le dispositif impérialiste vis-à-vis de l’Afrique. Cette spécificité tient, notamment, aux conditions particulières du processus de décolonisation.
Confronté en Afrique à une vague puissante de lutte anticoloniale, stimulée par l’indépendance de l’Inde en 47 et la victoire de la révolution chinoise en 49, De Gaulle va mettre en place un processus de décolonisation formel.
A l’exception notable de la Guinée, dirigée par Sékou Touré, l’ensemble des dirigeants africains va accepter la mainmise de l’État Français sur leur pays, ils sont donc bien loin de mériter le titre de « père de l’indépendance de la nation ».
En effet, tous les dirigeants africains francophones de cette époque étaient plus attachés à la France qu’à leur propre pays. Citons, à titre d’exemple, le courroux de Léon Mba[i] en apprenant que sa proposition de transformer son pays, le Gabon, en département français n’était pas retenu par De Gaulle.
A l’image de la doctrine Monroe, qui fit de l’Amérique Latine la chasse gardée des États-
Unis, la France va agir de même en se basant sur des accords bilatéraux, signés avec chacune de ses anciennes colonies africaines, qui permettront d’obtenir un asservissement
militaire, économique, financier et diplomatique ; ce que l’on appellera « l’indépendance du drapeau » car la seule chose qui changera vraiment après la décolonisation.
Ainsi la France va conserver ses bases et ses conseillers militaires auprès des présidences
africaines, profiter du monopole qu’elle s’est octroyée pour piller les ressources minérales,
notamment le pétrole et l’uranium, conserver le Franc des Colonies Françaises d’Afrique qui deviendra le Franc de la communauté financière d’Afrique[ii].
Le système de la Françafrique Autour de cette base va se construire un système politique particulier qui va corrompre, de manière durable, l’élite française et africaine.
Cette entraide gouvernementale entre pays africains et gouvernement français va perdurer
jusqu’à nos jours. En échange d’un soutien inconditionnel de sa politique, le gouvernement français va soutenir les dictatures africaines.
Ainsi, et c’est un cas unique dans le monde, la France va procéder à plus d’une cinquantaine d’interventions militaires en Afrique, essentiellement en soutien aux dictatures en place.
Cette politique va aussi permettre aux multinationales françaises, comme Total, AREVA,
le groupe Bolloré, etc., de pouvoir prospérer sur le Continent. Parallèlement, les pouvoirs africains vont financer les hommes politiques qu’ils soient de droite ou de gauche entraînant une corruption généralisée du système.
Une division du travail dans la défense de l’ordre mondiale. Sa connaissance du terrain, sa forte présence militaire, faisait de la France le point d’appui idéal de la lutte contre le communisme et les mouvements nationalistes des pays dominés à l’époque de la guerre froide. Ainsi la France va s’illustrer dans les opérations de maintien de l’ordre contre les mouvements populaires : Au Tchad en guerre contre Kadhafi, au Cameroun contre l’UPC[iii], sans parler des opérations aux Comores en soutien à l’Apartheid qui sévissait en
Afrique du Sud.
Après la chute du mur de Berlin, la France reste sur le devant de la scène en Afrique pour tenter d’imposer ses solutions aux crises politiques et militaires, que cela soit au Rwanda, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Mali ou en Centrafrique. Elle devient un point clef de la lutte contre le djihadisme en Afrique, notamment avec l’opération Barkhane.
Un consensus néo colonial La pérennité de la politique française en Afrique s’explique par le consensus entre la droite et une grande partie de la gauche. D’ailleurs historiquement, c’est la gauche qui a été la plus favorable au colonialisme avec l’argument d’apporter la civilisation aux peuples indigènes.
Lors de l’intervention française en République de Centrafrique, tous les députés du Front de Gauche, l’organisation la plus à gauche qui soit représentée à l’Assemblée Nationale, ont voté pour. L’argument d’une intervention militaire humanitaire a balayé toute la réflexion sur la responsabilité française dans ce pays,notamment son soutien aux différents pouvoirs corrompus et ethnicistes[iv].
