Habile jeu de sémantique ou réel désengagement militaire ?
Voilà réellement la question que se posent bon nombre de spécialistes du Sahel.
En diplomatie classique comme en celle militaire, les mots peuvent souvent avoir des sens ambivalents surtout dans une langue comportant autant de subtilités comme la langue française.
Cependant, cette annonce émanant du numéro 1 français lui-même est à prendre avec le plus grand des sérieux.
Il se pourrait que l’on assiste là à un véritable tournant sécuritaire dans la zone du Sahel.
Mais pourquoi l’annonce d’une telle nouvelle de façon si abrupte ?
La nouvelle était, semble-t-il, en gestation depuis de longues semaines, mais à l’évidence, la France se serait cru beaucoup trop rusée dans ce dossier ;
au point de se laisser piéger par un plan qu’elle aurait elle-même échafaudé.
Officiellement, la France mettrait un terme à sa présence militaire au Sahel en l’état, et explorerait la piste d’un partenariat, sûrement avec les armées en place, selon toute vraisemblance la force conjointe du G5 Sahel.
Cette annonce, si elle était survenue à une période moins tumultueuse au niveau de l’appareil étatique malien, elle aurait suscité beaucoup moins d’interrogations et surtout de suspicions.
Et ce, en n’oubliant pas les récentes divergences de points de vues entre Bamako et Paris dans la stratégie militaire à mettre en place pour lutter contre le terrorisme, notamment le fameux point des négociations avec les narcoterroristes.
Il ne faudra pas omettre aussi l’idée selon laquelle les tenants actuels du pouvoir scrutent du regard l’orient (la Chine et surtout la Russie) tout en voulant se débarrasser de la « tutelle ».
Il s’agit là de quelques ingrédients qui auraient été à l’origine de la précipitation prise par l’Elysée de mettre fin à Barkhane alors qu’elle voulait attendre avant cela au moins une année.
Il faut aussi dire que la France s’était réellement embourbée dans la guerre contre le terrorisme dans le Sahara africain.
Enlisement dû d’abord par la grande erreur stratégique qu’elle aura commis dès le départ lorsqu’elle refusa l’entrée des FAMa à Kidal, et par la même occasion, ressusciter politiquement et même dans une certaine mesure militairement, une rébellion arabo-touareg qui n’aura pas hésité à s’allier aux narcoterroristes d’alors afin d’obtenir la partition du pays.
Sur ce plan, et malgré sa stature de grand pays, la France n’eut pas la profondeur d’analyse nécessaire (ou peut-être a tout simplement voulu faire autrement) pour comprendre qu’elle aurait infiniment mieux fait de prendre le parti exclusif du Mali et de contribuer à dissoudre les mouvements rebelles armés.
Sachant que la frontière entre mouvement rebelle et groupe de l’extrémisme violent est bien souvent poreuse, par son choix de redonner un second souffle au MNLA et alliés, beaucoup de terroristes ont pu se refaire une virginité et ainsi rentrer dans le moule du processus de paix au nord malien quand ils ne sont pas en train de verser le sang des populations locales.
Une autre cause de l’enlisement, toujours liée à la première, c’est d’interminables mois de négociations entre l’Etat du Mali et quelques centaines de rebelles.
Que de temps gaspillés et surtout que d’efforts !
Entre temps, la guerre asymétrique s’installa véritablement.
Dans une si grande zone, très peu peuplé, aride où l’Administration peine encore à s’installer, Serval et surtout Barkhane rencontre d’énormes difficultés.
Egalement, n’oublions pas que Barkhane est une opération militaire extrêmement coûteuse même pour une Etat aussi bien doté comme la France. Barkhane c’est 1 milliard d’euro par an, 5100 hommes, 7 avions de chasse, 20 hélicoptères, 3 drones, sans compter les quelque 500 véhicules blindés, entre autres. Mettre fin à Barkhane, c’est aussi permettre au Trésor français de souffler.
Cependant, l’absence d’alignement idéologique entre les autorités maliennes actuelles et l’Elysée semble être un grand point de désaccord.
Rappelons que Macron, le 3 juin dernier avait suspendu toute opération bilatérale militaire avec le Mali, consécutivement au deuxième coup d’Etat.
A cet effet, Macron avait dit : « « On ne peut pas souffrir l’ambiguïté. On ne peut pas mener des opérations conjointes avec des pouvoirs qui décident de discuter avec des groupes qui, à côté de cela, tirent sur nos enfants. Pas de dialogue et de compromission ».
La première impression est que Macron soit totalement contre l’idée de négocier avec les terroristes.
Même si cela est vrai, il semblerait aussi qu’il veuille que le Mali fasse le choix clair et précis de s’adonner « sécuritairement » à la France car il est de plus en plus en sûr que les jeunes officiers ayant pris le pouvoir soient tentés de nouer de forts partenariat avec la Russie alors que cette dernière n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler un allié de la France sur le plan international.
Enfin, il semblerait que la libération de Sophie Pétronin et l’ex chef de l’Opposition malienne, Feu Soumaila Cissé, aura été un épisode resté au travers de la gorge de la diplomatie française.
Episode qui aura marqué le réel début des désaccords entre Maliens et français.
Là aussi, les négociations auront été déterminantes avec à la clé la libération d’une centaine de terroristes des prisons bamakoises comme monnaie d’échange.
Libération, faut-il le rappeler, survenue sous le pouvoir de la junte d’Assimi Goita.
Le tournant sera réel et majeur si le désengagement français venait à se radicaliser.
Cela ouvrirait une totale reconfiguration de la carte sécuritaire du Mali et même du Sahel.
Egalement, la MINUSMA serait plus exposée, elle qui n’a toujours pas vocation à combattre le terrorisme. Son mandat sera-t-il révisé en profondeur ?
D’autres puissances étrangères seront-elles déployées sur le terrain ?
L’avenir nous le dira.
Ahmed M. Thiam