Faire une analyse des résultats me paraît très risqué, donc bravo à tous ceux qui s’y sont essayé à cet exercice des plus périlleux. En effet, comment faire une analyse des résultats d’une élection qui, de toute évidence, ne peut être considérée comme une élection normale en temps normal ?
L’insécurité résiduelle, le nuage qui couvre le fichier électoral, la stratégie de distribution des cartes d’électeurs, sont autant de facteurs extérieurs qui ont beaucoup joué sur le déroulement de l’élection du 29 juillet passé. Ces facteurs, quoique n’étant pas quantifiables pour être pris en compte, m’amènent aux constats suivants.
Premier facteur favorisant le président candidat : son avance sur les autres pour la campagne : depuis belle lurette, IBK et ses ministres étaient en campagne, avec les moyens de l’Etat. Pour la première fois, on a constaté la multiplication des clubs de soutien de la majorité des ministres, et à visage découvert, à la candidature de IBK.
Deuxième facteur favorisant IBK : la complicité, j’allais dire le soutien découvert des médias publics, de la Haute Autorité de la Communication. Troisième facteur favorisant IBK : la distribution de faveurs et de promesses aux collectivités et aux syndicats : à près de deux mois de l’élection, IBK a accepté des statuts particuliers des fonctionnaires de l’administration, a accepté l’opérationnalisation de quelques régions nouvellement créées. Ces régions rendues opérationnelles précipitamment à la veille de l’élection, et pas des moindres en termes d’électeurs, comme Bougouni, Koutiala, j’en passe, en dit long sur la véritable intention du président candidat. Il a admis, à titre exceptionnel, des citoyens comme des fonctionnaires de l’Etat. Allez savoir pourquoi cette précipitation à moins d’une semaine de l’élection.
Quatrième facteur favorisant IBK : la nomination et/ou le remplacement de centaines de Préfets. Tout le monde est servi : les militaires ont eu leurs avions de combats, les populations des rails ont été informées en catimini de l’acquisition de quatre locomotives fabriquées en Afrique du sud et du paiement de six mois de salaire aux cheminots. Quand on prend en compte ne serait-ce que ces facteurs, il est aisé de comprendre que IBK, qu’il vente ou qu’il pleuve, devrait gagner dès le premier tour. Donc les 41% d’IBK me paraissent plus un échec qu’une victoire. Si en 2013, il a été élu sur la base de promesse, 2018, il aurait dû être élu sur la base de ses efforts, mais hélas, je suis sûr qu’il rumine sa défaite d’être contraint à aller à un second tour.
Le challenger d’IBK, c’est-à-dire Soumaïla Cissé, n’a pas à se plaindre de son score avec la participation, quand on regarde les scores de Cheick Modibo Diarra (CMD) et d’Aliou B Diallo (ABD), arrivés en 4ème et 3ème position. Pour tous les apprentis sorciers experts en élection, ces deux et surtout Aliou B Diallo, allaient piocher dans l’électorat de Soumaïla. C’est ce qui explique d’ailleurs les bons scores de CMD et ABD. Pas de doute sur l’influence des religieux sur le bon score d’ABD qui est le seul candidat qui a été adoubé par un chef religieux. Quant à CMD, je suis d’accord qu’il a surfé sur l’implantation de Mara dans l’électorat malien. S’il y a un gagnant de ce premier tour, c’est bien Mara, qui a compris qu’il ne sert à rien de courir il faut partir à point. Il va falloir compter avec lui en 2023.
Pour finir, je reste sur ma ligne d’avant le 29 juillet, l‘’élection présidentielle du 29 juillet dernier, a confirmé ce que nous avions craint : une élection au rabais qui pourrait enlever toute légitimité au futur président. Moins de 3 millions de Maliens aux urnes sur 8 millions inscrits sur 18 millions d’habitants. Près de 200 000 votes nuls. Parmi les 3 millions d’électeurs qui ont fait le déplacement, combien ont-ils voté sur la base du programme de leur candidat ? Finalement sommes-nous obligés de donner raison à Jacques Chirac quand il disait avec fracas que la démocratie est un luxe pour l’Afrique ?
Avec la misère au quotidien, l’illettrisme, cette démocratie que nous avions voulue en 1991 au Mali, ne bénéficie jusque-là, qu’à notre minorité visible dirigeante et élitiste. La majorité silencieuse, le bétail électoral peut continuer de ramasser les peccadilles de la démocratie, distribuées çà et là pendant les périodes de vote. Les dirigeants élus dans des conditions, comme celles du 29 juillet dernier, n’auront de compte à rendre à personne, parce que les politiques publiques qui auraient dû influencer leur vote n’ont jamais existé. Ainsi va le Mali aussi longtemps que cette minorité élitiste continuera de se servir. Ahmadou Kourouma ne m’en voudra pas de lui dire qu’en attendant le vote des bêtes sauvages, le 12 août prochain, la brousse africaine continue de brûler au gré de la direction du vent.
Yachim MAIGA
Kinshasa, République Démocratique du Congo