Des lignes imaginaires pour maintenir l’Afrique dans la dépendance à travers des foyers d’instabilité
Il y a presque 140 ans, s’achevait la Conférence de Berlin. Entre novembre 1884 et février 1885, des représentants européens, américains et ottomans se sont en effet réunis en Allemagne pour tracer les frontières coloniales de l’Afrique. Cette «Conférence de Berlin» est considérée comme le point de départ de la conquête coloniale et pour certains historiens, elle est aussi à la base de nombreux conflits anciens et récents. Et à notre humble avis, elles ont été et sont encore des hypothèques à lever pour l’émergence du continent à travers une vraie intégration, au moins sur le plan économique.
«L’Afrique a été partagée sans considération historique et sociale. La conférence de Berlin a causé des dégâts irréparables au continent. Certains pays en souffrent encore aujourd’hui» ! Tel était récemment le coup de gueule du Pr. Olayemi Akinwumi, professeur d’histoire à l’université de Nasarawa au Nigeria. On se rappelle que, le 26 février 1885, se sont réunis (sur invitation du chancelier Otto von Bismarck) les représentants de 13 pays européens, des États-Unis et de l’empire Ottoman pour s’accaparer l’Afrique. Au début du XXe siècle, la plupart des frontières de l’Afrique sont établies, annonçant la configuration des États à venir. Tracées au gré des puissances coloniales, ces frontières ont fait fi des réalités ethniques, linguistiques, religieuses et politiques des peuples africains.
Cette conférence de Berlin est considérée comme le point de départ de la conquête coloniale et pour certains historiens, elle est aussi à la base de nombreux conflits anciens et récents. L’Afrique est ainsi devenue un champ d’expérimentation des politiques agressives assimilées au terrorisme d’État, imaginées sans cesse dans des laboratoires d’idées consacrés à cet effet. L’histoire catastrophique créée de toute pièce par l’Occident qui se traduit par le maintien des foyers d’instabilité par-ci (les conflits permanents la région des Grands lacs en est la preuve), par là sur le continent africain, traduit la volonté logique de l’Occident et ses systèmes d’étouffer toute tentative hégémonique du continent d’assumer ses responsabilités contributives pour le développement intégré du continent au service des africains en particulier, et de l’humanité en général.
De nombreux traités bilatéraux ont été signés entre les Européens, dans les dernières décennies du XIXe siècle, faisant de l’Afrique un objet de négociations. Dans la partie orientale du continent, l’accord du 1ᵉʳ juillet 1890 engage la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Cette dernière a abandonné ses prétentions sur Zanzibar en échange de l’île d’Helgoland (mer du Nord) qui lui est restituée. L’Afrique de l’Ouest est également concernée par des actes conclus entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne (1890), la France et la Grande-Bretagne (1890 et 1898) et la France et l’Allemagne (1897).
Ces décisions diplomatiques engagent ensuite une mise en application sur le terrain africain, qui se traduit par l’envoi de commissions chargées (à un niveau local) de délimiter et de borner les frontières. Ce bornage, de façon particulièrement intéressante, a donné lieu à des formes de consultations des habitants des régions concernées, à travers des échanges et des questions posées par les membres des commissions aux autorités qu’ils rencontrent sur place. Si l’on ne peut nier la part d’appropriation de ce processus de délimitation, on peut néanmoins souligner que certaines frontières coloniales sont le reflet de dynamiques historiques anciennes et propres au continent africain.
Les frontières tracées pour le Niger ont ainsi, dans une certaine mesure, pris en compte l’existence de limites mouvantes et poreuses des territoires politiques ayant préexisté historiquement. Par ailleurs, dans d’autres espaces, l’apparition des frontières coloniales a été l’occasion (pour d’habiles souverains) de faire reconnaître leur territoire et de le faire perdurer, pour un laps de temps toutefois éphémère, alors qu’il ne l’était pas auparavant. C’est par exemple le cas du sultanat de Witu, sur la côte de l’actuel Kenya, qui voit reconnaître sa souveraineté en 1885 par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.
