Mais très vite, la marche dérapa. La tension monta d’un cran et l’atmosphère devint complètement invivable dans la ville. Les manifestants décidèrent de marcher sur le tribunal. Heureusement, les autorités locales avaient pris les devants en déployant sur place un important dispositif de sécurité (gardes et gendarmes). Mais apparemment aveuglés par la colère, les marcheurs s’attaquèrent à ce dispositif avec des jets de pierres. Les forces de sécurité répliquèrent avec des gaz lacrymogènes et parvinrent finalement à rétablir l’ordre.
C’est dans cette atmosphère délétère que le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Mohammed Ali Bathily, accompagné d’une forte délégation, débarqua sur place en milieu d’après-midi. « Nous sommes désolés de débarquer chez vous dans de telles circonstances mais il fallait le faire compte tenu de l’urgence de la situation», a lancé le ministre à destination du juge de paix sorti de son bureau pour l’accueillir. Auparavant, la délégation avait pu se faire une idée de la violence des affrontements en marchant sur le tapis formé par les cailloux lancés par les manifestants contre le palais de justice. Si l’on en croit les différents témoignages recueillis sur places, les manifestants étaient décidés à lyncher le juge Noumou Moussa Samaké. Heureusement, ce dernier et l’ensemble des travailleurs de l’administration judiciaire, avaient eu le temps de se barricader dans leurs bureaux sous la protection des forces de sécurité.
VOLS SPECTACULAIRES DE BETAIL.
Qu’est-ce qui a donc pu cristalliser autant de rancœurs contre le jeune magistrat ? Selon les témoignages, ce sont les vols de bétail à répétition qui sont à la base de la colère des populations. Leurs soupçons ont porté sur un certain Mahamane Cissé dit « Diop ». Ce jeune homme d’une quarantaine d’années serait connu comme un voleur aguerri dans toute la contrée. Il a déjà fait l’objet de plusieurs arrestations et libéré à chaque fois, sans être jugé. Pour les éleveurs victimes des vols, il n’y a aucun doute: c’est le juge qui ordonne, à chaque fois, la relaxe de «leur» voleur. Il y a aussi le viol collectif d’une fillette de 14 ans du nom d’Assa T. dont les auteurs auraient été libérés contre paiement d’une caution.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase bien plein des contentieux, est un acte attribué encore une fois au fameux Mahamane Cissé et à des complices. La veille de la fête de Tabaski, ils auraient abattus des bœufs dans les environs immédiats de la ville de Fana avant de disparaître. Après cette découverte, les soupçons se sont à nouveau portés sur Mahamane Cissé « Diop ». Le jeune homme aurait été recherché, capturé par des jeunes de la ville pour ensuite être remis à la gendarmerie. Mais le présumé voleur retrouvera rapidement la liberté. Aux yeux des éleveurs, c’en était trop. Le juge Noumou Moussa Samaké s’est retrouvé dans leur collimateur, comme étant le seul responsable de l’impunité persistante de « leur » voleur.
Informé de l’atmosphère délétère qui régnait à Fana depuis quelques mois, le ministre Bathily avait programmé une visite dans la localité. Mais les choses se sont précipitées avec la manifestation de mardi passé. Sa venue a été très bien accueillie par la population de Fana. Le ministre de la Justice et des Droits de l’homme a eu des échanges fructueux avec les autorités locales en présence d’une foule immense. Au cours de ces échanges, il a encore été forme: « nul n’est et ne saurait être au dessus de la loi ». Sur le champ, il a instruit au procureur de Koulikoro, dont relève Fana, de « prendre les dispositions » qui s’imposent en pareille circonstance pour tirer cette affaire au clair. Et cela dans les quinze jours à venir. « Nous ne sommes pas venus pour dire que telle personne à tort ou telle autre a raison. Mais nous sommes venus pour que la justice soit et que le droit soit dit de façon juste et équitable », a-t-il déclaré avant de préciser qu’il n’avait pas affaire au juge de Fana, sous les applaudissements nourris d’une foule visiblement satisfaite.
CCOM/Justice