22 Septembre: Vous êtes à Bamako dans le cadre de la cérémonie de parachèvement de la signature de l’Accord de paix et de réconciliation au Mali. Quelle est votre appréciation de cet évènement?
Djibril Bassolé: J’ai une appréciation extrêmement positive de cet évènement. Je suis satisfait, à titre personnel, que les mouvements de la Coordination aient adhéré à ce document. L’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont je suis le Représentant spécial, avait entrepris des démarches auprès de ces mouvements pour qu’ils ne s’excluent pas du processus d’Alger.
La cause a été entendue. Récemment nous nous sommes retrouvés à Alger, pour fixer les modalités de la signature du 20 juin. Il est heureux que finalement tous les protagonistes l’aient signé. Nous pouvons maintenant nous tourner résolument vers l’avenir. La signature d’un accord de paix n’est jamais la fin d’un processus, bien au contraire, elle est le début d’un processus long de construction de la paix. Comme je l’ai dit quelques fois, il est plus facile de faire la guerre que de construire la paix.
Il faut très rapidement activer les mécanismes de suivi et de mise en œuvre. De ce point de vue, l’OCI va apporter sa contribution. Je me ferai le devoir d’appeler les pays membres du Groupe de contact pour le Mali de l’OCI, mais aussi les pays membres d’une manière générale, dans le cadre de la solidarité islamique, d’assister le Mali, le Gouvernement et les parties signataires.
Il faudra travailler sur les mesures de confiance, parce que la mise en œuvre d’un accord repose surtout sur la confiance que les parties tissent entre elles. Les gestes symboliques sont nécessaires. Le simple fait déjà de se retrouver ici, à Bamako, de se retrouver avec le Président IBK lui-même, d’être reçu en son Palais, je crois, prédispose les uns et les autres à fraterniser. Je pense que la paix, c’est aussi à ce prix.
En tant que Burkinabé ayant été impliqué dès les premiers moments pour la CEDEAO à ce processus de paix, j’essaierai de me rendre plus disponible pour contribuer à faire la paix, parce que la paix, ici au Mali, conditionne la paix dans la sous-région, au Sahel d’une manière générale, et au Burkina Faso.
Concrètement, comment votre organisation compte appuyer le Mali dans la mise en œuvre de l’Accord?
Je pense que l’OCI va s’intéresser au volet développement économique et social, à travers les organisations spécialisées comme la BID. Nous allons essayer d’aider la mise en œuvre du vaste programme de développement social et économique, en liaison bien sûr avec toutes les autres organisations et les Nations Unies qui ont des plans Sahel.
Projets de développement, c’est-à-dire les infrastructures routières?
Pas seulement. Il y a les infrastructures routières, parce qu’il va falloir désenclaver le Nord. Il y a aussi tous les programmes relatifs à l’approvisionnement en eau potable, les programmes sociaux, qui visent l’éducation, les programmes de santé, bref ce dont un pays pauvre a besoin pour lutter efficacement contre la pauvreté et éviter que les jeunes ne soient tentés par les aventures, ou s’enrôlent dans les mouvements terroristes et autres. Tous ces programmes seront soutenus.
En outre, vous savez que l’OCI a à cœur de lutter contre l’islamophobie, qui vient du fait que des actes terroristes ignobles sont perpétrés au nom de l’Islam. Il est nécessaire d’éradiquer ce phénomène, qui, s’il se développe dans la zone, pourrait donner une mauvaise perception de l’Islam. Ne serait-ce que pour cela, je pense qu’il y a matière à ce que l’OCI s’implique dans la coopération internationale qui aidera le Mali, non seulement à vaincre ces fléaux, le terrorisme et la criminalité transnationale, mais aussi à promouvoir le développement social et économique, qui, au fond, est le véritable rempart contre ces calamités.
Parlons maintenant de votre pays, le Burkina Faso. La transition est-elle sur de bons rails?
