Le sommet de la Francophonie, qui ne s’était pas tenu en France depuis 33 ans, ne réunit que 29 chefs d’Etat pour 88 membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Voilà un bon baromètre de la perte d’influence de la France dans le monde et plus particulièrement en Afrique.
Certes, ce rendez-vous international consacre la réhabilitation d’un haut lieu entièrement rénové de l’histoire de France : merci François 1er d’avoir imposé le français aux cours de justice avec l’ordonnance d’août 1539 et merci Stéphane Bern pour la réhabilitation de notre patrimoine.
Est-ce un paradoxe ? La première journée de ce sommet se tenait dans une ville gouvernée par un maire membre du Rassemblement National, Monsieur Franck Briffaut.
Le programme de ce sommet aurait dû être centré sur l’essence même de la Francophonie : la langue française. Or cette rencontre ne répond pas aux défis cruciaux auxquels est confrontée la Francophonie aujourd’hui. Place comme d’habitude avec Emmanuel Macron à des sociétés civiles souvent ultra-wokistes, une pseudo-élite sart-upienne issue surtout des diasporas africaines en France plus que des viviers économiques et innovants d’Afrique même : le Village de la Francophonie (au CentQuatre), le Festival « Refaire le monde » (à la Gaîté Lyrique) sont la caution « société civile » d’une bulle institutionnelle inopérante.
L’enjeu linguistique, facteur clé de l’influence et du soft power de nos jours, se retrouve noyé dans un message éclaté et abscons qui se retrouve dans l’Appel de Villers-Cotterêts des chefs d’Etat « Pour un espace numérique intègre et de confiance dans l’espace francophone » et dont la langue française n’est qu’un prétexte au lieu d’en être le but.
Seul le salon FrancoTech (à la Station F.) sauve la mise mais cela doit être l’empreinte de l »hôte des lieux, la nouvelle rock star (et futur présidentiable) Xavier Niel.
En 2024, la place de la langue française dans le monde est loin d’être ce qu’elle devrait être. Jadis une langue de prestige et de diplomatie, le français perd chaque année du terrain face à l’anglais et d’autres langues montantes, particulièrement en Afrique, où le rôle historique de la France s’efface peu à peu. Alors que la population des pays francophones ne cesse de croître, notamment en Afrique, la promotion du français stagne. Surtout parmi les élites : au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, au Liban, de plus en plus de jeunes étudiants pratiquent l’anglais plutôt que le français.
La faute à qui ? La France qui, pendant des décennies, n’a pas fait grand-chose pour promouvoir sa langue et sa culture dans le monde ? Dans les coulisses, les pays partenaires francophones eux-mêmes, année après année, se plaignent du manque d’efforts de la France et de son côté hautain et trop donneur de leçons. Le Québec en fait beaucoup plus pour la langue de Molière que Paris.
Alors qu’un tel sommet devrait avoir pour seul sujet la promotion de la langue française, on aura parlé beaucoup entrepreneuriat à Villers-Cotterêts et Paris. Certes, l’économie est un levier essentiel pour maintenir des liens entre les nations, mais à quoi bon organiser un tel sommet si l’axe principal – la langue française – est noyé dans des enjeux trop vastes?
Pour promouvoir la langue française et se tenir à cette ambition, le Sommet aurait dû réunir les réseaux d’enseignement, privés comme publics, qui œuvrent à la diffusion du français. Sans oublier évidemment les artistes, les écrivains, les acteurs culturels. Mais au lieu de cela, le sommet se perd dans des débats différents. La consolidation des lycées français, souvent malmenés, devrait être une priorité de la France.
Et pourquoi ne pas créer un réseau de collèges, de lycées et d’universités francophones privées ou publiques – privées pour capter les élites francophiles dans le monde et assurer la transmission de la langue de Molière à de nouvelles générations sur les cinq continents ? La Cité Internationale de la langue française de Villers-Cotterêts pourrait en être le Rectorat mondial et la capitale innovante et dynamique de promotion de la langue française.
Malheureusement, le Sommet de Villers-Cotterêts risque fort de n’être qu’un écran de fumée. Sans parler de l’avenir de l’Organisation Internationale de la Francophonie elle-même, dont on se demande à quoi sert-elle vraiment, et qui aurait pu aussi être au menu du Sommet de Villers-Cotterêts.
Échec africain
Emmanuel Macron, en organisant cet événement à vocation mondiale, tente aussi de recoller les morceaux de la relation de la France à l’Afrique, qui s’effiloche depuis des années.
