Pendant près de deux heures, sans intermèdes, elle a tenu le public en haleine en enchaînant les titres de ce nouvel album (Lalla, Kouma, Sikey, Ka Moun Kè, Mélancolie, N’Téri, Tuit Tuit, Beautiful Africa, Sarama) ainsi que quelques titres phares de sa carrière comme «Zen» et «Déli». Une chanson très riche en sagesse malienne et africaine. Très engagée sur cette œuvre dédiée à l’Afrique, Rokia dit stop aux clichés volontairement véhiculés pour écorner l’image du continent. Comme à chaque album ou collaboration, Rokia Traoré a une nouvelle fois de plus dessiné une trajectoire originale avec ce nouvel opus.
Ainsi, depuis le «lumineux» Tchamantché (2008), marquant un virage important dans sa carrière, la batterie a remplacé la calebasse. Et même si le n’goni du très fidèle Mamah Diabaté existe toujours, c’est la guitare qui prend le plus souvent de la hauteur. Ce qui donne à Beautiful Africa une sonorité qui vogue entre le jazz, le blues et le rock. Sur ce 5ème album, Rokia déclame «ses poèmes intimistes avec une énergie rock, une profondeur blues et un rare supplément d’âme», commente une consœur française. Cette œuvre, signée par l’Anglais John Parish, est aussi le prolongement d’un engagement sans concession pour le Mali, pour l’Afrique et pour l’humanité. Pour de nombreux critiques, cet album est l’aboutissement d’un «long mais sûr travail d’affranchissement de soi, de libération de la parole, des pensées et des désirs, que reflète et raconte Beautiful Africa». Beautiful Africa a été composé juste avant le coup d’Etat du 22 mars 2012 au Mali. Il n’est donc pas question de la crise que sa Patrie a traversée entre janvier 2012 et août 2013. Rokia y chante surtout la force des femmes, la sincérité, la mélancolie «compagne fidèle» de sa «solitude», le respect.
Entre douceur poétique et engagement volcanique
Mais, c’est la situation politique et sécuritaire du Mali qui lui a inspiré le morceau ayant finalement donné son nom à ce 5ème album d’une jeune, mais brillante carrière artistique. Un texte écrit en urgence avant de rentrer en studio et slamé avec précision et amour. «Au lieu de chanter des mots amers, j’avais envie de donner ce qu’il y a de plus beau en moi : l’amour que je porte à mon pays et à mon continent», confiait-elle à la presse lors d’une interview à propos de cette «déclaration spontanée au continent».
Pour des connaisseurs, c’est un «océan de douceur», qui devient «tempête» lorsque Rokia Traoré dénonce les «combines fratricides» et chante sa peine, alors que, même à «contre-courant», ses «convictions résistent». Une farouche résistance sans doute à l’afro-pessimisme. «À un moment, en tant qu’Africaine, on en a simplement assez d’être dans cette position de derniers du monde. On a beau dire que l’Afrique est belle, tout le monde va s’y servir, mais peu de gens respectent réellement les Africains… Si c’était le cas, on n’en serait pas là. Et probablement que les Africains sont les premiers à ne pas se respecter», déplore Rokia. À elle, on peut tout reprocher, sauf de ne pas avoir du respect pour son public.
Évoquant la réconciliation et la reconstruction au Mali, l’artiste engagée pense que «si chacun, à commencer par les politiques, assumait sa part de responsabilité, le pays irait beaucoup mieux». Et elle joue pleinement sa partition à travers ce qu’elle sait faire de mieux : rehausser l’image du Mali et de l’Afrique par la musique ! Coqueluche des prestigieux événements et scènes du monde, Rokia est professionnellement engagée au bercail à travers sa «Fondation Passerelle» qui œuvre à la professionnalisation des jeunes artistes.
D’ailleurs, la talentueuse chanteuse a été précédée sur scène par Aliou Kouyaté. Ce pur produit de la «Fondation Passerelle» a interprété trois titres puisés du riche terroir Khassonké ! Malgré les difficultés dans la concrétisation de ses ambitions pour son pays, Rokia Traoré met un point d’honneur à monter coûte que coûte, à partir du Mali, des projets solides pour les publics du monde entier. Elle se bat surtout pour inculquer aux artistes de sa Fondation des valeurs fortes comme l’honneur et la dignité. «La dignité s’achète par le travail, chacun peut y accéder…», confie-t-elle.
Les absents à ces retrouvailles entre l’artiste et son public d’origine ont donc eu tort, parce qu’on ne s’est pas du tout ennuyé à l’IFB pendant les deux concerts époustouflants de Rokia, la Rossignole du Bélédougou ! Avec ses sublimes choristes, Bintou Soumbounou et Fatim Kouyaté, elle a chauffé la salle au point que le public est resté débout pendant les derniers morceaux de ces inoubliables concerts.
Moussa BOLLY