«C’est un Pakistanais. Mais il est très pacifique», nous prévient le chauffeur. Le Pakistanais se dirige alors vers notre bus. Quand il fait son entrée, les regards de tous les occupants du véhicule se fixent sur lui. Pendant la minute du contrôle, tout devient calme. Il a le regard froid et la mine serrée. Il jette un regard à gauche et à droite pour constater si les hommes et les femmes ne sont pas assis côte à côte. En ressortant, il demande au chauffeur, en arabe: «Gao»? Le chauffeur hoche la tête pour dire oui. Il dire alors «Salamaleïkoum». Le mot de passe pour demander à la dizaine de combattants, lourdement armées, qui se trouvent devant le car, de nous laisser passer. L’atmosphère se détend et le voyage peut continuer.
Avec plusieurs heures de retard, dues à une panne à Douentza, nous atteignons Gao, le lendemain vers 9 heures. Au poste de contrôle de Wabaria, à l’entrée de la ville, il faut être patient. Le Mujoa doit d’abord vérifier les identités, fouiller l’intérieur du car, ainsi que certains sacs. Contrairement à nos forces de sécurité, ils ne prennent pas un rotin aux voyageurs. Pendant que nous attendions, un combattant du Mujao, ex-agent de police que nous connaissions depuis longtemps, nous a confié que la fouille permettait de savoir si les voyageurs transportent des cigarettes, des armes ou de la drogue. «Nous ne sommes pas là pour déranger les gens, mais plutôt pour faire respecter la charia», a-t-il ajouté, avant de prendre congé de nous.
La mort à petit feu…
Celui qui a quitté la Cité de Askia il y a plus de 6 mois, comprendra, en y entrant de nouveau, que la ville est presque morte. Les habitations sont, pour la plupart, fermées, les services de l’Etat sont cadenassés (pour ceux qui ont été épargnés par les casseurs du MNLA), les hôtels, bars et restaurants n’existent plus. La circulation est rythmée par les incessants vas-et-viens des véhicules de patrouille de la police islamique. Au centre ville, le pied à terre et le gouvernorat sont déserts. Ils portent encore les stigmates du violent conflit qui a opposé, le 30 juin 2012, le Mujao au MNLA.
Sur l’entrée principale du bureau du gouverneur, on peut voir encore la plaque du Conseil Transitoire de l’Azawad (CTA). Mais les locaux sont vides. Le seul bâtiment administratif encore utilisé par les Islamistes est la mairie. C’est leur nouveau tribunal.
Plus loin, les bâtiments de la BNDA, d’ECOBANK ou encore de la BDM-SA ont été éventrés par les lance-roquettes du MNLA avant son départ précipité. Pas de station radio qui émette sans la bénédiction du Mujao. La station régionale de l’ORTM a été littéralement saccagée par le MNLA. Certains appareils de l’ORTM, retrouvés par la suite, se trouvent actuellement dans les mains des islamistes.
Le marché Washington, lui, ne compte plus que quelques boutiques, appartenant aux Arabes et plutôt bien achalandées. Dans la rue qui mène au poste de police, on trouve quelques quincailleries tenues par les Songhoï. C’est là que plusieurs jeunes, qui ont perdu leur emploi, se retrouvent tous les jours pour débattre de la situation et se donner les nouvelles, qui tournent autour de la pauvreté, des faits et gestes quotidiens du Mujao et la passivité avec laquelle le gouvernement du Mali traite l’occupation des régions du Nord.
Parmi eux, S. Maïga. Il travaillait dans une ONG locale avant les événements. Aujourd’hui, avec le départ de tous les partenaires et le saccage des locaux par le MNLA, il peine à procurer à sa petite famille les trois repas quotidiens. «Je ne sais plus où donner de la tête. Je vis sur mes petites économies, mais je commence à m’essouffler. Je ne peux pas quitter Gao, car j’ai toute ma famille ici et je sais qu’à Bamako trouver un travail sera difficile. Nous mourrons à petit feu chaque jour qui passe. Ce n’est pas le discours politique d’opportunistes bamakois, mais la triste réalité», nous a-t-il affirmé, en nous tendant son badge. Et, quand on lui demande ce qu’il pense de l’intervention militaire du Mali face aux islamistes, M. Maïga répond: «le gouvernement du Mali n’a pas encore fini d’observer son nombril. Comment pourra-t-il venir nous délivrer de ces barbares ? Pour venir se battre, il faut relever la tête. Bamako a toujours la tête baissée… et c’est dommage»
Assis au bord du fleuve, sous une tente, Alkaly essaie de rafistoler sa vieille moto. Il apprend que nous sommes de Bamako et se presse de nous rencontrer pour exposer les difficultés quotidiennes qui l’assaillent: «je suis employé des Collectivités et je ne gagne qu’un peu plus de 40 000 FCFA par mois. On me demande, chaque mois, de rejoindre Bamako pour toucher ma paie. Le prix du transport Bamako – Gao, aller et retour, coûte 34 000 FCFA. Il ne me restera qu’environ 6 000 FCFA sur mon salaire. Avec quoi pourrais-je vivre le reste du mois?», lance Alkaly, le regard fixé sur les pêcheurs qui passent.