Pour l’instant oui! On souhaite maintenant qu’elle arrive à bon port. Mais, pour être franc avec vous, les mesures d’exclusion qui ont été prises par les organes de la transition me semble excessives, inappropriées et sources éventuelles de discordes. Donc, je compte sur la sagesse des autorités de la transition pour revenir sur ces textes et permettre que l’ensemble des Burkinabés qui sont en âge de voter puissent le faire et que tous ceux qui désirent se présenter comme candidats puissent le faire également. Bien sûr, dans les conditions requises par la Constitution.
Il n’est pas nécessaire, je trouve cela tout à fait superflu, de créer des textes taillés sur mesure, de cibler une catégorie de citoyens et d’exclure certains de la compétition électorale. Nous voulons que les élections soient réussies, que les élections soient un moment fort pour les Burkinabés, l’occasion de se retrouver, de se réconcilier, de compétir. Que le vaincu félicite le vainqueur et que tous nous puissions progresser ensemble.
Le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas été saisi?
Le Conseil constitutionnel ne sera saisi qu’au dépôt des candidatures. C’est à lui, sur la base des textes existants, de dire si telle candidature est retenue ou pas.
On ne peut pas le saisir pour savoir si cette loi est conforme à la Constitution ou pas?
Je pense qu’il y a eu des procédures dans ce sens, mais le Conseil constitutionnel a rejeté la requête pour vice de forme. Le problème n’est même pas juridique. Si vous voulez, pour moi, le problème est politique. Je voudrais que la volonté politique des Burkinabés de vivre ensemble, de travailler ensemble, de se réconcilier, de bâtir la nation ensemble l’emporte sur toutes les autres considérations.
Bien sûr, on reste dans les limites de la légalité, de la Constitution. C’est ce qui est le plus important. A supposer que le Conseil constitutionnel tranche en faveur ou en défaveur de tel ou tel groupe, je suis absolument sûr que les élections pourraient être contestées et pourraient être sources de discordes. Ce qui n’est visiblement pas bon pour la stabilité du Burkina Faso.
Malgré l’existence de cette loi, vous maintenez votre candidature?
Ma candidature est un processus. Vous savez que c’est un ensemble de personnes qui ont demandé ma candidature. Et, du coup, je me suis investi à consulter les acteurs de la classe politique pour pouvoir me présenter officiellement. Donc, c’est un processus politique qui est en cours.
Je souhaite que ce processus politique puisse aller à son terme, afin que je puisse déposer mes dossiers et compétir. Je n’arrêterai pas de moi-même si les conditions sont réunies. Et puis, entre nous, si c’est par rapport au soutien à la révision de l’article 37, je peux vous dire que j’ai des éléments qui prouvent bien que je n’ai jamais, jamais, été d’accord. Je n’ai jamais soutenu le processus de révision.
On a fait référence à cette interview de Christophe Boisbouvier, en 2011, où, très clairement, j’ai déconseillé que ce projet soit mis en œuvre. Donc, je ne me sens pas visé. Je ne suis pas le seul à avoir ce point de vue. Sous l’ancien régime, d’autres camarades l’ont fait, qui sont d’aujourd’hui ans les partis qui compétissent pour la présidentielle. Une discrimination peut poser problème. Donc, il faut qu’on ait la force, le courage, la lucidité de le dire, pour que la transition soit menée à bon port pour le plus grand bien des populations.
Vous n’avez pas peur du jeu politicien? Parce que vous avez une lecture, mais on peut en avoir une autre et dire que, puisque vous étiez proche de Blaise, vous êtes concerné.
Cela ne devrait pas suffire pour dire à un Burkinabé qu’il n’a pas le droit de se présenter aux élections. Vous voyez ce que je veux dire. Etre proche de Blaise, est-e que c’est un crime? Si des crimes sont reprochés à des personnes, que la procédure soit alors suivie. Que les personnes incriminées soient poursuivies, jugées et condamnées. Mais que leur inéligibilité soit constatée par un tribunal. Là, nous restons dans le cadre strict de la Constitution et des lois en vigueur.
Sinon, ce serait un procès d’intention. Si l’intention c’est de nommer le prochain Président du Faso, qu’on y aille. Qu’on le nomme. Que la transition le désigne et qu’on n’en parle plus. Mais, si nous voulons aller à des élections, alors conformons-nous aux normes traditionnellement en vigueur en matière d’élection, en particulier en matière d’éligibilité. C’est la démocratie. Tout le monde doit pouvoir être éligible.
