On peut dire que déjà, les langues commencent à se délier au sujet de ce qui s’est réellement passé à Kidal, ce samedi 17 mai 2014. A l’analyse, l’on constate beaucoup de zones d’ombre et des questionnements, notamment en ce qui concerne les circonstances exactes dans lesquelles cette visite s’est déroulée en tenant compte bien évidemment des niveaux de préparation et d’organisation.
Si tout le monde semble unanime sur le bien-fondé du déplacement du Premier ministre, Moussa Mara, à Kidal dans le cadre de ses fonctions, comme partout ailleurs sur le territoire national, certains analystes dénoncent le caractère « très léger de la préparation » dont le gouvernement aurait fait preuve dans le cadre de cette visite.
Ils estiment que tous savaient la situation « d’exception de fait » qui prévalait à Kidal depuis la « libération » de cette ville par les soldats français de l’opération Serval à l’absence totale de l’armée malienne. Des arguments fallacieux ont été utilisés à l’époque pour justifier cet affront. Depuis lors, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) quasiment défait par les jihadistes et rendu inexistant sur le terrain, a été remis en selle pour des raisons inavouées. Voilà d’où est partie le statut d’exception dont jouit de fait Kidal en contradiction totale de tous les principes de droit international, des résolutions des Nations unies et des accords signés à ce sujet.
Mais aussi curieux que cela puisse paraître, certains « partenaires » du Mali semblent n’avoir cure de ces dispositions. Ainsi, dans la réalité, tout est mis en œuvre pour « éloigner » Kidal du reste du Mali. Le gouvernement savait pertinemment tout cela avant de convenir de l’opportunité d’une visite du Premier ministre à Kidal. Surtout qu’en la matière, il y avait un précédent fâcheux à travers « l’interdiction » faite à l’ancien Premier ministre, Oumar Tatam Ly d’effectuer un déplacement similaire.
Le gouvernement était donc parfaitement averti des tenants et aboutissants de la situation d’extrême sensibilité à Kidal. Ce qui, selon certains analystes, aurait incité tout Etat sérieux à prendre un minimum de précautions, ne serait-ce que pour assurer non seulement la sécurité de la délégation du Premier ministre, Moussa Mara, mais également celle de tous ceux qui, d’une manière ou l’autre, étaient concernés par cette visite, notamment les représentants de l’Etat dans la région. Les mêmes dispositions auraient certainement permis de garantir le succès de la mission.
Mais que non ! Les apprentis stratèges, comme le Mali en a pris malheureusement la mauvaise habitude depuis un certain temps, en ont décidé autrement. Sachant l’état d’impréparation et en l’absence de toute disposition sécuritaire conséquente, le gouvernement a pris le risque inqualifiable de mettre en danger la vie du chef du gouvernement, des membres de sa délégation et des agents de l’Etat en service dans la région.
Il découle de cette attitude de légèreté de la part de l’Etat de graves conséquences, notamment les violences qui ont émaillé la visite du Premier ministre, chef du gouvernement de la République, les atrocités subies par les représentants de l’Etat et de simples agents ainsi que les nombreux morts et blessés que l’on déplore aujourd’hui. Ces propos ne visent nullement à remettre en cause, ni la pertinence et encore moins le bien-fondé de la visite du Premier ministre au nord et singulièrement à Kidal.
Mais, compte tenu de l’extrême sensibilité, de la volatilité, de la complexité et de l’enjeu de la situation délibérément suscitée, créée et entretenue à dessein à Kidal par la duplicité et la complicité dans la concussion de certains acteurs de la crise, il aurait fallu s’assurer auparavant que toutes les dispositions utiles et nécessaires avaient été prises avant d’entreprendre cette visite de terrain.
Cela n’absout en rien les atrocités commises par des criminels qui ont profité de l’occasion pour attenter une nouvelle fois aux valeurs et symboles de la République dans cette partie du territoire national. La punition doit être à la hauteur des délits et des crimes.
Malheureusement, il se trouve que ces gens ne sont pas à leur premier coup. Loin s’en faut. C’est même devenu une pratique courante de la part de ces ennemis de notre nation. Ils y sont encouragés, voire confortés, notamment par la faiblesse de l’Etat, l’absence de stratégie à moyen et long termes du gouvernement par rapport à la problématique, mais aussi et surtout à cause de l’impunité érigée en système politique, qui « blanchit » à chaque fois les auteurs de crimes horribles contre la République.
