En effet, avant et après les prières du vendredi, les imans développent ce qu’ils s’emploient à présenter comme « les bonnes pratiques en islam » selon la prescription divine. Rien de moins que ce qui est en vigueur aujourd’hui dans le Nord du Mali depuis la prise totale du contrôle de ces régions par les groupes armés, c’est-à-dire : « la charia » version salafiste.
De là à déduire que la jonction est déjà faite entre le Nord sous « charia » et le Sud en voie d’être « bientôt conquis », il n’y a plus aucun doute possible. Le Mali aura désormais beaucoup de peine à préserver « sa laïcité » en tant que République.
Les observateurs les plus avertis n’avaient-ils pas déjà tiré la sonnette d’alarme à la suite des discours « enflammés » tenus à ce sujet par le président du Haut conseil islamique (HCI), Mahmoud Dicko et le président de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMA), Mohamed Macky Ba ?
En effet, lors du meeting géant organisé le 12 août 2012 au stade 26-Mars de Bamako, devant l’ensemble du gotha politique, des représentants d’institutions de la République et quelque 60 000 fidèles « conditionnés » à bloc, l’imam Mahmoud Dicko a confirmé ce que bon nombre de gens pensaient déjà de lui quant à une probable connexion avec le groupe Ançar Eddine de Iyad Ag Ghaly, qu’il n’a d’ailleurs pas manqué de présenter à l’occasion comme « un ami de longue date et avec lequel il partage beaucoup de valeurs idéologiques, même s’il désapprouve ses méthodes de les faire valoir ».
Il renchérira en ces termes « nous n’avons pas attendu ce moment pour entreprendre ce travail. Il y a longtemps que nous nous y employons. Mais nous n’avons jamais eu besoin d’armes ni de violence pour atteindre nos objectifs ».
Quant au président de l’UJMA, il a été on ne peut plus clair en affirmant que la stratégie de « conquête du pouvoir » dont « l’exercice a été une catastrophe par les hommes politiques du pays depuis plusieurs dizaines d’années » mise en œuvre, consistait « à installer dans les milliers de mosquées recensées sur l’ensemble du territoire à cet effet, des comités de jeunes musulmans, comprenant chacun 13 membres au moins ».
Selon leurs calculs, le moment venu, ils disposeraient ainsi de plus de 200 000 éléments repartis sur l’ensemble du territoire pour « contrôler, orienter et contribuer de façon incontournable à toutes prises de décisions concernant la vie de la nation ». Ce travail serait en cours et se poursuit allègrement.
Ces informations, mises bout à bout, permettent de se faire une idée exacte de l’ampleur et de la profondeur du « travail de sape » que semblent mener certains milieux religieux au Mali, voire dans la sous-région ouest-africaine, afin de rendre « la révolution islamique » irrévocable et irréversible d’une manière ou d’une autre.
Cela participe sûrement d’une stratégie longtemps murie et savamment réfléchie. Elle fait usage des trois options possibles : 1°) la voie des armes conduite par Iyad Ag Ghaly à partir du Nord ; 2°) la sensibilisation et le conditionnement des esprits de façon concomitante des populations du Sud beaucoup plus « christianisé » et moins « versé » dans les pratiques de l’islam contrairement aux compatriotes du Nord ; et enfin 3°) prendre et contrôler le pouvoir politique à travers l’application stricte « des normes coraniques ».
On comprend à présent l’intérêt et la forte implication des religieux dans la gestion et la recherche de solution de la crise malienne. A l’analyse, le schéma était certainement déjà élaboré bien avant les événements du 22 mars 2012. Mais, comme sur le plan sécuritaire, ces événements ont contribué à donner « un coup d’accélérateur » à certaines phases du plan stratégique.
Ainsi, après avoir cosigné « une plateforme conventionnelle » avec des regroupements politiques et de la société civile pour « une solution malienne » à la crise institutionnelle et sécuritaire que connait le pays le début des hostilités et la chute du régime d’Amadou Toumani Touré, le Haut conseil islamique s’est profondément investi dans l’action humanitaire en direction des zones occupées à travers des initiatives de collecte de fonds et d’acheminement de produits de première nécessité.
