Aujourd’hui, que vaut-il d’être Malien ? Quelle fierté et quel honneur peut-on se prévaloir lorsque du sommet du rônier, notre pays a chuté au fin fond de l’abîme ? D’une image, plus ou moins surfaite, de pays modèle, le Mali est devenu pratiquement un fardeau pour le monde entier. Sujet de préoccupation pour les uns, théâtre de jeu d’influence et d’intérêt pour d’autres et risée pour certains, sinon à la limite dépotoir pour « ordures et résidus » de toutes sortes dont le monde civilisé ne saurait s’accommoder.
Quelle tragédie pour un peuple qui semblait avoir bien amorcé son développement en 52 ans d’indépendance !
En effet, avec l’occupation en 72 h de plus des 2/3 du territoire national par des groupes terroristes et djihadistes ; des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés internes et externes ; une armée en débandade, divisée et avec un moral aux talons ; la chasse et la persécution systématiques de citoyens pour leurs opinions ou leur appartenance politique, le Mali a frôlé le pire dans les semaines qui ont suivi, n’eut été la détermination d’une partie de la classe politique et de la société civile et une vigilance des plus attentionnées de la communauté internationale.
Justement, il faut rendre hommage à tous ces combattants infatigables et intransigeants pour la liberté, la légalité, le droit, la justice et la solidarité dès lors que ces valeurs fondamentales de ce monde du 21e siècle sont remises en cause ou bafouées, cela dans un esprit d’égalité pour tous et d’équité.
On peut être d’avis ou non avec ceux qui estiment que l’heure n’est plus aux analyses sur les pourquoi et les raisons de la situation de déliquescence totale dans laquelle cette nation reconnue, il y a si peu, comme véritablement « intégrée » avec une démocratie citée en exemple sur un continent africain encore à la traine tant sur le plan du développement que celui des droits humains.
Mais une chose est sûre, la crise malienne mettra du temps à livrer tous ses secrets. Elle alimentera encore pendant longtemps les débats et fera l’objet de beaucoup de questionnements auxquels les intellectuels, les écrivains et autres historiens aideront à apporter certainement des réponses pour la mémoire et pour les générations futures.
Cependant, d’ores et déjà, on peut spéculer naturellement sur les conséquences de la crise qui impactent sérieusement sur le vécu quotidien des populations, aussi bien au plan national qu’international. Il est illusoire, voire utopique de vouloir décrire aujourd’hui avec exactitude le degré des souffrances qu’endurent les populations du Nord depuis l’occupation de ces régions par ces gens.
En effet, que reste-t-il à un homme que l’on a privé de toutes formes de liberté, soumis à toutes sortes d’humiliations et aux pires formes de violences ? Rien ou presque rien, si ce n’est l’espoir et l’espérance dans une solidarité nationale et internationale pour écourter le plus possible la situation.
Dire aujourd’hui que le Mali est malade peut paraitre comme une lapalissade. Mais ce qui mérite cependant d’être dit et su, c’est que tous les signaux sont en train de passer du jaune au rouge.
Au plan institutionnel et politique, malgré la relative accalmie de ces derniers jours, la situation demeure encore plus qu’incertaine avec cette opacité qui entoure toujours le niveau réel de prise de décision étatique ; un président de République presque inexistant et confiné dans un rôle purement protocolaire et honorifique ; un gouvernement dit d’union, mais loin d’en être un, dont l’activité se résume à faire « du sur-place » et du « tape-à-l’œil » sans véritable lisibilité ; un processus électoral au point mort et sans aucune perspective dégagée ; une armée nationale toujours minée par des divisions internes nonobstant les assurances données çà et là par quelques membres de la hiérarchie ; une classe politique divisée et sonnée « KO débout » en raison de sa responsabilité plus ou moins passive dans la gestion « catastrophique » du pays ces dernières décennies ; une société civile instrumentalisée et plus alimentaire qu’efficace dans sa mission de garante des bonnes pratiques en matière de gouvernance et enfin, un peuple assommé par l’ampleur des trahisons à l’origine de ses désillusions et qui a mis du temps à comprendre ce qui lui arrivait réellement.
Au plan économique et social, la situation est plus sombre. La Banque mondiale a estimé récemment les pertes financières dues à la crise à plus de 600 milliards F CFA pour l’économie malienne. En réalité, elles dépassent de loin ce chiffre. Car, tous les grands projets d’investissements et les grands chantiers d’infrastructures sont arrêtés. Les principaux bailleurs bilatéraux et multilatéraux ont mis leur coopération en veilleuse jusqu’au retour à « un régime légitime et démocratique ».
Les entreprises du secteur privé sont aux abois. Elles ont procédé dans un premier temps à la réduction de leurs charges salariales, mais, aujourd’hui c’est à des licenciements massifs de personnels que l’on assiste dans tous les secteurs d’activités. Les ONG, qui employaient plusieurs milliers de jeunes et de travailleurs de toutes catégories, ont mis la clef sous le paillasson depuis environ 6 à 8 mois.
