La 33e Coupe d’Afrique des nations (CAN) se déroule du 9 janvier au 6 février 2022. Rarement une CAN a suscité autant de critiques de la part des clubs européens. Ces derniers s’agacent que leurs joueurs africains partent massivement au Cameroun, en pleine saison. Pourtant, organiser une phase finale à cette période de l’année, tous les deux ans, n’est pas un caprice de la part des acteurs du foot africain, mais une nécessité. Explications.
« Un monstre invisible »… Ces derniers mois, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football a généré un nombre jamais vu de commentaires négatifs en Europe. La prochaine phase finale, prévue du 9 janvier au 6 février 2022, a surtout provoqué une fronde sans précédent des clubs européens. Ceux-ci tolèrent de moins en moins de voir leurs joueurs africains partir en plein championnat pour aller disputer la CAN avec leurs pays.
« La CAN nous prend 7 à 8 joueurs, s’est par exemple insurgé Frédéric Antonetti, l’entraîneur du FC Metz, un club français pourtant très lié à l’Afrique et notamment au Sénégal. C’est énorme. C’est un jeu truqué, faussé. Comment peut-on avoir des compétitions internationales durant les compétitions nationales ? »
Le 10 décembre, l’Association européenne des clubs (ECA) avait écrit à la Fédération internationale de football (FIFA) pour s’insurger contre le départ massif de joueurs africains pour la CAN 2022 dans un contexte sanitaire mondial dégradé par le variant Omicron. Le 19 novembre, le World Leagues Forum, organisme qui rassemble 40 ligues nationales de foot professionnel, s’était également ému auprès de la FIFA de cette situation.
La CAN, un tournoi à part pour l’Europe
De fait, la Coupe d’Afrique des nations est un tournoi à part. C’est l’une des seules grandes compétitions actuelles, avec la Coupe du monde des clubs de la FIFA, à avoir lieu alors que les championnats nationaux européens battent leur plein tout.
Une situation qui n’a pourtant rien de nouveau puisque la CAN existe depuis 1957 et avait même lieu auparavant à d’autres périodes, le plus souvent en mars durant les années 1970 et 1980. Ce n’est qu’à partir de l’édition 1996 – la première avec 16 équipes – que la CAN a vraiment commencé à se tenir systématiquement en janvier-février. A cette époque, l’arrêt Bosman vient de permettre aux clubs du Vieux continent d’employer beaucoup plus des joueurs étrangers.
Ainsi, sur les quelques 350 joueurs qui disputent la CAN 1996, une centaine évoluent en Europe. Pour celle de 2006, ils sont près de 200 sur les 368 joueurs présents en Egypte. Pour la CAN 2017, ils sont plus de 300 à quitter leurs clubs européens pour la Coupe d’Afrique au Gabon. Entre-temps, en 2009, la FIFA a assoupli ses règlements sur les changements de nationalité sportive. Un footballeur né en France, en Angleterre ou en Belgique peut par exemple plus aisément décider de représenter le Sénégal, l’Algérie ou le Nigeria. Une évolution qui accentue encore la surreprésentation à la CAN des joueurs qui travaillent en Europe.
Des clubs européens sous tensions
Cela ne suffit toutefois pas à expliquer la crispation des clubs européens. La crise sanitaire y est pour beaucoup. En janvier 2021, l’ex-patron de l’ECA, Andrea Agnelli, assurait que les formations européennes avaient perdu jusqu’à 8,5 milliards d’euros à cause du Covid-19. Or, dans un contexte de grandes tensions financières, de nombreux clubs craignent la faillite en cas de mauvais résultats sportifs.
Certains d’entre eux rechignent ainsi à laisser leurs meilleurs éléments partir en équipe nationale. Surtout sans savoir quand ils rentreront exactement du Cameroun et dans quel état de santé, entre risques sanitaires et restrictions de voyage liées au coronavirus.