Le fait que l’armée française soit intervenue près de huit fois dans ce pays, depuis 1960, montre à lui seul la faillite de ce type de politique. S’il devait y avoir une intervention militaire, pour mettre fin aux conflits entre les populations exacerbées par des dirigeants centrafricains que la France a soutenu à bout de bras, ce n’est certainement pas à
cette dernière de mener cette opération.
« Afriques en lutte » au service de la gauche radicale Cette longue entrée en matière a pour but d’essayer d’expliquer l’importance qu’il y a de construire un outil qui permette d’aider à la lutte contre la politique impérialiste des puissances occidentales, notamment celle de la France en Afrique.
Dans les années 70, « Afrique en lutte » était une revue de la LCR qui lui permettait d’intervenir dans l’immigration africaine, principalement étudiante. Au fil des ans cette intervention va s’étioler au regard de l’affaiblissement de l’ensemble des organisations d’extrême gauche. L’idée de relancer une activité anti impérialiste, en direction de l’Afrique, va voir le jour dans la LCR deux ans avant que cette dernière ne participe à la naissance du NPA.
Le titre a donc été conservé en ajoutant un « S » à Afrique pour souligner sa diversité.
« Afriques en lutte » est devenue la publication du groupe de travail Afrique du NPA.
Lorsque ce dernier est entré en crise, il a été décidé de se désaffilier du NPA afin de maintenir un cadre unitaire. Ainsi « Afriques en lutte » regroupe des militant(e)s, organisés ou non, dans divers mouvements de la gauche[v] et essaye d’être un outil pour tous ceux et toutes celles qui veulent intégrer, dans leur activité militante, la lutte contre notre propre impérialisme là où il sévit le plus : En Afrique.
Autour de son site internet, mis à jour quotidiennement, elle tente de faire connaître les
luttes sociales, syndicales et politiques qui se déroulent sur le Continent en privilégiant les
expressions des organisations africaines. Un bulletin trimestriel, diffusé en ligne à plus de
2000 personnes et en grande majorité en Afrique, revient sur les événements en essayant
d’apporter un éclairage anticapitaliste.« Entente cordiale »
Les mouvements militants en Afrique, qu’ils soient sociaux ou politiques, sont confrontés à
des problèmes nouveaux générés par une globalisation grandissante. On peut citer la
spoliation des terres arables et le pillage halieutique, le réchauffement climatique, la
montée des intégrismes religieux qui occupent de plus en plus l’espace de la vie publique avec des conséquences néfastes notamment pour le droit des femmes ou des homosexuel(le)s, les replis identitaires débouchant sur des tensions ethnicistes et la liste est loin d’être exhaustive.
Travailler à comprendre ces phénomènes, pour contribuer à apporter des réponses
progressistes, est une nécessité pour les mouvements militants sociaux et politiques.
D’autant que les bouleversements de la globalisation ont rebattus largement les cartes.
Cela implique de ne pas rester chacun dans son coin, mais bien au contraire de réfléchir ensemble en construisant des multiples passerelles.
C’est dans ce cadre que la collaboration avec la Review of African Political Economy (ROAPE) est importante, d’abord à travers les échanges d’informations pertinentes, d’expériences de luttes et d’analyses qui contribueront à dépasser le cloisonnement hérité du colonialisme entre pays africains anglophones, francophones et lusophones.
Dans cette perspective, nous avions commencé à publier des articles provenant du monde
anglophone, mais pouvoir bénéficier des réflexions théoriques et universitaires de ROAPE
est évidemment un plus, ce dont nous nous réjouissons.
Paul Martial
[i] http://www.rfi.fr/afrique/20100816-leon-mba-le-president-voulait-pas-independance-gabon
[ii] Pour l’Afrique de l’Ouest. Pour l’Afrique Centrale la dénomination actuelle est Franc de la Coopération
Financière en Afrique centrale
[iii] Union des Populations du Cameroun, principale organisation nationaliste de ce pays.
[iv] République Centrafricaine : anatomie d’un État fantôme Rapport Afrique de Crisis Group N°136, 13
décembre 2007 Page 7
[v] http://www.afriquesenlutte.org/communiques-luttes-et-debats/livres-etudes-debats/article/afriques-en-luttevers-
un-nouveau
Afriquesenlutte