Les victimes innocentes de cette crise économique sont aujourd’hui confrontées aux pires réalités du chômage et de l’inactivité. Si, jusque-là l’Etat parvient tant bien que mal à payer les salaires des fonctionnaires, des sources généralement bien informées indiquent que cela ne saurait durer encore pour longtemps. En effet, là aussi, les signaux sont en train de passer au rouge et le Trésor public serait actuellement soumis à une pression extrême pour honorer les salaires depuis la fin du mois d’août dernier.
Si rien n’est fait pour soulager les caisses de l’Etat d’ici quelques mois, la situation risque de devenir intenable et les ressources vont manquer à l’Etat pour faire face à ses obligations les plus élémentaires. Pendant ce temps, la majorité des populations vit au jour le jour et dans l’incertitude la plus totale quant à ce que sera demain. Quant au panier de la ménagère, à savoir s’il existe encore en tant que tel, il s’effiloche inexorablement pour ne plus se résumer qu’au strict minimum pour survivre.
En ce qui est de la situation sécuritaire et militaire, là également, à part les atermoiements et les tergiversations de la communauté internationale, rien de clair ne pointe à l’horizon, du moins dans l’immédiat. A la détermination de l’Europe, avec en tête la France et le Royaume-Uni, s’opposent la prudence, le manque d’empressement de l’ONU ainsi que « les exigences démocratiques » des Etats-Unis d’Amérique.
Néanmoins, l’ONU a adopté le 12 octobre dernier une résolution autorisant sous certaines conditions une intervention militaire africaine pour libérer le Nord du Mali. Mais du côté de la Cédéao, la réplique n’a pas tardé et de la bouche du président de la Commission, le Burkinabé Kadré Désiré Ouédraogo, « tout ce qui a été fait et entrepris dans ce sens jusqu’ici, l’a été en parfaite collaboration avec l’ensemble des partenaires notamment les experts des Nations unies et des autres parties prenantes ».
S’il y a alors jusqu’à présent une certaine insuffisance dans le dossier présenté par la Cédéao, cela ne peut être imputé à l’institution sous-régionale à elle seule. Quoi qu’il en soit, le monde se prépare à faire la guerre aux » terroristes » dans le Nord du Mali. S’agissant du traitement et de l’attitude à adopter vis-à-vis des « mouvements rebelles maliens », le consensus est loin d’être établi.
En effet, pour Bamako et certains partenaires comme la France, en l’étape actuelle, il n’y a pas de distinguo possible entre ces « groupes criminels et de narcotrafiquants ». Par contre, certains pays voisins, notamment l’Algérie et le Burkina Faso, estiment que « les mouvements rebelles composés de citoyens maliens ont des préoccupations légitimes dont il faut tenir compte dans un processus de règlement global de la crise ».
Cependant, les récents événements survenus en Mauritanie à travers l’attentat sur la personne du chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz et le rapt de travailleurs humanitaires au Niger peuvent contribuer à convaincre davantage ceux qui en doutaient encore, de l’extrême volatilité de la situation qui peut déborder à tout moment hors des frontières du Mali, d’où l’urgence absolue à trouver une solution, quelle qu’elle soit, au problème le plus vite que possible.
En la matière, c’est pour l’instant l’Union européenne qui semble avoir bien compris les menaces et les risques qui peuvent découler de l’inaction. Selon le président de sa Commission « il ne s’agit pas aujourd’hui que du Nord du Mali seulement, mais de la sécurité de toute l’Europe et celle du monde qui se trouvent menacées à partir de cette zone où sévissent des groupes terroristes et de djihadistes radicaux ». C’est pourquoi, l’UE a fait part de sa disponibilité totale à « soutenir et à appuyer toutes les initiatives de la Cédéao et de l’Union africaine pour une intervention militaire » qui pourrait être effective « dans quelques semaines » selon le ministre français de la défense, Jean-Yves le Drian.
En attendant, populations du Mali, prenons notre mal en patience, car le reste du monde s’occupe de nous, avec notamment la tenue à Bamako le 19 octobre dernier de cette importante réunion du Comité de suivi de la crise malienne dont on attend la mise en œuvre rapide des décisions.
En lieu et place des mots pour résoudre les grands maux qui les accablent depuis trop longtemps déjà, les populations piaffent d’impatience pour des actes concrets visant à une libération immédiate des régions occupées par ces violeurs, barbares, narcotrafiquants, terroristes et bandits illuminés.
En attendant, pour cette veille de Tabaski, dite fête des moutons, dont la date a été fixée officiellement au 26 octobre prochain, chacun s’y prépare à « sa manière ». La ville ne connait aucune effervescence particulière. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Car, ni les esprits, encore moins les poches ne sont véritablement « à la fête » en ces temps qui courent au Mali. Heureusement qu’il y en aura bien d’autres moments pour fêter une fois la paix, le bonheur et la joie de vivre retrouvés. Vivement donc une solution à la crise (ou aux crises) afin que la vie reprenne son cours normal !
Ibrahima Sidibé
L’ Indicateur Du Renouveau 22/10/2012