Le sommet de Villers-Cotterêts, dont la dimension africaine devrait être forte, ne saurait effacer l’échec patent de la France en Afrique. Pendant que la France abandonne son leadership sur le continent, d’autres puissances comme les États-Unis, le Japon, l’Inde, la Russie ou encore la Chine organisent des sommets annuels avec les dirigeants africains, renforçant ainsi leur influence. Et pendant ce temps, que fait la France ? Rien. Aucun sommet Afrique-France digne de ce nom ne s’est tenu depuis qu’Emmanuel Macron est arrivé à l’Elysée.
On se souvient du pseudo Sommet de Montpellier en octobre 2021 où le chef de l’Etat avait réuni des sociétés civiles pour tenir un soi-disant Sommet africain. Mal conseillé par un pseudo Conseil présidentiel pour l’Afrique, créé en 2017 et rapidement mort-né, dans lequel quelques leaders parisiens de la diaspora africaine, affairistes et déconnectés des réalités de l’Afrique, se sont plus servis qu’ils n’ont servi l’Afrique et la France, Emmanuel Macron a manqué son rendez-vous avec l’Afrique et nui gravement subséquemment aux intérêts de la France en Afrique.
Jamais Emmanuel Macron n’a su surmonter le crime originel de l’humiliation infligée à son homologue burkinabé lors de son « fameux » discours de Ouagadougou à la jeunesse africaine en novembre 2017. Nous avions cru en « Macron l’Africain », la déception a été à la hauteur des espoirs initiaux.
Point d’orgue de cette bérézina africaine : la façon dont Emmanuel Macron a décidé seul en juin 2021 du désengagement désordonné et non concerté de la France au Sahel qui a entraîné la désintégration du G5 Sahel.
Depuis trop d’années, cette absence de dialogue stratégique avec l’Afrique est tragique, surtout dans un contexte où les anciens partenaires francophones se détournent de plus en plus de la France pour s’allier avec d’autres puissances. Ce n’est pas un sommet consacré à l’entrepreneuriat qui changera cet état de fait. Ce qu’il faut, c’est un engagement clair et des actes concrets pour revigorer le lien culturel, linguistique et politique avec l’Afrique francophone et toute l’Afrique.
Le sommet de Villers-Cotterêts est une belle occasion manquée. Un sommet pour (presque) rien, qui ne fait que masquer le déclin d’une influence que la France aurait pu préserver si elle avait su s’en donner les moyens.
Il est encore temps d’inverser la pente et de nouer des partenariats stratégiques gagnant – gagnant car le désir de français dans le monde et le désir de France en Afrique, en Amérique latine et partout dans le monde, restent puissants. On l’a vu avec le succès extraordinaire et planétaire des Jeux de Paris 2024.
La France a perdu sa relation directe et longtemps collective aux chefs d’Etat africains. Michel Barnier puis le successeur d’Emmanuel Macron sauront-ils réinventer la relation Afrique – France ?
En français bien entendu !
Michel Taube
Le français, en recul ou en progression ?
La réalité du français est en fait plus complexe : aujourd’hui quatrième langue internationale avec 220 millions de francophones dans le monde, selon l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le français pourrait bien continuer son expansion selon une étude de la banque d’investissement Natixis. Le français est parlé dans des zones du monde à la démographie très dynamique, comme l’Afrique subsaharienne. Dans quelques décennies, il devrait donc être utilisé par 750 millions de personnes. Le français deviendrait la langue la plus parlée au monde à l’horizon 2050 (la population chinoise est aussi très nombreuse, mais elle pratique des idiomes différents selon les régions).
Il faut cependant apporter des nuances à cette étude qui considère comme francophones tous les habitants des pays dont le français est la langue officielle, ce qui ne correspond pas tout à fait à la réalité : au Sénégal, par exemple, le wolof est plus répandu que la langue de Molière.
À travers la voix de son responsable Alexandre Wolff, l’Observatoire de la langue française rappelle toutefois le statut du français dans des pays où sont parlés de nombreux idiomes : langue des médias, de l’administration et des échanges économiques, elle constitue un élément fédérateur pour tous les habitants.
Selon Alexandre Wolff, en 2050, l’anglais restera probablement la langue la plus usitée au monde. Mais les pays africains présentent un taux de scolarisation croissant. Si ces pays continuent à enseigner le français aux enfants dans les années à venir, on compterait 715 millions de francophones, soit 8% de la population mondiale, en 2050. Parmi eux, 85% en Afrique.
Le français deviendrait alors la deuxième ou troisième langue la plus parlée dans le monde.
La rédaction
Diasporaction.fr