Une sanglante phase d’appropriation territoriale des États européens en Afrique
Le début du XXe siècle est surtout un temps de violence aiguë en raison de la conquête qui se réalise par les armes (la mal nommée Pacification d’après le vocabulaire de l’époque). Qu’il s’agisse des armées françaises face à celles de Samory Touré (dans les années 1880-1890) en Afrique de l’Ouest ou de l’écrasement des Maji-Maji en Afrique orientale allemande (1905-1907), le partage de l’Afrique est un temps d’appropriation territoriale des États européens qui cherchent à faire taire toute contestation. Toutefois, cette phase de domination n’est, à ses débuts, pas établie sur l’ensemble du continent et elle rencontre aussi de fortes résistances qui se sont déployées à travers des formes variées (par les armes, les alliances, la fuite, etc.)
D’ailleurs, au début du XXe siècle, l’Afrique a presque entièrement été partagée entre les Européens. Seule l’Éthiopie va conserver son indépendance (en dehors de la période d’occupation italienne entre 1935 et 1941), ainsi que le Libéria et, dans une certaine mesure, mais avec son histoire particulière, l’Afrique du Sud qui accède à l’autonomie en 1910. Le reste du continent est alors colonisé selon des modalités qui varient. Dans le système du protectorat (Tunisie, Maroc), la métropole maintient en droit la souveraineté antérieure, mais administre en réalité la région.
Dans les territoires français en Afrique subsaharienne, des protectorats ont aussi été mis en place, mais rapidement supprimés pour devenir des colonies. Celles-ci connaissent de divers statuts. Certaines ont été concédées à des compagnies à charte qui y exercent un monopole. Trop coûteux et provoquant des scandales dans l’opinion publique européenne, en raison du travail forcé qui s’y pratique (État libre du Congo et en Afrique équatoriale française), ce type de gestion disparaît rapidement pour laisser la place à un gouvernement direct de la métropole. Ainsi, la France regroupe ses colonies en deux fédérations : l’Afrique occidentale française (1895) et l’Afrique équatoriale française (1910). À l’intérieur même de ces territoires, des frontières sont aussi créées.
Chaque colonie est divisée en circonscriptions ou «cercles» dirigées par un «commandant de cercle». Par ailleurs, certains territoires coloniaux connaissent un sort particulier en tant que colonies de peuplement. C’est le cas de l’Algérie, que la France a conquise en 1830, qui dépend du ministère de l’Intérieur et est divisée en trois départements. C’est aussi le cas de la Namibie pour l’Allemagne et du Kenya pour la Grande-Bretagne. Précisément, à la veille de la Première Guerre mondiale, les frontières de l’Afrique sont fixées, même si quelques modifications vont avoir lieu après le conflit quand l’Allemagne perd ses colonies.
La France et la Grande-Bretagne se taillent la part du lion, tandis que le Portugal, la Belgique, l’Espagne et l’Allemagne occupent des territoires moins importants, mais néanmoins très vastes. Enfin, dans les années 1960, la plupart des pays africains deviennent indépendants. Si la question des frontières coloniales est au cœur des enjeux diplomatiques, elles ne sont toutefois pas remises en question. En effet, le principe de leur intangibilité est adopté par l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Les frontières en Afrique contemporaine se sont donc globalement stabilisées depuis le début du XXe siècle, même si des exemples récents montrent qu’elles évoluent toujours (création du Soudan du Sud en 2011). La conférence de Berlin (1884-1885) est généralement perçue comme le moment où les puissances coloniales européennes se seraient mises autour de la table pour se partager le continent africain. Cette rencontre n’a cependant pas découpé le continent, mais a davantage contribué à offrir les conditions pour le faire, à une époque où la colonisation n’est pas encore pensée comme un but en soi.
De nos jours, l’Afrique toute entière fait face à un tournant crucial de son histoire. Mais, le choix le plus judicieux serait d’aller au-delà des frontières pour se retrouver dans des espaces intégrés avec des projets concrets de développement !
Macky Cissé