«Bien plus qu’un festival, nous célébrons ici notre désir de paix et d’unité. L’unité dans la diversité. Nous apportons ici un démenti collectif vibrant à tous ceux qui semblent n’avoir d’autre but que de mettre le Mali à genoux, de terroriser ses filles et ses fils, et de saper systématiquement nos efforts de paix». Cette déclaration de Madame N’diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la Culture à l’ouverture de la 14ème édition du Festival sur le Niger, résume l’état d’âme des 30 à 40 000 personnes, de 30 nationalités qui se sont donné rendez-vous à Ségou du 1er au 4 février 2018.
Décidément, Ségou, la capitale du royaume Bambara, est en passe de devenir la capitale culturelle du Mali. À la faveur des éditions successives du festival sur le Niger, la cité des 4444 Balazans se positionne davantage comme une ville dédiée à la promotion de la culture au Mali.
Dans le cadre de la 14ème édition du festival sur le Niger, au moment où des chancelleries s’évertuaient à dissuader leurs ressortissants de venir au Mali ou interdisaient formellement à ceux qui ont décidé de vivre au Mali de sortir des limites de Bamako, ce sont 30 à 40 000 personnes d’une trentaine de nationalité, dont des Occidentaux bien sûr, qui ont pris d’assaut la ville de Ségou. Même si certains sont allés avec un peu de peur au ventre à Ségou, mais tous y étaient pour la fête de la culture. Et, personne n’a voulu se faire raconter les fabuleuses soirées de concerts sur le fleuve Niger.
Il faut dire que l’édition de cette année est restée dans le format traditionnel, mais a vu grand en proposant la caravane pour la paix, des expositions d’arts visuels, du théâtre et des contes, la danse et le colloque international de Ségou sur le thème «Ségou, ville d’architecture». Il faut dire qu’à côté de toutes ces manifestations, la Foire internationale de Ségou a tenu toutes ses promesses.
Et quand des manifestations traditionnelles et folkloriques s’invitent à cette messe de la culture, c’est à juste titre que Madame N’diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la Culture, déclare que le Festival de Ségou est «l’une des plus belles expressions de notre refus collectif du chaos, que jurent d’instaurer les ennemis de la nation».
Ségou 2018, ou la résistance par la culture
«La résistance culturelle est le meilleur hommage que nous puissions rendre à toutes les victimes de l’obscurantisme, au Mali, en Afrique, et partout dans le monde», a déclaré Madame le ministre de la culture, qui est convaincue que Ségou est plus qu’un festival. Selon elle, «c’est le triomphe d’une foi partagée, notre foi en la paix. Le triomphe de la lumière contre l’obscurantisme. Le triomphe de la tolérance contre la barbarie».
Après avoir rappelé que la diversité culturelle, qui a été et restera le socle de l’unicité de notre nation, est une réponse pratique à chacun des défis qui se posent à nous, Madame le ministre a indiqué qu’il «n’est pas fortuit que ce soit, à Ségou, cité des Balazans, que la saison des rendez-vous culturels du Mali prenne chaque année son envol, au travers du Festival sur le fleuve Niger, la mère nourricière, qui irrigue nos espoirs, qui apporte à Ségou le sel de Taoudéni, et qui apporte à Taoudéni le poisson et le riz de Ségou».
Très inspirée ce soir-là, Madame le ministre dira que Ségou, «ville de culture et d’architecture, haut lieu d’ancrage et de rayonnement du royaume Bambara, et le festival qu’il accueille sur le Niger- sont devenus une référence unique, qui résonne à l’échelle internationale pour traduire le dynamisme culturel de notre pays, et pour dire au monde notre espoir, et mieux, notre détermination à rester un peuple uni, un peuple debout, un peuple libre, fier de ses valeurs et de ses traditions porteuses, et confiant en son avenir».
Trois nuits de concerts pour célébrer la diversité culturelle de l’humanité
Soirée mandingue, soirée musique urbaine et la soirée panafricaine, sont les trois concerts géants sur le fleuve Niger qui ont constitué les grandes attractions de cette édition, comme ce fut le cas lors des éditions passées.
