Le Sahara, les populations africaines ne l’ignorent pas, était à l’époque le seul réservoir de matières premières disponible dans le monde. Et il se fait, par un étrange hasard, que cet ultime réservoir est le complément des industries européennes qui, alors, souffraient du manque de ces mêmes matières premières ou, tout au moins, de ne pouvoir se les procurer à des prix compétitifs. L’exploitation des richesses du Sahara, pour la France, c’est l’espoir d’un redressement économique, une promesse d’autonomie en matière de carburant, l’équilibre à plus ou moins brève échéance de sa balance commerciale, indiquait le Sénateur.
Il a aussi affirmé que la presse parlait de négociations entre Français et Américain en vue d’un partage à l’amiable dans l’exploitation du Sahara. Face à cette situation, il a exprimé l’inquiétude de l’opinion soudanaise.
« La perte du contrôle de l’exploitation signifierait évidemment l’éviction de la France de tous les Territoires d’Afrique- donc la fin de la communauté franco-africaine avec tout ce que cette éventualité comporterait de menaces pour la liberté des populations africaines. La perte du contrôle et de la défense du Territoire saharien ferait de celui-ci un objectif militaire international de toute première importance sur lequel se concentrerait rapidement l’attention des grandes puissances qui s’affrontent et se mesurent sur tous les terrains où il leur est donné de se rencontrer», prophétisait Haïdara. Aujourd’hui, c’est exactement ce qui se passe sur le terrain. Suite à la méfiance de la Première République vis-à-vis de la France, les puissances occidentales ont, dès l’aube de l’indépendance du Mali orchestré sa déstabilisation. De 1963 à nos jours, le nord du Mali a toujours été le théâtre des opérations militaires. Avant la phase d’exploitation des richesses de notre sous-sol, les armées des grandes puissances se rivalisent dans le septentrion malien.
Fédération franco-Nord-africaine
Le délégué du Soudan poursuivra que ces graves problèmes militaires ne doivent pas faire oublier l’objectif essentiel de l’organisation comme des Régions Sahariennes qui est la mise en valeur du Sahara et l’élévation du niveau de vie des populations.
Dans ce domaine, les Territoires de l’Afrique Noire n’entendent pas être traités en parents pauvres. Pour les uns, expliquait-il, le souci de sauvegarder les richesses du désert est la justification de l’effort militaire français en Algérie, et ces richesses sont le moyen qui permettra demain de transfigurer économiquement l’Algérie. Pour d’autres, le Sahara est le lieu autour duquel peut se rassembler une fédération franco-Nord-africaine. Que devient l’Afrique Noire au milieu de tous ces projets, s’interrogeait-il ?
«Que les productions des régions d’Hassi Messaoud et de Colomb-Béchar, par exemple, trouvent leur écoulement naturel vers la côte méditerranéenne, nul ne songe à le contester.
Que l’on cherche à élever le niveau de vie des populations d’Algérie, fût-ce dans un but politique, nous y applaudissons. Que le Maroc et la Tunisie soient appelés eux aussi à tirer profit de l’exploitation des ressources minérales du désert, nous nous en félicitons.
Mais l’Afrique Noire ne doit pas passer au second plan. Est-il besoin de préciser ce qu’il y aurait d’immoral et aussi de dangereux à accorder à la revendication armée ce que l’on aurait refusé au loyalisme ? »
A ce forum, le délégué du Soudan avisera qu’il y a deux fautes que l’Organisation devrait absolument éviter de commettre. Il s’agissait du Transfer à l’Organisation des attributions des autorités territoriales. Or, se plaint M. Haïdara, les mesures prises depuis le vote de la loi du 10 Janvier 1957, loi beaucoup trop imprécise sur de nombreux points, laisse à l’élaboration d’un statut destiné en fait à régir un territoire autonome. C’est ainsi que les décrets du 21 Juin 1957 fixant les pouvoirs du Ministre du Sahara et lui déléguant, dans les limites de l’Organisation commune des Régions Sahariennes, les pouvoirs antérieurement exercés par les hauts-commissaires et les Gouverneurs de l’A.O.F. et de l’A.E.F renforçant cette impression, ont suscité chez les Soudanais de légitimes inquiétudes, soutiendra-t-il.