A ce sujet, faut-il rappeler que certains individus soupçonnés dans l’assassinat de nos soldats à Aguelhok en 2012, se pavanent aujourd’hui à l’Assemblée nationale, haut lieu de la démocratie et 2e institution de la République, après la présidence, avec la bénédiction, voire la protection des pouvoirs politiques ! Tant que l’Etat persistera dans « la clémence » vis-à-vis de ces bandits, terroristes et autres narcotrafiquants, cette partie de notre territoire continuera à être « une épine » dans le pied de la république et une tâche sombre dans l’histoire de notre nation.
Dans le même ordre d’idées, il est tout autant curieux qu’une si importante délégation, conduite de surcroît par le Premier ministre, se déplace dans un contexte aussi particulier, sans la présence des élus de la région à l’Assemblée nationale. Quel rôle confère-t-on donc à nos députés ? Qu’en est-il également de la nécessaire complémentarité entre les institutions de la République ? En plus, certains membres de la délégation du Premier ministre auraient dû ne pas en faire partie en ces moments précis. Par ailleurs, tout aurait dû être fait afin que le Premier ministre et sa délégation rendent des visites de courtoisie à certaines notabilités de la ville comme il est de coutume dans notre pays. Mais rien de tout cela. Alors, la question de l’opportunité de cette visite en ce moment précis et dans les conditions pareilles, se pose à raison.
Autant de questions et de questionnements qui interpellent les décideurs au sommet de l’Etat afin d’éviter à notre pays des situations telles que nous en avons connues samedi dernier à Kidal.
Un Etat doit savoir tirer les enseignements de toutes les situations et expériences. Pour ce faire, l’Etat doit sortir de l’amateurisme et la précipitation qui semblent aujourd’hui caractériser certaines de ces actions. Des initiatives, à la limite salutaires, se trouvent ainsi mal conduites. Alors, il en résulte généralement des effets contraires. C’est le cas de cette visite à Kidal dont le bien-fondé et la pertinence n’en justifient cependant pas l’opportunité du moment. Elle aurait dû avoir lieu, mais dans de meilleures conditions d’organisation et de déroulement.
Mais, puisque le vin est tiré, il faut le boire ! Espérant simplement ne pas en boire jusqu’à la lie ! Cependant, cette fois-ci, il faut aller jusqu’au bout afin de ramener définitivement Kidal dans la République à l’instar des autres localités du pays, mettant ainsi fin à une exception devenue insoutenable.
Des « mauvaises langues » insinuent également que la visite du Premier ministre à Kidal aurait été malgré tout « forcée » à dessein. Le gouvernement aurait voulu ainsi pouvoir en tirer un double avantage. D’une part, trouver d’autre sujet de préoccupation à l’opinion nationale, au moment où des bruits de casseroles entouraient un certain nombre d’affaires publiques (marché d’achat d’armements, avion présidentiel, implication de la famille dans la gestion de l’Etat, etc.), et d’autre part, conférer ou consolider l’image du président de la République et de son Premier ministre, comme étant des hommes de poigne, déterminés à laver l’affront que subit la nation malienne à travers la situation d’exception instaurée de fait à Kidal.
Malgré les violences unanimement condamnées par tous (communauté internationale y compris) et les nombreuses pertes en vies humaines que l’on déplore en fin de compte, l’un et l’autre de ces deux objectifs semblent aujourd’hui atteints.
En effet, le Premier ministre Moussa Mara apparait désormais comme le héros dans un Mali humilié ; la situation de Kidal est redevenue le sujet de préoccupation primordiale de la nation sans exclusive aucune et cerise sur le gâteau, l’armée malienne est de retour en nombre, peut-être pas encore suffisant, à Kidal, mais en mesure tout de même de renforcer sa position vis-à-vis des groupes armés dans la perspective des négociations prochaines auxquelles toutes les parties rappellent leur attachement et leur disponibilité ; ou d’une reprise en main totale de la ville par l’Etat.
On pourrait alors dire, qu’en quelque chose malheur est souvent bon ! A condition cependant, que ces sacrifices ultimes au prix souvent de la vie, permettent au Mali d’aller à une solution définitive et durable à la crise sécuritaire qui annihile toutes ses actions de développement depuis des années, tant mieux. Ils auraient ainsi été utiles en servant la cause de l’édification d’une nation entièrement réconciliée avec elle-même, unie et déterminée à reprendre la place, qu’elle n’aurait jamais dû quitter, au sein de la communauté des pays civilisés et modernes. Ensemble, cela ne semble pas au-dessus de nos moyens ! Pourvu que tous, Maliennes et Maliens, avec le soutien de nos amis, nous y consacrions toute la volonté et la détermination nécessaires.
Alors et seulement alors, le Mali sera celui de nos rêves communs et dans lequel chaque citoyen s’épanouira pleinement.
Bréhima Sidibé
L’ Indicateur Du Renouveau 2014-05-22 12:39:11