Soirée mandingue ou la consécration de M’bouillé et Siriman
Le jeudi 1er février 2018, après un programme bien chargé dans la journée et rythmé par des activités comme l’ouverture du Colloque de Ségou : «Ségou, ville d’architecture», les activités de la Foire internationale de Ségou, la prestation des «Talents en découverte» sur la Scène Biton qui recevait les groupes Kida Mabo, Dabara junior et Kalilou Dagnoko, la cérémonie d’ouverture de la Foire du Festival, le théâtre au Centre Kôrè avec la comédie musicale «Horon de Blonba» ; les festivaliers, dès la tombée de la nuit, ont pris d’assaut le Quai des Arts de Ségou. Tous voulaient être témoins de cette première nuit de concert. Et, ils n’avaient pas tort.
Cheick Siriman Sissoko, Kader Tarhamin d’Algérie, M’bouillé Koité, Women Groove et Abdoulaye Diabaté ont rivalisé d’ardeur pour faire danser les festivaliers. Après la prestation de Women Groove qui nous a fait voyager dans les sonorités mandingues à la sauce du Mbalack sénégalais, ce soir-là, la scène Da Mozon a semblé un peu trop grande pour Cheick Siriman Sissoko. Oui, c’était normal, puisque c’était son baptême du feu sur cette mythique scène de Ségou, qui est réservée aux grands artistes. Donc s’il y est monté et a joué, il doit pouvoir se compter parmi les grands du Mali et du Monde. Mais, passé le temps de l’émotion, nous croyons qu’il a vite retrouvé ses marques pour offrir aux spectateurs une prestation de très belle facture, où il a par moment fait appel aux rythmes et sonorités de son terroir d’origine : Kayes.
Mais, c’est le groupe algérien conduit par Kader Tarhamin qui fut notre coup de cœur. Ce groupe a la particularité de voyager ou de faire voyager les spectateurs entre avec des sonorités reggae fortement influencées par la musique berbère -que certains diront volontairement chez nous ici, la musique touareg. À les entendre jouer sur scène, l’on se croyait par moment devant le groupe Tinariwen ou le groupe Hamanar de Kidal.
Pour sa part, M’bouillé Koité savait qu’il était très attendu à Ségou. Après avoir accroché à son arc le trophée du prix RFI 2017, le neveu d’Habib Koité savait qu’il n’avait pas droit à l’erreur à Ségou. Et, il a assuré, même si sa musique reste trop tributaire des rythmes sénégalais.
Abdoulaye Diabaté fut le dernier à monter sur scène ce soir-là. Contrairement aux éditions passées, où il bouclait la soirée de la dernière, cette année, Abdoulaye Diabaté a bouclé la soirée de la première nuit. Mais le fait remarquable que l’on a pu retenir dans la prestation de ce groupe formidable qui nous vient de Koutiala, c’est qu’Abdoulaye et son jeune frère sont parvenus à métamorphoser Iba Diabaté, leur fils. Nombreux sont les festivaliers qui ont été surpris de voir que Iba Diabaté s’est installé en demeure dans le genre musical et le style d’Abdoulaye Diabaté, qui est aujourd’hui, celui de Lagaré, son jeune frère Modibo. Ces trois artistes, père, oncle et fils, ont fait danser le public de Ségou qui n’en demandait pas moins.
Soirée musique urbaine : le Rap au service de la citoyenneté
Le vendredi 2 février 2018, au moment où certains pensaient que le Concert géant sur le fleuve Niger, consacré à la soirée musique urbaine, n’allait pas faire le plein, le Quai des Arts de Ségou a décidé d’annoncer les couleurs du Samedi national. Il y a eu du monde pour apprécier la restitution de la résidence de création autour du thème : «Culture et citoyenneté».