Exclusion
«Le soudan, ainsi que les autres territoires intéressés, nous en sommes persuadés, entend conserver, administrativement et politiquement, toutes les prérogatives qui lui ont été garanties par la Loi-cadre sur l’ensemble de son Territoire, y compris les parcelles incluses dans les limites de l’organisation commune. Le régime d’exception qui sera promulgué devra simplement se superposer à la loi commune- et ce, exclusivement pour les questions d’intérêt économique touchant directement la mise en valeur du périmètre saharien- ainsi que cela a été précisé lors des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi du 10 janvier 1957.
Les décrets du 21 juin 1957 ne peuvent tendre à la création d’une collectivité nouvelle et à l’abandon par le Soudan d’une portion quelconque de son territoire.
Une seconde erreur-qui ne serait d’ailleurs qu’un moyen au service de la première-consisterait à faire naître des rivalités entre les différents éléments ethniques de nos populations». Voilà qu’il était bien averti ! Cette rivalité ethnique est bien perceptible dans la composition du principal mouvement rebelle. Même si tous les Touaregs ou tous les Arabes ne sont pas rebelles, force est de reconnaître que le Mnla est composé majoritairement de Touaregs.
Dans son intervention, le Délégué du Soudan avait émis des inquiétudes au sujet de certains projets instruits par le ministre du Sahara qui ont éveillé au Soudan une légitime émotion. Ces projets tendraient à inclure dans la zone de recherche et d’exploitation uniquement les territoires habités par les populations nomades et à en exclure systématiquement toutes les populations sédentaires, quelque soit l’emplacement de leurs villages.
«Une telle éventualité nous parait inacceptable. Car nous ne saurions, en aucun cas, admettre que les limites de la zone où s’exercera l’influence de l’organisation commune, dont les habitants bénéficieront ultérieurement de régimes spéciaux, soient fixées uniquement en fonction de considérations raciales», s’opposera Haïdara.
Le tracé devra être étudié, le Soudan y attache le plus grand prix, compte tenu essentiellement de la topographie des lieux, de la nature des terrains et des espérances qu’ils renferment. « Nomade à peau blanche, sédentaires de race noire, Soudanais les uns et les autres, doivent indifféremment être appelés, en tant que tels, à bénéficier des avantages que pourra éventuellement procurer l’inclusion dans le périmètre de l’organisation commune.
S’il en était autrement, le soudan verrait se diviser des populations» prévenait le Sénateur.
Malgré ces alertes, une campagne d’agitation malsaine orchestrée par la France a continué. Aujourd’hui, il y a, en fait, presque qu’une rupture entre sédentaires et nomades originaires des régions du nord et par ricochet les populations du sud.
D’accord en accord, le problème du nord a été déplacé
A l’époque, Mahamane Haïdara conseillait les Français à ne pas laisser ce danger prospérer si nous voulons éviter l’établissement d’un état d’anarchie au Nord-Soudan, actuel nord du Mali. Malheureusement il n’a pas été suivi par les autorités françaises accusées à tort où à raison d’être les instigateurs de ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Il s’agit de la prétention de la création de la fantomatique Etat de l’Azawad. Une zone devenue le nid des terroristes et de toutes sortes de pratiques inhumaines.
Rappelons qu’hier comme aujourd’hui, la souveraineté et l’intégrité du Mali ont été toujours menacées. En 1958, le représentant de notre pays disait : « pour les diverses raisons que nous avons soulignées plus haut, considérant que l’indépendance politique et l’intégrité de notre Territoire ne sont pas suffisamment protégées par les textes édictés jusqu’à ce jour, le Soudan tient à réserver son accord quant au tracé des limites du périmètre saharien. Il nous apparaît donc que la loi du 10 janvier 1957 doit être aménagée pour renforcer le caractère d’organisme de coopération de l’organisation commune des régions sahariennes». Une fois de plus, il n’a pas été écouté. D’accord en accord, on a fait que déplacer les problèmes de la crise malienne. Le dernier en date qui sera probablement signé ce vendredi 15 mai a divisé les Maliens. En plus, il fera l’objet d’une signature unilatérale car, l’autre partie qui sème la terreur au nord du pays refuse d’adhérer à une éventuelle restauration de paix.
Oumar KONATE
Le Prétoire 12/05/2015