Dans certains milieux influents de la capitale, son président a même été pressenti un moment pour occuper le très important poste de 2e vice-président du Haut Conseil d’Etat (HCE) dont la création a été annoncée par le président de la République par intérim dans son adresse à la nation le 29 juillet 2012. Mais l’intéressé lui-même ayant sûrement eu vent de ces informations, a profité de la tribune du meeting du 12 août 2012 pour couper court à ce qu’il a qualifié « de rumeurs » concernant un poste pour lequel il n’avait jamais été ni tenté, ni intéressé, car « suffisamment déjà occupé par la mission que Dieu et les fidèles musulmans du Mali lui avaient déjà confiée ». Mais cette « mise au point » n’a pas convaincu tout le monde quant aux réelles motivations de l’engagement presqu’obstiné de l’imam Dicko dans la recherche de solutions « négociées par le dialogue » à la crise malienne.
Ces dernières semaines, surtout depuis la tournure prise par les événements suite à l’implication et à la ferme détermination de la France et de la communauté internationale à « user de la force pour bouter tous les groupes extrémistes du Nord du Mali », le milieu musulman, surtout la tendance proche des salafistes, est en ébullition. Des cérémonies de « prêches » sont ainsi organisées un peu partout et à toutes les occasions (baptême, funérailles, mariage et autres foras) sont mises à profit pour véhiculer « le message et les recommandations de Dieu » relativement à la pratique religieuse et surtout « l’application de la charia » par tous et pour tous les croyants.
Aujourd’hui, toutes les conditions semblent être réunies pour que la jonction devienne « effective » entre les « frères musulmans » du Sud et du Nord. Ainsi, plus rien ne s’opposerait à la proclamation de la « République islamique populaire et démocratique du Mali ».
Un pas supplémentaire a été franchi dans cette optique le jeudi 18 octobre dernier, lorsque le Chérif de Nioro a appelé ouvertement « ses partisans » à se joindre à la marche organisée par le Collectif des organisations patriotiques du Mali (Copam, tendance Younouss Hamèye Dicko). Cet acte très audacieux de la part de cet érudit venait s’ajouter à la déclaration faite la veille dans une mosquée à Niaréla (Bamako), par ce même chef religieux, quant à sa volonté de « créer bientôt un parti politique afin d’assouvir ses ambitions politiques ».
Les masques commencent donc à tomber les uns après les autres. Mais dès lors que les religieux quittent le domaine et le terrain de la religion pour investir celui de la politique, ils ne peuvent plus être considérés comme « recours » ou « arbitres » entre les différents protagonistes, puis qu’ils deviennent eux-mêmes acteurs.
N’est-ce pas que tout ceci découle du laxisme de l’Etat ? Car, il y a longtemps que ce risque était perceptible au Mali depuis la floraison spectaculaire des écoles coraniques, des médersas et autres ONG investies dans la construction de mosquées, etc. Au lieu de prendre le devant et anticiper, les autorités de la république ont préféré fermer les yeux sur les risques et menaces possibles pouvant résulter de cette invasion du territoire par « les porteurs de valises pleines de pétrodollars ». C’était une fois de plus jouer avec le feu, comme d’habitude.
Mais que nulle ne s’y trompe ! Le Mali est certes un pays à majorité musulmane, mais de là à vouloir transposer la religion sur le terrain politique, il y a un pas qu’il faut s’abstenir de franchir si vite. Le Mali ne peut sociologiquement devenir du jour au lendemain un pays islamique. Les narcodollars, les pétrodollars et autres « missiles sol-air » venus de Libye ne pourront inverser indéfiniment cette donne. Les populations ne sont pas prêtes à accepter les atteintes graves à leur intégrité physique à travers notamment les amputations, les lapidations, les flagellations et autres pratiques moyenâgeuses.
Se sentant aujourd’hui en position de force, ces complices des « fous de Dieu » installés au nord du pays, n’hésiteront sûrement pas à « tenter » l’aventure. Mais le monde civilisé tient le Mali à l’œil. Permettra-t-il la somatisation ou l’afghanisation du Mali au risque de voir toute la sous-région sous l’emprise des barbus ? Rien n’est moins sûr ! Cependant, la vigilance doit être de mise et sans relâche.
Sinon, les défenseurs des libertés individuelles et collectives, les organisations et institutions de défense des droits de l’Homme, les grandes nations reconnues pour leur attachement aux principes et valeurs universelles de démocratie, seront mis ainsi devant le fait accompli et renvoyés à la réflexion pour davantage plus de pragmatisme dans l’action face aux fléaux qui menacent le monde dit « civilisé ».
Ibrahima Sidibé