Une transition d’un an présidée par une personnalité civile ; un Premier ministre civil… Voila le choix fait par les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Ils ont décidé à la place des Maliens lors de leur sommet extraordinaire tenu par visioconférence le vendredi 28 août 2020. Et quant aux sanctions politiques et économiques imposées au peuple malien, elles sont toujours en cours jusqu’au prochain sommet ordinaire prévu le 7 septembre 2020. Des décisions largement condamnées par les Maliens sur les réseaux sociaux. Et certains n’hésitent même pas à souhaiter notre retrait de cette organisation. Des réactions épidermiques qui peuvent nous amener à ne pas faire une analyse pertinente de la situation et à jeter le bébé avec l’eau du bain.
«Il y a une règle au sein de l’institution qui insiste : la transition en cas de coup d’État ne doit pas dépasser douze mois… Une autre règle exige que le président de la transition soit un civil, tout comme le Premier ministre, mais ne soit pas candidat à la présidentielle». Telle est une récente déclaration à la presse faite par M. Jean-Claude Kassi Brou, président de la Commission de la Cédéao.
Et sans doute que nous (la junte et la majorité des Maliens qui veulent une transition cogérée par militaires et civils) n’avons pas la même lecture de la situation que la Cédéao qui la voit à l’échelle sous-régionale. Ainsi selon le président en exercice de l’organisation, Mahamadou Issoufou (président du Niger), «le retour à l’ordre constitutionnel suppose le retour des militaires dans leurs casernes». Mais, notre souhait est que les militaires remettent de l’ordre dans la «Maison Mali» avant de passer la main à un président démocratiquement élu.
Maintenant que la Cédéao n’est pas d’accord avec la Feuille de route des militaires que faut-il faire ? Avons-nous le choix ? Bien sûr diront les experts et consultants autoproclamés sur les réseaux sociaux. Certains vont jusqu’à proposer le retrait de notre pays de l’organisation sous-régionale. Et cela à l’image de la Mauritanie. Dans leur aveuglement, ils oublient que comparaison n’est pas forcément raison. Le Mali est un pays enclavé alors que la Mauritanie à une façade maritime.
Mais, de toutes les manières on a toujours le choix : se plier aux recommandations de la Cédéao ou mener notre transition à notre guise avec tout ce que cela suppose comme conséquence ! Mais, il est utile de rappeler que nous ne parviendrons jamais au changement escompté en laissant la colère, la passion et l’orgueil l’emporter sur la raison. Il nous faut réfléchir pour pouvoir faire la part des choses.
La Cédéao s’est engouffrée par une brèche que nous avons ouverte par notre incapacité à se parler
Une réflexion qui va sans doute nous amener à nous remettre en cause nous-mêmes. Pourquoi nous sommes aujourd’hui la risée des autres ? Qu’est-ce qui fait que nous sommes aujourd’hui à la merci de ce «syndicat de chefs d’État rompus à la manipulation de la démocratie à l’africaine et au détournement des règles constitutionnelles» ? Quand il y a la brèche dans le mur, les lézards… y trouvent refuge, dit un adage bien connu chez nous.
Nous avons donc tous notre part de responsabilité dans la situation actuelle du pays. Et surtout le M5-RFP dont le radicalisme n’augurait rien de bon pour le pays et dont le bras de fer avec le pouvoir en place ne laissait présager rien d’autre que des affrontements entre ses militants et ceux qui n’étaient pas d’accord avec sa stratégie de lutte. C’est parce que nous avons été incapables de nous parler et de trouver un consensus entre l’ensemble des acteurs politiques que nous sommes obligés aujourd’hui de subir cette «ingérence».
Le coup d’Etat est une rupture du fonctionnement de l’Etat que personne ne souhaite dans une vraie démocratie. Mais, sincèrement pouvait-on miser sur un autre dénouement de cette crise alors que l’une des parties campait sur ses positions pour réclamer la démission de l’autre ? Le vin est tiré et nous sommes condamnés à le boire jusqu’à la lie. Et comme le suggère si bien Dr Moussa Balla Diakité (médecin/diplomate et ancien ministre), «faisons attention à ne pas prendre la Cédéao comme notre ennemie». Et cela d’autant plus, comme il l’explique si pertinemment, «nos voisins sont aussi inquiets et concernés que nous parce que nos économies sont interdépendantes, pour ne pas dire plus».
