Paris (© 2023 Afriquinfos)- Pendant plus de 20 ans, le deuxième personnage de l’Etat en France a été un homme noir, né en Guyane : Gaston Monnerville, dont les grands-parents antillais avaient connu l’esclavage, a été entre 1947 et 1958 le président du Conseil de la République de la IVème République, et de 1958 à 1968 le premier président du Sénat de la Vème République, et premier opposant au général de Gaulle.
Gaston Monnerville est né le 2 janvier 1897 à Cayenne en Guyane française, dans une famille de fonctionnaires coloniaux issus de la Martinique. En 1912, il remporte le concours des bourses métropolitaines et obtient le droit de poursuivre sa scolarité dans l’Hexagone, à Toulouse. Élève brillant, il décroche simultanément une licence de lettres et de droit avec les félicitations du jury avant d’être primé par le ministère de l’instruction publique pour sa thèse en droit et de s’inscrire au barreau de Toulouse en 1918, puis de Paris en 1921.
En 1931, il réussit à faire acquitter les Guyanais accusés sans preuve du meurtre de l’homme d’affaire et aventurier Jean Galmot. Plébiscité par les Guyanais, il se présente en 1932 contre le député sortant, Eugène Lautier et est élu au premier tour, puis réélu en 1936, après avoir pris la mairie de Cayenne. Engagé au Parti radical et radical-socialiste durant ses études, il en devient le vice-président en 1938 et entre au gouvernement de Camille Chautemps comme sous-secrétaire d’État aux colonies entre 1937 en 1938.
Au début de la Seconde Guerre Mondiale, il dépose une proposition de loi permettant aux parlementaires de contracter un engagement volontaire. Celui-ci accordé, il s’engage dans la marine et ne participe donc pas au vote du 10 juillet à Vichy. Résistant, il est réélu député de la première et seconde Assemblée nationale constituante de la IVème République. Il y prépare la départementalisation des 4 « vieilles colonies » (la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion), qui aboutit en 1946, année à laquelle il est élu sénateur, d’abord de la Guyane durant 2 ans, puis du Lot jusqu’en 1974.
En 1947, il accède à la présidence du Conseil de la République (le Sénat de la IVème République), mais en 1953, lorsque l’élection du Président de la République s’enlise, il échoue à se faire élire, alors que, dans ces circonstances, les usages républicains réservaient habituellement cette fonction au président de la Haute Assemblée. Ses biographes écriront qu’il en sera très affecté, mettant cet échec sur le compte de sa couleur de peau, beaucoup de parlementaires français ne supportant pas qu’un homme noir puisse devenir chef de l’Etat.
S’il appuie l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958, il regrette le démantèlement de l’empire colonial, à la modernisation duquel il n’a cessé d’œuvrer depuis 1945, et, en 1962, il s’oppose fermement à la présidentialisation du régime, accusant même le Premier ministre G Pompidou de commettre une « forfaiture » en approuvant le référendum sur l’élection du Président de la République au suffrage universel sur la base de l’article 11 de la Constitution, alors que cette dernière réserve les révisions constitutionnelles à la procédure de l’article 89.
Son opposition lui vaudra l’hostilité du Général de Gaulle, et une marginalisation inexplicable autrement au sein des institutions française. Il quitte ses fonctions de président du Sénat en 1968. En 1974, il acceptera que G Pompidou le nomme au Conseil Constitutionnel. Ce seront là ses dernières fonctions officielles. Il décède le 7 novembre 1991 à Paris.
Issu de grands-parents qui avaient connu l’esclavage, Gaston Monnerville n’a jamais oublié ses origines. En 1948, lors du centenaire de l’abolition, il fait partie avec Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor des trois orateurs de la République qui honoreront la mémoire de 1848, et prononce un discours vibrant à la Sorbonne.
Source: Afriquinfos