinent à cacher leur aptitude plus ou moins détériorée à la tête de nos pays. Les récentes rumeurs de Bamako sur le sujet appellent à un bref aperçu sur le pouvoir et…l’infirmerie ailleurs.

Bouteflika au Val-de-Grâce

Le 26 novembre 2005, à l’âge de 68 ans, le président algérien  Abdel Aziz Bouteflika est hospitalisé en urgence au célèbre Hôpital du Val-de-Grâce,  dans la région parisienne, officiellement pour un « ulcère hémorragique à l’estomac ». Il existe pourtant un établissement militaire de grande réputation à Alger, l’hôpital Ain-Nadjar.  » Pourquoi donc, s’interrogea la presse algérienne, fallait-il choisir la France, alors même que le président algérien critique avec constance son passé colonisateur ? Fallait-il préserver le secret face aux opposants et aux militaires algériens ? « , lisait-on alors dans les colonnes du journal Le Monde.

Au « Val » s’installèrent les deux frères du président algérien, Mustapha et Saïd Bouteflika qui, aussitôt, empêchèrent toute visite inopportune. Même le ministre des Affaires étrangères algérien d’alors, Mohamed Bedjaoui, ne put se rendre au chevet du chef de l’Etat. Qui donc pouvait connaître l’état de santé réel d’Abdelaziz Bouteflika ?

Un an plus tôt, l’hospitalisation de Yasser Arafat, du 29 octobre au 11 novembre 2004, à l’hôpital militaire Percy de Clamart (Hauts-de-Seine) cette fois, s’était révélée autrement plus complexe. Devant les risques de troubles dans les territoires palestiniens, Jacques Chirac et la hiérarchie militaire de Percy décidèrent cependant ensemble, afin de calmer les rumeurs d’assassinat, de transmettre le dossier médical au neveu d’Arafat….

Hollande opéré de la prostate

En décembre 2013, notre consœur Laure Equy du journal français Libération écrivait : «Hollande a confirmé qu’il avait été opéré de la prostate en 2011, avant son élection à l’Elysée.» L’occasion de faire le point sur la communication des présidents de la République en matière de santé.

François Hollande a été hospitalisé « quelques jours », en février 2011 au service d’urologie de l’hôpital Cochin à Paris, pour une intervention « bénigne » de la prostate. A cette époque, il n’était pas encore président de la République et s’apprêtait tout juste à se porter candidat à la primaire socialiste. Et cette opération, très ordinaire n’a, par la suite, nécessité « aucun suivi médical ». L’Elysée n’avait donc aucune raison de le faire savoir. L’information a simplement été confirmée, dans un communiqué, après avoir été révélée par France Info. L’opposition n’a réclamé aucun compte. Pas de polémique. Seulement, le sujet de la santé de ceux qui nous gouvernent est ultrasensible. Parce que les prédécesseurs de François Hollande n’ont rien fait pour le déminer – de la maladie de Waldenström de Georges Pompidou, maquillée jusqu’à sa mort en « mauvaise grippe », au cancer de la prostate de François Mitterrand caché durant onze ans. Et parce qu’il ne peut y avoir de principe unique en la matière. A quoi sont tenus les présidents en matière de santé ?

Le président est-il obligé de rendre public son état de santé?

Non, aucune loi ne le prévoit. Lorsque François Hollande publie son bulletin de santé, comme il l’a fait en juin 2012 ou en mars 2013, il ne fait que tenir une promesse de campagne. Interrogé par Le Quotidien du médecin (du 27 février 2012), le candidat PS avait alors jugé « important que les Français aient confiance en la capacité de leur président à gouverner ». Tout en posant une limite, celle du « respect de l’intimité du président ».

Il faut dire que la plupart des Constitutions n’imposent aucun devoir de transparence du chef de l’Etat sur sa santé. La Constitution du Mali du 25 février 1992, calquée sur celle de la France de 1958, prévoit simplement que si le chef de l’Etat est « empêché », pour des raisons médicales ou autres, la plupart de ses fonctions sont confiées provisoirement au Premier ministre (au président du Sénat en France). C’est en cas de vacance du pouvoir constatée et déclarée par la Cour constitutionnelle qu’un intérim est ouvert et assumé par le président de l’Assemblée nationale.

Bruno D SEGBEDJI

 articles publiés par L’Indépendant