Des cas similaires à celui d’Alkaly nous ont été rapportés par plusieurs employés des Collectivités se trouvant dans les autres zones, en périphérie de Gao. Certains ont choisi d’attendre souvent trois mois, pour que la somme soit importante, avant de venir retirer leur argent. Nous reviendrons sur d’autres problèmes que connaissent ces travailleurs dans notre prochaine édition.
Parmi les nombreuses autres difficultés que connaissent les populations de la Cité des Askias, il y a l’approvisionnement en eau et en électricité. Depuis plusieurs mois, de 18 heures à minuit, les habitants bénéficient de l’électricité. «Pour l’eau, c’est la loterie», nous a ironiquement répondu une femme de ménage. Sans oublier d’ajouter que «le Mujao avait promis de mettre la main à la poche. Mais peut-être qu’ils n’ont pas encore échangé en CFA les millions d’Euros qu’ils ont».
…ou la solution Mujao
Pour ceux qui n’avaient pas de solution à leurs problèmes, même avant la crise, il y a d’abord eu le MLNA, puis le Mujao. Au MNLA, nous raconte Oumar, «on ne faisait que piller et voler. Il fallait se battre pour montrer sa capacité à faire régner l’ordre. Nous avions des armes, mais nous n’étions pas respectés. Avec le Mujao, j’ai appris à me maîtriser. J’ai un salaire par mois et, quand je suis malade, on me soigne».
Oumar a été muté du Gourma et fait partie des centaines de policiers du Mujao. Agé de 21 ans, il n’avait pas d’emploi et n’a pas un niveau scolaire élevé. Quand on lui demande ce que ses parents en pensent, Oumar dit tout simplement: «avec l’argent que je gagne, je peux subvenir aux besoins de ma famille. D’ailleurs, les gens du Mujao m’ont demandé de me marier et ils vont, pour cela, me donner 500 000 FCFA. Donc, mes parents ne sont pas contre». Quand nous lui demandons, à nouveau, s’il n’a pas peur de mourir, s’il advenait que le Mali attaque le Mujao, le visage du jeune Oumar s’assombrit…Puis il répond sèchement: «je ne veux pas en parler».
Hassan, lui, est natif de Gao. Dans la hiérarchie du Mujao, il est Lieutenant et il touche 200 000 FCFA par mois. Un modeste somme, qui permet cependant au jeune chef de famille de bien vivre. «Je suis ici pour tout d’abord pour améliorer mes conditions de vie. Je ne peux pas dire que les populations ici ne sont pas de bons musulmans. Je suis engagé pour un job et je le fais, c’est tout». Hors micro, Oumar nous dira que la majorité des «jeunes noirs» qui se sont engagés dans cette aventure le font pour l’argent, car le Mali ne s’occupe pas d’eux.
Avant de quitter Gao, en fin de semaine dernière, nous avons tenu à assister à la mutilation d’un homme qu’on avait accusé de plusieurs vols. Assis et ligoté dans un fauteuil, l’homme a reçu tout d’abord une dose d’anesthésie à la main qui devait être coupée, pour qu’il ne sente pas la douleur. Le bourreau s’est ensuite avancé et, après avoir prononcé le nom de Dieu, il a taillé le poignet jusqu’à l’os avec un couteau, de manière méthodique.
Ayant atteint l’articulation, il a continué jusqu’à ce que les ligaments soient bien coupés. Après environ trois minutes, la main était détachée de l’avant-bras. Scène macabre, scène effroyable. Mais, pour Abdel Hakim, porte-parole du Mujao, «c’est la justice de Dieu qui a été ainsi rendue». Abdel Hakim d’expliquer que «le Mujao ne mutile pas quelqu’un après un vol ou une tentative de vol. La personne est amenée jusqu’à trois, voire quatre fois à jurer sur le Coran qu’il ne recommencera plus. Après les trois ou quatre relaxes, si la personne récidive pour une cinquième fois, la sentence est claire…».
Après avoir assisté à cette énième mutilation, nous avons, une fois de plus, compris que les Islamistes étaient venus pour rester… pour de bon. D’autant plus que les six entités distinctes qui se trouvent actuellement à Gao essaient de renforcer leurs positions, à travers des rencontres et des actions sur le terrain.
Paul Mben de retour de Gao
Le 22 Septembre 08/10/2012