Washington accueille cette semaine le 2ème Sommet entre les États-Unis et le continent africain. La précédente édition avait eu lieu il y a huit ans, autrement dit une éternité. Le défi pour les Américains, retrouver leur place face aux offensives russe et chinoise. Avec quels arguments ? Quels moyens ? L’analyse de Christopher Fomunyoh, directeur régional pour l’Afrique du think tank américain National Democratic Institute. Entretien.
TV5MONDE : Que faut-il attendre de ce 2ème sommet USA-Afrique ?
Christopher Fomunyoh, politologue, directeur régional pour l’Afrique du think tank américain National Democratic Institute : Compte tenu du temps écoulé depuis le premier sommet organisé en 2014 par Barack Obama, et compte-tenu de la cassure très nette de la politique américaine vis-à-vis de l’Afrique sous la présidence de Donald Trump, je pense que l’administration Biden veut renouer avec cette habitude et, surtout, envoyer un message fort aux Africains et à leurs leaders politiques : l’Afrique a du poids sur l’échiquier international des Etats-Unis.
Je pense également qu’on ne peut pas négliger la compétition d’influence qui se joue actuellement sur le continent africain. L’Afrique s’est ouverte à d’autres types de relations avec d’autres partenaires, et en cela, les anciens partenaires voient un intérêt au renforcement des relations.
TV5MONDE : Quand vous évoquez les nouveaux partenaires, vous faites référence évidemment à la Chine et à la Russie dont la présence sur le continent se fait de manière très concrète. De leur côté, que proposent les Américains ?
Christopher Fomunyoh : La Russie se positionne sur l’aspect sécuritaire, mais je ne peux pas à l’heure actuelle identifier des projets de développement financés par les Russes. Du côté de la Chine, on voit concrètement le développement d’infrastructures comme des routes ou des hôpitaux, mais leur approche en termes de transparence dans les transactions n’est pas très rassurante.
Pour la plupart, il s’agit de projets financés sur la base d’une importante dette extérieure, mais les populations et leurs représentants -notamment les députés- ne connaissent pas le contenu de ces contrats. Partant de là, à mon sens, le fait de mettre, dans ce sommet, l’accent sur les “valeurs partagées” et sachant que démocratie et bonne gouvernance sont des valeurs centrales pour les Américains, je suppose que toute assistance américaine sera portée par ces valeurs. Je pense à des investissements pour l’ouverture des plateformes de communication, l’accès à internet. Je suppose que les États-Unis seront attentifs à la participation des femmes et des jeunes. De quoi différenciers les approches américaines et celles d’autres partenaires du continent africain.
TV5MONDE : Convernant les valeurs, depuis l’an 2000, aux États-Unis, il existe une loi qui conditionne l’aide américaine à la question de la démocratie. Cette loi, baptisée AGOA (African growth and opportunity act, loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique) arrive à échéance en 2025. Sa reconduction est-elle sur la table ?
Christopher Fomunyoh : Cette loi a favorisé l’accès des produits africains au marché américain, qui est un marché à grande potentialité. Cela a permis de développer la production de certains biens exportables et, par conséquent, l’économie brute nationale dans un certain nombre de pays. J’ai eu, par exemple, l’occasion de rencontrer des Sénégalais qui, grâce à l’AGOA, ont pu créer un marché lié à la cuisine sénégalaise à New York et dans certaines grandes villes américaines.
Aujourd’hui, des milliers de personnes cultivent ces produits qui se retrouvent à un bon prix sur le marché américain. Leurs conditions de vie ont été améliorées par cet accès au marché américain. Il y a eu aussi des améliorations en matière de balance de paiement entre ce que ces pays africains ont pu exporter vers les États-Unis et ce qu’ils ont importé en provenance des Etats-Unis. Cette loi AGOA arrive à échéance en 2025 et la question du prolongement du dispositif aurait intérêt à être abordée à l’occasion de ce sommet.
TV5MONDE : Une cinquantaine de dirigeants africains ont fait le déplacement à Washington, c’est colossal. On peut parler de réussite diplomatique pour les Américains…
Christopher Fomunyoh : Tous les pays qui ne sont pas sous sanction de l’Union africaine ont été invités. Cela représente 49 États. C’est un succès évident même si l’on peut s’interroger sur la participation de certains chefs d’Etat dont les valeurs ne correspondent pas aux priorités définis par l’administration Biden.
TV5MONDE : Parmi les chefs d’Etat présents, on note le congolais Félix Tshisekedi et le Rwandais Paul Kagame. Si le premier a dû écourter son séjour pour cause d’inondations meurtrières à Kinshasa, leur présence simultanée au même endroit, ce que n’avait pas réussi le Sommet de la francophonie à Djerba, est un bel exploit diplomatique. Faut-il s’attendre à des avancées ?
Christopher Fomunyoh : Lorsque des dirigeants se réunissent quelque part, il y a l’agenda officiel connu du tous, mais il y a aussi des appartés et des conversations dans les couloirs. Je me souviens que lors de son dernier déplacement sur le continent africain, le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken s’était rendu à Kinshasa puis à Kigali. Je ne serais donc pas surpris si, en arrière-plan, le Sommet de Washington était l’occasion pour les deux présidents de s’entretenir pour baisser la tonalité de leurs échanges et œuvrer pour la paix dans la zone des Grands Lacs.
Source: tv5monde