Cela fait plus d’une semaine que Dr Boubou Cissé a été nommé à la Primature. Et il devait former un gouvernement en concertation avec les forces vives de la nation (les regroupements et partis politiques, les mouvements signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation, les regroupements de la société civile, les entités religieuses, les partenaires sociaux). Mais, le PM se heurte à une équation de taille : le chantage de l’opposition qui veut visiblement profiter de l’aubaine pour gagner dans les négociations ce qui lui a échappé dans les urnes : le pouvoir !
Conformément à ses prérogatives découlant de l’article 38 de la Constitution, le président Ibrahim Boubacar Kéita a nommé un nouveau Premier ministre le 22 avril 2019. Et dans un souci d’apaisement sociopolitique, le Chef de l’Etat a instruit à Dr Boubou Cissé de former un gouvernement de «large ouverture» prenant en compte les différentes sensibilités politiques nationales. Et cela afin d’œuvrer urgemment à trouver «les solutions aux défis actuels dans une démarche consensuelle, impliquant le plus grand nombre d’acteurs nationaux».
Après s’être fendus de communiqués pour se plaindre de n’avoir pas été associés au choix du PM, les opposants ont finalement posé leurs conditions pour intégrer la nouvelle équipe en gestation. Et cela à travers un document intitulé «Accord politique et feuille de route».
En deux pages, l’opposition y pose ses conditions pour participer à une équipe consensuelle, un gouvernement «d’union» ou de «mission». Il y est question de dialogue national inclusif, de partage de responsabilités, de quotas de ministres de la majorité et de l’opposition à déterminer, etc.
Pour les opposants, «le partage de responsabilités devrait permettre à toutes les sensibilités significatives de notre société de réaliser l’union sacrée et d’endosser collectivement la difficile gestion de sortie de la crise multidimensionnelle que traverse le Mali. Le choix judicieux des hommes capables d’assumer ces missions est la condition sine qua non du succès».
Ainsi, exigent-ils, il faudrait définir le profil et identifier ensemble un Premier ministre, Chef de Gouvernement à même de faire face aux défis du moment ; avoir des échanges approfondis sur la structure du gouvernement et les profils des ministres qui doivent avoir des compétences avérées et une éthique reconnue ; déterminer ensemble les quotas des ministres de la majorité, de l’opposition et de la société civile ; définir le rang protocolaire des membres du gouvernement…
Une aubaine pour contraindre IBK au partage du gâteau
Invitée à se joindre à lui pour relever les défis du moment, l’opposition veut réellement contraindre IBK au partage du pouvoir. En effet, ses exigences dépassent le cadre de la formation d’un gouvernement d’union nationale. C’est comme si les opposants veulent contraindre IBK à une cohabitation alors qu’ils sont très minoritaires à l’Assemblée nationale. Une gourmandise qui s’explique néanmoins par deux constats.
D’abord, le pouvoir semble avoir le dos au mur face à la poussée de la rue exaspérée par la vie chère, l’insécurité, la crise scolaire… Et secundo, l’opposition est requinquée par son alliance avec la majorité dans le dépôt d’une motion de censure qui a précipité la démission de l’équipe précédente dirigée par Soumeylou Boubèye Maïga. Et elle est convaincue que le choix du nouveau PM est loin d’avoir comblé de joie la majorité présidentielle. Mais, delà à vouloir dépouiller le président de toutes ses prérogatives républicaines et démocratiques, il y a un pas qu’elle aurait pu se garder de franchir afin de faciliter le dialogue politique en cours.
En tout cas, la réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre. Elle a été transmise à l’opposition, dimanche dernier (28 avril 2019) sous la forme d’un document intitulé «Projet de protocole d’accord politique». Un engagement qui doit lier le Premier ministre de la République du Mali aux regroupements et partis politiques, mouvements signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation, regroupements de la société civile, entités religieuses, partenaires sociaux…
Il va donc dans le sens de l’unité d’action face aux «revendications grandissantes des travailleurs, des grèves qui paralysent l’économie nationale…» et menaçant la «stabilité générale du pays» ; aux «appels à peine voilés à l’insurrection populaire, à la défiance vis-à-vis de l’autorité légitime»…
Si les leaders de la Coalition des forces patriotiques (COFOP) et du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) n’avaient pas encore officiellement réagi à cette contre-proposition au moment où nous mettions sous presse, certains ne cachaient pas leur refus d’y adhérer. Toutefois, pour d’autres, ce document du pouvoir peut «constituer une base de discussion pour un accord final». Le débat est donc engagé à l’interne entre extrémistes et modérés !
N’empêche que, comme beaucoup d’observateurs, nous pensons que si le pouvoir et l’opposition arrivent à se mettre d’accord, cela serait de bon augure pour le dialogue politique souhaité par tous afin d’apaiser le climat social et politique et s’attaquer résolument aux défis du moment…
Mais, à l’impossible le pouvoir n’est pas tenu non plus. Sauf si le président de la République admet ouvertement avoir échoué dans la gouvernance politique du pays, donc prêt à accepter l’humiliant diktat des opposants. Sinon, il est temps qu’IBK s’assume en président élu par les Maliens. Dans, la situation actuelle du Mali, l’appartenance politique est moins importante que la compétence avérée d’un cadre, sa disponibilité à servir la nation avec la plus grande probité morale.
Et, à notre avis, un vrai «gouvernement de mission» est celui mis en place sans considérations partisanes. Et c’est ce qu’il faut dans la situation actuelle du pays en lui assignant des missions comme organiser les législatives (la révision constitutionnelle n’est pas une priorité face aux défis actuels) dans un meilleur délai, sécuriser le pays, renouer le dialogue avec les syndicats pour baliser les pistes permettant de sauver l’année scolaire…
Et comme l’opposition souhaite tant la cohabitation, elle doit se battre alors pour remporter les prochaines élections législatives afin d’imposer au président de la République un Premier ministre et un programme de gouvernement.
A défaut, que nos opposants prennent leur mal en patience pour mieux préparer la présidentielle de 2023. Mais, qu’ils laissent surtout le gouvernement et les Maliens travailler à relever les défis auxquels le pays est confronté !
Hamady Tamba