Une réforme de la CAN qui accentue les critiques européennes
En Europe, il y a donc de la colère, des craintes et… une incompréhension. En juillet 2017, la Confédération africaine de football (CAF) décidait que la CAN se disputerait désormais avec 24 équipes au lieu de 16. Une nouvelle formule plus longue (quatre semaines contre trois), avec davantage de matches (52 contre 32) et de joueurs concernés (552 contre 368).
Surtout, la CAF a commis une erreur de communication, à cette occasion, en insistant sur le fait que la CAN aurait désormais lieu en juin-juillet, comme d’autres grandes compétitions telles que le Championnat d’Europe des nations (Euro), la Coupe du monde ou la Copa America. Sans insister sur le fait que la CAN pourrait, si nécessaire, avoir lieu à nouveau en janvier-février…
Les clubs européens, trop heureux que la CAN 2019 ait eu lieu en juin-juillet, n’ont ainsi pas compris pourquoi la CAF et les Camerounais ont décidé de reprogrammer la CAN 2021 en janvier-février. Pour eux, c’est en quelque sorte un retour à la case départ. Pire, cette CAN au Cameroun va durer quatre semaines et concerner jusqu’à 672 joueurs… [1]
Un climat en juin pas toujours compatible avec une CAN
Il ne s’agit pourtant pas d’un caprice des acteurs du foot africain. En juin-juillet, c’est généralement la mousson dans une large part des pays d’Afrique de l’Ouest et une partie des pays d’Afrique centrale. La pratique du football de haut-niveau, dans de bonnes conditions, y est souvent très difficile. A Yaoundé, par exemple, d’après des données historiques de l’Organisation météorologique mondiale, il tombe 157 millimètres (mm) de précipitations, en moyenne. En comparaison, à Londres, en juin, il tombe 47 mm, en moyenne. A Paris, c’est 54 mm. Il pleuvrait donc traditionnellement beaucoup plus durant cette période au Cameroun que dans des grandes capitales européennes.
La question devrait d’ailleurs également se poser pour la Coupe d’Afrique des nations suivante, pour le moment programmée en Côte d’Ivoire en juin-juillet 2023… Organiser systématiquement la CAN en juin-juillet pourrait en tout cas devenir un obstacle pour des nations majeures du foot africain et qui ont déjà gagné cette compétition.
La FIFA a d’ailleurs implicitement reconnu cette problématique. Le 20 décembre dernier, son président Gianni Infantino, a proposé que la Coupe d’Afrique des nations soit à l’avenir organisée en « automne », lors d’un mois d’octobre qui serait largement consacré aux matches d’équipes nationales. Il n’a pas fait mention d’une phase finale « en été ».
Des alternatives ?
Mais, hormis cette proposition d’Infantino, existe-t-il des alternatives pour la CAN ? Changer son format avec huit groupes de trois équipes au lieux de six groupes de quatre équipes, ce qui entraînerait une baisse du nombre de matches (40 contre 52) ? Revenir à une phase finale plus courte avec 16 équipes ? Ce serait totalement à contrecourant de la tendance actuelle dans le monde du sport. Tendance qui va vers un élargissement constant des grands événements. En 2017, la CAF n’a, au fond, fait qu’imiter de nombreuses autres grandes organisations comme la FIFA avec un Mondial à 48 équipes ou l’UEFA avec un Euro à 24 équipes.
Quid de la CAN tous les quatre ans au lieu de tous les deux ans ? Comme le révélait un sondage de RFI, cette idée semble impopulaire parmi les fans de foot africain. Et, comme le rappelait l’actuel patron de la CAF, Patrice Motsepe, la Confédération africaine a besoin de sa poule aux œufs d’or tous les deux ans pour vivre. Celle-ci rapporte en effet plusieurs dizaines des millions de dollars à une institution dont le budget actuel tourne autour des 134 millions de dollars…
La CAF autorise exceptionnellement chaque équipe participant à la CAN à venir au Cameroun avec 28 joueurs, contre 23 habituellement, pour éviter que de trop nombreux cas de Covid entraînent des annulations de match.
Source : RFI