Et comme le dit aussi pertinemment Alioune Tine (Défenseur des droits de l’homme), la crise malienne est «un facteur aggravant de dégradation de la sécurité régionale… La junte doit faire preuve de flexibilité et d’ouverture au dialogue». Et il ne faut pas analyser les sanctions à l’échelle seulement de la sous-région. Le retour rapide à l’ordre constitutionnel n’est pas une exigence de la seule Cédéao, mais aussi de presque tous nos partenaires dont certains, comme les Etats-Unis, ont déjà suspendu leur coopération avec notre pays dans tous les domaines.
Nous nous appesantissons sur le cas des Américains parce qu’ils interviennent de façon considérable et judicieuse au niveau de l’Education et de la Santé ainsi que dans le développement des filières économiques et le renforcement de notre capacité de défense. On se souvient de l’inquiétude de Paris quand les Etats-Unis ont un moment annoncé leur retrait de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Et cela parce que l’efficacité de Barkhane dépend en partie des précieux renseignements fournis par les Américains.
«Je souhaite le meilleur pour le CNSP, mais l’échec des civils et l’aversion visible des populations contre leur gestion ne doit pas aussi nous faire oublier les intérêts du pays et les défis auxquels nous devons faire face en rangs serrés», rappelle Dr. Diakité, ancien Consul général du Mali à N’Gaoundéré (Cameroun).
Sortir de la posture de la contestation permanente
Il faut surtout se garder de minimiser les effets des sanctions. En effet, même si les produits alimentaires, les médicaments et les hydrocarbures ne sont pas pour le moment concernés (pour des raisons humanitaires), le gel des flux financiers est un sérieux obstacle aux transactions bancaires. Pour faire des commandes de ces produits, il faut faire des virements. Donc si cela est impossible, il va de soi qu’il n’y ait pas d’approvisionnement. Sans compter que ce gel des flux financiers peut aussi négativement impacter le paiement des salaires, donc les revenus. Comment payer de la nourriture, des médicaments ou du carburant si on n’a pas d’argent ?
Nous ne voulons pas être pessimistes, mais il faut aussi reconnaître que notre pays n’a pas tellement le choix et a surtout d’autres priorités que «d’affronter la Cédéao», dont les soldats sont également impliqués dans la sécurisation de notre pays à travers la Minusma et la Force conjointe du G5 Sahel. Il faut sortir de la posture de la contestation permanente et se mettre au travail au service de la nation.
Evaluons donc la position de la Cédéao avec la raison et non avec le cœur. Pour ce qui est de la durée d’un an pour la transition, je pense que c’est un défi que nous pouvons relever si nous parvenons à faire l’économie de certaines propositions comme l’organisation d’une conférence nationale souveraine.
Et cela d’autant plus que le CNSP a annoncé sa volonté de mettre en œuvre les recommandations du Dialogue national inclusif (DNI) dont les participants ne seront pas forcément différents de ceux de la conférence nationale proposée. Et même si l’opposition a boycotté ces assises, elle aura sans doute la bonne foi de reconnaître qu’elles ont procédé à une analyse sans complaisance de l’état de la nation et proposer des solutions courageuses comme la révision de la constitution et la relecture de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Et le tort d’IBK a été de n’avoir pas donné la suite qui s’imposait à ces assises : la mise en place d’un organe indépendant de mise en œuvre de leurs recommandations comme il s’était engagé à le faire ! A la rigueur, l’opposition peut proposer des amendements pour améliorer le document. Mais, déjà se servir des recommandations du DNI comme la base des réformes à entreprendre nous permet de gagner non seulement du temps, mais aussi d’économiser des fonds devant servir à organiser la conférence nationale et qui peuvent par exemple servir à autre chose en cette période de crise économique.
Rien ne nous empêche aussi d’accepter cette durée d’un an et négocier une rallonge avec la Cédéao si cela s’avère réellement nécessaire. De toutes les manières elle dit être là pour nous accompagner.