Réunis autour du Mauritanien Monza de «Assalamalekoum festival» Nouakchott, des jeunes comme King KJ, Tal B, Amie Yérèwolo, Awa Maïga, Koundi du Bénin…ont chanté la cohésion sociale, le vivre ensemble et la paix. Sans laisser le temps aux spectateurs de se remettre de leurs émotions après un si beau spectacle, Kareyce Fotso du Cameroun, dans un dynamisme qui n’a d’équivalant que chez une danseuse du «bikoutsi», a dompté la scène de Ségou.
La capricieuse scène de Ségou était contrainte d’admettre que cette Camerounaise a du talent à revendre et elle l’a vendu aux Ségouviens. Hoba Hoba Sprit du Maroc, en plus de la Camerounaise, fut notre coup de cœur ce soir-là. Formidable dans les fusions entre genres musicaux, ce groupe a émerveillé plus d’un par ses différentes prestations. Et, une pluie surprise qui s’est acharnée sur Ségou n’a pas eu suffisamment de force pour dissuader les festivaliers.
Soirée panafricaine : Salif arrive trop tard sur la scène
Le samedi 3 février 2018, la soirée panafricaine avait du lourd au programme : Salif Keita, le Rossignol de la musique malienne, Habib Koité, Olivier Mtukudzi, Nampé Sadio, Marema et Kamaldine. Et, comme il fallait s’y attendre, cette soirée n’a pas dérogé à la tradition. Elle a eu lieu le Samedi national et tout ce qu’il y a de mélomanes à Bamako, ont convergé sur Ségou. Et les mélomanes n’ont pas été déçus, même si pour certains Salif Keita n’était au mieux de sa forme. Mais, à mon sens, il ne pouvait en être autrement. Vu l’âge de l’artiste qui avoisine les 70 ans, monté sur scène au-delà de minuit, n’est pas du tout conseillé. Et Salif est monté après un Nampé Sadio qui, à un moment donné, n’a fait que servir de l’acrobatie aux spectateurs. Même si ses danseurs étaient appréciables, il en a fait un peu trop. Il aurait dû occuper le long temps qui lui était imparti autrement, ou au pire des cas, savoir quitter la table à temps. Cela aurait permis aux spectateurs de retrouver un Salif Keita plus frais sur scène.
Avouons-le, avec son âge, quand il arrive sur scène à 4 heures moins, ce n’est pas pour se défouler comme un jeune de 25 à 30 ans. Et, Salif Keita, en artiste très expérimenté, n’a pas voulu forcer pour prendre un risque. Il a assuré, sans les gestes et mouvements qu’on lui connaît. Il n’était du tout en forme. Mais, c’était quand même du Salif Keita et c’est toujours merveilleux de le voir sur scène et de l’entendre chanter.
Arrivé suffisamment tôt sur scène, le Zimbabwéen Oliver Mtukudzi, malgré son âge, a fait preuve d’un dynamisme contaminant. Il n’a pas volé sa renommée. Il est talentueux et reste une véritable bête de scène. Et il a transporté les festivaliers dans les sonorités du sud-est de l’Afrique, que nous ne connaissons pas dans notre sous-région.
Il faut le dire, pour cette soirée panafricaine, deux dames étaient à l’honneur. La Guinéenne Kamaldine et la Sénégalaise Marema. Ces deux dames qui ne sont pas à leur premier passage dans la cité des 4444 Balazans, ont su adapter leur rythme aux exigences du public très capricieux du bord du fleuve Niger. Oui, au festival de Ségou, il y a ceux ou celles qui dansent les pieds dans l’eau, pour ne pas dire dans le fleuve. Et, cette catégorie de festivaliers, loin d’être des spectateurs, sont des acteurs autant engagés que les artistes à offrir leur spectacle aux autres.
Et, par conséquent, ils sont très peu tolérants et exigent des artistes le meilleur d’eux. Au regard de leur emplacement en face de la scène, ils tutoient les artistes, dans un semblant de duel qui fait de la scène de Ségou, une scène indomptable.
Assane KONE
Le Reporter