A la recherche de « l’oiseau rare »
Trois jours plus tard, le village se réunit de nouveau. C’est alors qu’un habitant, qui dit avoir mûrement réfléchi à la question, hasarde : « Pourtant, j’en connais bien un qui répond aux critères exigés. Mais il reste à savoir s’il accepterait le poste. Quand même, on peut toujours essayer de le contacter et de le convaincre ». Sitôt dit, sitôt fait : on forme une petite délégation composée de sept notables triés sur le volet qui se rend illico chez l’homme désigné pour le prier de bien vouloir accepter l’honorable proposition.
Pourtant, tout le monde craignait que l’homme déclinât l’offre, tant il était non seulement rigoureux, sinon à cheval sur certains principes, mais il était toujours cloîtré chez lui, tel un ermite. Mais contre toute attente, le « saint » homme ne refuse pas l’offre qu’on lui fait. Bien au contraire, il dit sagement : « Eh bien, si telle est la décision de tout le village, j’accepte volontiers ». L’agrément de « l’ermite » comble tout le monde de joie. Et voilà donc notre homme investi Imam. Jusqu’au jour où le village est doté d’un corbillard flambant neuf : un don d’une ONG.
C’est alors qu’un autre gros os (problème) se pose, et non des moindres : où garer le fourgon mortuaire, le village ne disposant pas de parc automobile, encore moins d’un espace protégé pour abriter un aussi gros véhicule ? Du coup, les notables se trouvent fort embarrassés. Aussi forment-ils une délégation qui vient tout naturellement consulter le nouvel Imam. Le chef de la délégation se décide, déjà craintif : « Almamy (Imam), comme vous êtes notre guide à tous, nous avons unanimement décidé que le nouveau corbillard serait mieux en sécurité devant votre porte. Aussi, nous vous prions de…».
La furie de l’Almamy
A ces mots, sans attendre, encore moins entendre la fin de la sollicitation du représentant des notables, l’Imam, piqué au vif, se dresse tel un ressort. Il se met alors à tonner, à hurler presque, et lance avec des yeux rougis par une colère noire : « Anhaaan !!! Je le savais presque ! C’était çà votre combine hein ? Je comprends mieux maintenant pourquoi vous n’avez pas trouvé un Imam dans tout le village ! Vous me preniez sans doute pour un imbécile ? Eh bien non, car jamais ce ramasseur de cadavres (le corbillard : NDLR) ne passera une seule nuit devant ma porte ! Vous m’entendez ? Jamais ! ». Dès qu’il termine sa coléreuse tirade, l’Imam, sans attendre une quelconque réplique, s’engouffre comme une tornade dans sa maison pour ne plus en ressortir.
Les représentants des notables étaient si surpris, voire sidérés, que pendant un bon moment, ils restent tétanisés, bouche bée et sans voix. Le silence qui s’est installé tout d’un coup parmi l’assistance est si sépulcral qu’on entendait…un moustique voler. Pendant que les uns se regardent de biais entre eux, les autres baissent la tête, confus et souhaitant ardemment se trouver ailleurs. Mais l’un d’entre eux prend son courage à deux mains, se lève, rejoint l’Imam à l’intérieur de son gourbi et tente de le convaincre : « Mais voyons, Almamy, c’est tout simplement une marque de confiance que les habitants portent sur vous. Et nous… ».
Cette fois-ci, ce sont des « bouffées de fumée » (pourrait-on dire) qui sortent des narines de l’Imam, et sa rage ne fait que décupler. Sans crier gare, il ressort en trombe de sa maison et se met à gesticuler de manière encore plus menaçante en direction des notables qui n’en reviennent pas. Et sa voix s’entend cette fois-ci à des centaines de kilomètres à la ronde : « Vous n’êtes que de vulgaires hypocrites, des méchants et des égoïstes, tous tant que vous êtes ! D’ailleurs, je vous voyais venir depuis longtemps ! Si c’est comme ça, vous pouvez garder votre Alamamiya de merde ! Je n’en veux plus ! Almamy par-ci, Almamy par là ! Et pourquoi l’un de vous ne peut-il pas garder cette chose (le corbillard) devant sa porte, hein ? D’ailleurs, je ne suis plus votre Imam ! Allez vous en chercher un autre et débarrassez-moi le plancher ! ». Et il s’engouffre de nouveau dans sa maison en manquant de tomber, laissant toute l’assistance pantoise, médusée et abasourdie.
C’est à cet instant précis que tous les notables sont convaincus que l’Imam, ou du moins l’ex-Imam était depuis longtemps atteint d’une folie dont la crise n’attendait qu’une occasion pour se réveiller et éclater au grand jour. Mais ce que tout le monde ignore, c’est deux choses. Un : la « folie » de l’Imam, c’est plutôt sa susceptibilité maladive, exacerbée et à fleur de peau. Deux : l’Imam croyait mordicus que depuis belle lurette, les habitants du village ont ourdi un plan à son insu pour le faire passer de vie à trépas. Tout compte fait, on sera moins surpris de l’attitude de l’Imam démissionnaire si l’on sait que …c’est un Coulibaly ! C’est du moins ce que nous a affirmé le rapporteur de cette histoire.
Par Oumar Diawara « Le Viator »
Le Coq 01/07/2011