Pour ce qui est du choix des hommes ou des femmes chargés de diriger les organes de la transition, nous pensons qu’il est possible de partager la poire en deux : Un comité de transition dirigé par un militaire avec un Premier ministre civil ! Comme en 1991 après la Révolution de mars. Et de toutes les manières la classe politique est disqualifiée parce que non seulement ceux qui sont chargés de la gestion de la transition ne pourrons pas se présenter aux prochaines élections, mais aussi à cause du profond désamour entre elle et les Maliens. De ce qui apparait des débats, ce que les Maliens sont favorables à ce schéma de gestion (civil-militaire) et la Cédéao doit le comprendre et l’accepter comme un mal nécessaire à la stabilisation pérenne du pays.
Le changement de système a besoin de temps, mais surtout de méthode et de pédagogie. A nous de trouver la meilleure stratégie en la matière pour gagner du temps. Certes, il y a beaucoup à reprocher à la Cédéao, comme vouloir par exemple nous cantonner à être les vaches qui regardent le train passer, mais l’orgueil et la fierté d’une fausse souveraineté ne doivent pas nous pousser à jeter le bébé avec l’eau du bain.
N’oublions pas surtout que beaucoup de débatteurs et experts sur les réseaux sociaux ne sont pas forcément animés d’une bonne foi à l’égard de la junte ou du Mali.
Hamady Tamba
MAHMOUD DICKO FACE SA PROMESSE
L’Imam s’es-il égaré dans l’arène politique ?
Figure centrale de la crise sociopolitique qui a abouti à la prise du pouvoir par le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) le 18 août 2020, l’Imam Mahmoud Dicko a sévèrement mis en garde les militaires contre une autre gestion du pays que celle prônée par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). «J’ai demandé à tout le monde de se réunir autour du Mali. Je le demande toujours mais cela ne veut pas dire que les militaires ont reçu un chèque en blanc», a-t-il déclaré devant des centaines de personnes réunies vendredi dernier (28 août 2020) au Palais de la culture Amadou Hampâté Ba de Bamako. C’était à l’occasion d’une cérémonie de sacrifice à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie les 11 et 12 juillet 2020.
A écouter l’Imam Mahmoud Dicko et surtout son bras droit et gendre, Issa Kaou Djim, les militaires du CNSP ont pris le pouvoir pour le «Salut» de la foule qu’ils rassemblaient sur la Place de l’Indépendance et non pour celui de ce peuple. Quoique cette foule ait été qualifiée de «marée humaine», elle ne représente pas plus au maximum 1 % des 22 millions de Maliens. Et cette majorité silencieuse n’a pas forcément les mêmes aspirations que l’Imam et son M5-RFP.
Et c’est curieux que ce regroupement hétéroclite s’en prenne au CNSP pour avoir pris un «Acte fondamental» (donnant une légalité à ses décisions avant l’élaboration et l’adoption d’une Charte de la transition) et de n’avoir pas été nommément invité à la rencontre de samedi (29 août 2020) avec les forces vives de la Nation. Une rencontre finalement reportée à une date ultérieure. Si nous comprenons bien, le M5-RFP n’est ni du groupement des partis politiques de la Majorité, ni de ceux des partis politiques de l’opposition, ni du groupement des partis politiques du Centre, ni des partis politiques non alignés. Ce qui donne raison à ceux qui le traitent de «regroupement hybride».
Les mises en garde de l’Imam découlent surtout de la volonté manifestée par le M5-RFP depuis la démission d’IBK le 18 août 2020 d’imposer à tout prix à la junte un agenda. Céder à ce chantage serait une grosse erreur politique de la part du CNSP parce qu’il doit être neutre pour mieux arbitrer les prochaines élections (présidentielles et législatives). Un rôle qui lui impose une neutralité et un traitement égalitaire vis-à-vis de l’ensemble des forces vives de la nation.
Au meeting du 21 août 2020, l’Imam avait annoncé qu’il allait se retirer du devant de la scène politique pour se consacrer au culte, à ses fonctions d’imam. Ce qui était sage. Mais, visiblement, le leader religieux s’est égaré entre la Place de l’Indépendance et sa mosquée où il est supposé reprendre service.
Décidément, l’ivresse du pouvoir est comme l’histoire de l’âne qui a goûté au miel et qui ne veut rien manger que ça. Le dénouement n’est pas forcément heureux. Les grands hommes sont ceux qui savent se retirer à temps avec honneur pour se mettre au-dessus de la mêlée.
Naby