Donc, vous êtes confiant?
Je suis confiant. Il est clair que le combat est à poursuivre. Celui de persuader l’ensemble des Burkinabés, y compris les organes de la transition, que l’exclusion est une très mauvaise piste. De la même manière que nous disions que la révision de l’article 37 allait être source d’instabilité, de la même manière, aujourd’hui, je dis que l’exclusion va être source d’instabilité.
Actuellement, la transition est dans une logique d’exclusion. Au cas où celle-ci se confirmerait, est-ce que vous avez un plan B?
Si ma candidature n’est pas retenue, je suis un politique, je continuerai ma lutte politique, pour faire prévaloir l’égalité, la justice et la démocratie, par les moyens légaux.
Parlez-nous un peu de votre candidature. Sur quoi se fonde-t-elle? Quelles sont les grandes lignes de votre projet de société pour les Burkinabés?
D’abord, il est important de préserver au Burkina un environnement de paix, de stabilité et de sécurité. Parce que le mouvement insurrectionnel, le changement brutal de régime, ne devrait pas avoir des conséquences fâcheuses pour notre équilibre, pour notre stabilité. Ensuite, il faut régler les contentieux de certains nombres de dossiers, qui probablement ont retenu l’attention de la grande majorité des Burkinabés comme étant des dossiers pas jugés ou mal jugés.
Je pense que, dans cet élan, il nous appartient de donner à la justice la force et les moyens nécessaires, l’indépendance qu’il faut, pour que tous ces dossiers puissent être jugés convenablement, à la satisfaction de tous. Egalement, la jeunesse était le fer de lance de cette insurrection. Elle a été probablement motivée par les dures conditions de vie qui sont les siennes. Nous devons avoir à l’esprit que cette jeunesse a besoin d’emplois. Elle a besoin de s’occuper utilement, d’avoir des perspectives d’avenir.
Je pense que ma candidature repose essentiellement sur ces trois axes. Evidement, nous pourrons, dans les détails d’un projet de société, apporter des précisions le moment venu. Parce qu’il est facile de dire création d’emplois, résorption du chômage, mais comment on le fait? Je pense que, le moment venu, je pourrai exposer aux Burkinabés, notamment aux jeunes, les pistes, comment je pense qu’on peut faire pour que les jeunes burkinabés aient plus d’emplois, se sentent plus intégrés dans le tissu de développement social et économique.
Avoir été proche de Blaise n’est pas gênant pour votre candidature?
J’ai travaillé pour mon pays, j’ai représenté mon pays, j’ai travaillé pour la sous-région, sous l’autorité du Président Compaoré. Je pense que le plus important pour tout dirigeant est d’avoir des hommes et de femmes qui travaillent pour le pays. C’est comme cela qu’il faut percevoir les choses.
Donc vous n’avez pas travaillé pour un homme ou un régime, mais pour votre pays?
Vous avez pu probablement apprécier ce que j’ai fait. Est-ce que c’est vraiment pour Blaise que je l’ai fait? Je l’ai fait aussi pour l’Afrique, pour la sous-région et pour mon pays. Je souhaite avoir l’occasion de continuer à œuvrer pour l’Afrique, pour la sous-région et pour mon pays.
En tout état de cause, il est sage de laisser les Burkinabés apprécier. «Tel a été proche de Blaise, nous n’en voulons pas, ou tel a été proche de Blaise, nous le préférons, ou encore tel n’est pas proche de Blaise, nous voterons pour lui». C’est le peuple qui doit faire un choix.
Il n’appartient pas à des instances, de manière arbitraire, de trancher, de dire un tel ira aux élections, un tel n’ira pas. Encore une fois, je le répète, l’article 37 est parti sur cette base et nous avons déconseillé le pouvoir en son temps. L’exclusion, si elle part sur les mêmes bases, je la déconseille également.
Merci Monsieur le ministre,
C’est moi qui vous remercie.
Propos recueillis par Chahana Takiou
Source: Le 22 Septembre 24/06/2015