France: Le Conseil présidentiel pour l’Afrique fait son grand débat
Dialoguer avec les diasporas africaines de France pour faire remonter à l’Elysée les attentes de ces communautés est l’une des missions du CPA.
Pour ce nouvel atelier animé par le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), rendez-vous avait été donné dans la salle Colbert de l’Assemblée nationale. Assis à quelques mètres du buste de cette figure de l’histoire de France qui a supervisé la rédaction du Code noir, un jeune homme dans le public s’emporte : « C’est une blague de se retrouver là, devant lui ? » La salle applaudit. Jules-Armand Aniambossou, le coordonnateur du CPA, est ravi. Quelques minutes plus tôt, il avait conclu son discours d’ouverture en formulant un vœu : « Cet après-midi, lâchez-vous ! » Son vœu a été vite exaucé.
Actif depuis l’été 2017, le CPA est chargé de relayer au président français les attentes de la jeunesse du continent et de prendre le pouls de la diaspora africaine. Cette dernière « constitue un atout pour le rayonnement de la France », avait déclaré le chef de l’Etat lors de son discours de Ouagadougou en novembre 2017. Vendredi 22 février, à l’Assemblée nationale, l’enjeu était double : il s’agissait de repenser la question des transferts d’argent des diasporas africaines et d’imaginer des outils pour les entrepreneurs qui veulent investir dans leur pays d’origine.
« Des sans-définition-fixe »
Les témoignages du public et des intervenants ont été univoques : « Nous sommes des SDF, des sans-définition-fixe », a affirmé d’entrée de jeu Suzanne Bellnoun. A la tête de plusieurs organisations dédiées à l’entrepreneuriat féminin de la diaspora africaine, elle dénonce les difficultés que rencontrent les femmes africaines lorsque celles-ci veulent investir ou se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en Afrique depuis la France. A ses côtés, le jeune Achille Agbe, considéré comme le « génie ivoirien de la finance », confirme : « En France, il n’existe aucun cadre incitatif à l’investissement vers l’Afrique pour nous la diaspora. »
D’autres, à l’instar d’Elie Nkamgeu, le fondateur du Club Efficience, une des vitrines de la diaspora noire de France, parle d’une « double absence » à la fois du pays d’accueil et du pays d’origine. Pour ces intervenants, cela ne fait aucun doute : les diasporas africaines sont, au mieux, le parent pauvre de la stratégie française de l’aide au développement, au pire, les grandes oubliées.
Un entrepreneur d’origine camerounaise basé en région parisienne abonde dans ce sens, estimant qu’« il y a une réelle inadéquation entre la volonté politique affichée du président Macron et le banquier français qui me reçoit quand je demande des aides pour m’exporter sur le continent. Ce dernier ne connaît pas l’Afrique, il ne peut pas me comprendre ».
« Colères » et « incompréhensions »
Ce constat, partagé par les intervenants de l’atelier comme par le public, interpelle d’autant plus que la diaspora africaine est le premier bailleur de fonds des pays du continent, bien loin devant l’aide publique au développement. Ces aides prennent généralement la forme de transfert d’argent, que les proches, restés au pays, utilisent pour leur consommation quotidienne ou pour couvrir certains risques, notamment sanitaires.
Rares sont les envois productifs ou les investissements pérennes. « Chez nous, l’aide ce n’est pas une option, c’est une obligation », rappelle d’ailleurs un sociologue présent à l’événement. Si les échanges entre le public et les intervenants de l’atelier achoppent sur la manière de centraliser ces envois de fonds depuis la France, tous s’accordent pour dire que les frais de transfert, ponctionnés par « une ou deux entreprises bien connues », freinent le développement du continent.
Au bout d’une heure et demie de débats, une question plus centrale revient dans la bouche de plusieurs personnes de l’assistance : « Au fait, c’est quoi ? C’est qui la diaspora ? » Un jeune entrepreneur franco-camerounais confie son scepticisme quant à l’homogénéité de la communauté diasporique. « Moi, je suis né au Cameroun et j’aspire à y retourner, lance-t-il. Mais mon voisin, lui, est un Togolais né en France et il veut maintenant investir au Sénégal. Qu’est-ce qui nous lie ? »
Le coordonnateur du CPA, qui souhaitait que la discussion se fasse « sans tabou », prend note. Il promet de relayer au président « ces colères, ces incompréhensions », mais il formule un autre vœu : que les témoignages partagés cet après-midi débouchent sur des propositions concrètes. « Bon courage à lui pour trouver un dénominateur commun à toutes ces diasporas », glisse un participant, avant de saluer la démarche : « Au moins, maintenant, on en parle. »