Ex-agent de la CIA au service du Qatar: la guerre du renseignement dérive vers le sport

Quand d’anciens agents du renseignement se reconvertissent au service des ambitions sportives des États, le résultat est parfois « choquant ». Éric Denécé, directeur du CF2R, analyse l’actualité sportive pour Le Désordre mondial.
Que font les officiers de la CIA lorsqu’ils prennent leur retraite? Certains d’entre eux se lanceraient dans de lucratives carrières au service de gouvernements étrangers par le biais de sociétés de conseil privées, avec la bénédiction tacite de la CIA, pourvu qu’ils ne divulguent pas les informations acquises au sein de l’agence.
C’est ainsi que Kevin Chalker, ancien officier de la CIA, aurait aidé le Qatar à battre ses concurrents dans l’appel d’offres pour l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022. Sa société « Global Risk Advisors » aurait espionné les décideurs de la FIFA avant la candidature de Doha, selon une enquête publiée par l’Associated Press.
De plus, l’AP relate qu’après la victoire du Qatar, l’ex-agent aurait continué à travailler pour l’émirat sur la surveillance des ouvriers étrangers et des critiques internationales sur leurs conditions de travail. D’autres projets de Kevin Chalker prévoyaient le déploiement de drones pour surveiller les frontières du pays ou « l’exploitation d’appareils mobiles » pour fournir des « renseignements critiques » au service de la sécurité nationale du Qatar.
A man looks at his phone on the corniche in the Qatari capital Doha on July 2, 2017. - Sputnik France, 1920, 24.11.2021

International

Mondial au Qatar: quand un ancien de la CIA joue les agents discrets

Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et l’auteur du livre La nouvelle guerre secrète (Mareuil Éditions), a un avis tranché sur la question:
« Qu’un agent se livre à ce genre d’opération pour faire en sorte que les JO et les coupes du monde aient lieu dans son propre pays, cela me semble quelque chose d’éthique. Maintenant que des Occidentaux, en particulier Américains, acceptent d’aller le faire au Qatar dans un pays salafiste qui a été un des principaux soutiens du terrorisme, qui soutient les Frères musulmans* et ne respecte les droits de l’homme ou du travail, là on tombe sur d’anciens opérateurs du renseignement sans foi ni loi qui sont là pour le fric et qui n’ont aucune valeur. Dès l’instant qu’ils gagnent de l’argent, ils sont prêts à servir tous les régimes aussi stupides soient-ils. Ça, c’est ce qui est choquant. »
Éric Denécé décrit la zone grise dans laquelle ces activités d’espionnage peuvent se retrouver:
« Ce qui compte c’est la loi du pays dans lequel l’ex-agent mène ses actions. Donc si un ancien membre de la CIA conduit ses actions avec l’autorisation du gouvernent du Qatar, il peut utiliser tous les moyens qui seraient illégaux s’il n’était pas mandaté pour le faire. Il peut donc mettre des chambres d’hôtel sur écoute par exemple, il est en situation de légalité même si vis-à-vis des gens qu’il va espionner, c’est considéré comme une intrusion inadmissible dans la vie privée. »
Qu’en pense la CIA? Elle a souligné dans une note adressée à ses ex-agents que les pays étrangers aimaient employer ses anciens officiers « pour renforcer leurs capacités d’espionnage« , une tendance que l’agence a qualifiée de « négative« . Le Congrès américain souhaite dorénavant imposer une déclaration aux anciens officiers de la CIA travaillant pour des gouvernements étrangers.
Éric Denecé affirme qu’après leur carrière au sein du service d’État, de nombreux agents vont ensuite « se vendre » au secteur privé où ils font « des affaires très lucratives« . Le fait que la carrière de Chalker ait été relativement courte –cinq ans– n’est pas un handicap:
« À partir du moment où il a un certain savoir-faire et qu’il a su construire ses réseaux, il va plutôt se situer comme quelqu’un qui va jouer le commercial, quitte à lui-même faire appel à des sous-traitants –d’autres collègues qui peuvent avoir dix, quinze ou vingt ans d’expérience. »
*Organisation terroriste interdite en Russie.
Rachel Marsden
Source: Sputnik