Le leadership féminin dans l’apport de la diaspora à l’Afrique a été au coeur des 4es JNDA de Bordeaux. Une journée entière lui a été consacrée.
Par Carine Saint-Médar
Des personnalités d’influence et des Africaines au parcours brillant, vivant sur le continent mais aussi ailleurs, se sont interrogées, lors des 4es Journées nationales des diasporas africaines (JNDA) organisées à Bordeaux les 29 et 30 avril derniers, sur les voies et moyens de promouvoir et d’encourager les femmes de la diaspora à devenir des actrices du développement économique de l’Afrique, tout en favorisant les liens d’échange entre la France et l’Afrique.
Femme et pouvoir, il faut s’affranchir des préjugés
« Les hommes doivent cesser de se sentir en danger quand les femmes veulent accéder au pouvoir, il faut les rassurer », explique Carole Da Silva, présidente et fondatrice de l’AFIP, une association pour l’insertion professionnelle. Dans la salle comble du conseil des ministres, composée ce jour-là majoritairement de femmes, l’acquiescement est unanime. Cette femme d’origine béninoise a choisi, depuis quelques années, de lutter pour l’intégration professionnelle des femmes de minorités visibles. La place des femmes dans le pouvoir, c’est un sujet qu’elle connaît bien et qu’elle s’attache à mettre en lumière au travers d’une émission intitulée « Femmes et pouvoir » dédiée au leadership féminin. L’accès au pouvoir et aux postes à responsabilité est difficile, d’autant plus qu’on est issu de la diversité, assure-t-elle. Et le niveau d’exigence est tel que beaucoup de femmes se découragent : « Le pouvoir ne s’obtient pas, il s’arrache ». « Illégitimes », « dangereuses », « refus des hommes », les mots vont bon train. Face au manque de confiance, aux barrières à l’entrée, aux tabous et préjugés, l’historienne Sophie Bessis, chercheuse associée et spécialiste des questions africaines et du Maghreb à l’Institut de recherche et d’information socioéconomique (Iris), est formelle : « Il faut éclater les cadres de la culture dominante, se détacher des codes de la culture patriarcale. » Carole Da Silva est quant à elle optimiste : « Pour que les représentations changent, il faut les bousculer et être des rôles modèles pour les plus jeunes. »
L’intégration des femmes commence par des projets éducatifs solides
« L’éducation doit être la priorité des dirigeants africains », signale Aicha Bah Diallo, ancienne ministre de l’Éducation de Guinée, qui a fondé le FAWE, le Forum des éducatrices africaines, destiné à promouvoir l’accès à l’éducation de base aux filles en Afrique subsaharienne. En effet, malgré les progrès notables réalisés jusqu’ici pour améliorer la participation des filles dans l’éducation, il subsiste toujours des difficultés en ce qui concerne leur accès à l’école, leur niveau de rétention et leur réussite scolaire. Faire de l’éducation une priorité est une étape essentielle pour le développement économique des pays et faire une place aux femmes. Pour Fatiha Gas, directrice de l’école d’ingénieurs Esiea à Ivry, en banlieue parisienne, et membre de la commission femmes du numérique, une passerelle doit être créée entre le secteur privé et les acteurs de l’éducation supérieure afin de favoriser l’intégration professionnelle des jeunes femmes africaines issues des diasporas, mais cela nécessite d’en finir avec « l’autocensure ». Pour elle, c’est indéniable : « La diversité est une chance pour la France, et la France, une chance pour la diversité. » En effet, si l’origine reste le premier critère de discrimination à l’embauche en France, mettre en place des projets éducatifs solides débouchant sur de l’emploi reste, selon elle, une solution pour pallier ce problème.
Miser davantage sur les réseaux professionnels et entreprendre
« L’entrepreneuriat est une tradition en Afrique », affirme Cécile Barry, présidente du groupe Ajice, de Worldmas International, et de l’association Action’elles, un réseau professionnel qui accompagne les créatrices d’entreprise. Cette femme de poigne, serial entrepreneuse, modèle de création et d’audace, ne mâche pas ses mots : « La proportion de femmes entrepreneurs doit passer de 20 % à 40 % d’ici 2017. Il faut briser le plafond de verre ! » Cécile Barry veut en finir avec les idées reçues. Tout comme Suzanne Bellnoun, elle aussi fervente militante de l’entrepreneuriat féminin. Un combat qu’elle mène aujourd’hui de front après avoir constaté qu’encore « trop de femmes africaines diplômées se retrouvaient femmes de ménage en France ». Elle crée ainsi en 2008 le Club des Africaines entrepreneurs d’Europe, et l’Ofad, Organisation des femmes africaines de la diaspora en 2011. Elle lance des rencontres de haut niveau pour les femmes entrepreneurs via le FEEFAD, le Forum économique et entrepreneurial des femmes africaines de la diaspora, dont la 2e édition a eu lieu en septembre dernier à l’ENA. Suzanne Bellnoun est catégorique, il est essentiel d’accompagner les femmes africaines qui ont le réflexe de l’entreprise « informelle » à développer leur structure grâce aux réseaux. Et rappelle que le continent noir était avant tout une terre de reines et de guerrières : « Ce sont les femmes qui ont relevé l’Afrique lorsqu’elle était en bas ! » Être une femme issue de la diversité peut donc aussi être un atout si l’on en croit toutes ces femmes d’exception qui ont fait le déplacement de Bordeaux. À leur manière, ces ambassadrices du leadership au féminin contribuent à façonner l’Afrique de demain. En cela, ce sont de véritables pionnières qu’il convient de saluer et de suivre.
frique.lepoint.fr 07/05/2016