Dans son rapport annuel paru mardi, le collectif Human Rights Observers assure avoir recensé l’an dernier 1 226 expulsions de campements de migrants pour la seule ville de Calais, dans le nord de la France, soit une moyenne de 25 démantèlements par semaine. Un chiffre qui illustre l’échec des politiques visant à empêcher les formations de camps et les fameux « points de fixation ».
Chaque jour ou presque, les humanitaires de Calais assistent, impuissants, aux mêmes scènes. Quatre à sept cars de gendarmes ou de CRS et des camions de la Police aux frontières (PAF) débarquent dans les camps de migrants pour y déloger leurs habitants. À côté des forces de l’ordre, se tiennent des membres d’une entreprise privée de nettoyage (APC) et des interprètes mandatés par la préfecture.
Dans son rapport annuel paru mardi 7 juin, le collectif Human Rights Observers (HRO) affirme avoir dénombré l’an dernier à Calais pas moins de 1 226 expulsions de lieux de vie informels – contre 61 dans la ville voisine de Grande-Synthe. Les camps de migrants de Calais, dans le nord de la France, sont ainsi évacués une centaine de fois environ par mois, ou encore une vingtaine de fois par semaine.
Près de 3 000 sacs de couchage ou couvertures saisis
Et à chaque fois, c’est le même mode opératoire. Les forces de l’ordre arrivent équipées de tonfas (sorte de matraque en bois), gaz lacrymogène, armes à feu, parfois LBD, et sont protégées de gilets pare-balles et de boucliers. Elles installent un cordon de sécurité autour du campement, réveillent les exilés et « contraignent les personnes présentes à quitter leur espace de vie », indique HRO.
La société de nettoyage suit les policiers et procède à la saisie des affaires des migrants, qu’ils soient présents ou non. Tout y passe : tentes, couvertures, bâches, voire sacs à dos pouvant contenir des documents d’identité, de l’argent ou encore des téléphones portables.
En fin d’année dernière, pourtant, les autorités avaient affirmé que les exilés auraient dorénavant du temps pour récupérer leurs affaires avant une évacuation. Mais HRO estime avoir recueilli « suffisamment de preuves » pour affirmer le contraire. « Les forces de l’ordre ne laissent presque jamais le temps aux personnes expulsées d’emporter leurs affaires », assure le collectif, qui déplore que « ce rythme effréné de vol et de destructions de bien joue sur le stock des associations (…) et précarise davantage » les migrants.En 2021, 2 833 sacs de couchage ou couvertures ont été saisis lors de ces opérations, selon HRO, et au moins 640 sacs.
Ces objets sont ensuite envoyés dans un hangar rue des Huttes où les migrants peuvent se présenter spontanément (entre 13h et 16h). « Ce dispositif inédit » vanté par les autorités lors de son ouverture en janvier dernier est largement critiqué par les associations.
Les sacs à dos, les téléphones ou les papiers d’identité sont restitués aux migrants qui parviennent à justifier qu’il s’agit bien de leurs effets personnels. Mais les tentes, les couvertures, les bâches ou les vêtements sont donnés au premier venu, sans que ces affaires ne soient nominatives. Pour la simple et bonne raison qu’il est « impossible de nommer le premier propriétaire », avait précisé à l’époque François Cordier, président de l’association Face Valo, mandatée par l’État pour gérer les lieux. Résultat, d’après les humanitaires : peu de personnes se rendent dans la structure.
Seulement 1,2% des expulsions suivies de « mise à l’abri »
Par ailleurs, HRO remarque que les évacuations de camps ne débouchent généralement sur aucune prise en charge des personnes concernées. En 2021, seulement 1,2% des expulsions ont été suivies de « mise à l’abri » effective. La plupart du temps, les migrants se retrouvent à la rue, sans leurs affaires personnelles donc. « Aucune solution d’hébergement ni de relogement n’est proposée », signalent les humanitaires dans leur rapport.
Et lorsque c’est le cas, les exilés sont « forcés à monter dans des cars », qui les emmèneront vers des centres d’accueil situés à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière. S’ils refusent, ils prennent le risque d’être arrêtés et placés en centre de rétention administrative (CRA).Les migrants, qui restent dans la région dans l’espoir d’atteindre l’Angleterre, tentent donc de regagner leur lieu de vie quelques heures ou quelques jours plus tard. Si celui-ci n’a pas été rendu impraticable par les autorités.
Depuis plusieurs années, la mairie de Calais rivalise d’idées pour empêcher la reformation de campements. Fin septembre, l’édile Natacha Bouchart a fait déboiser un terrain de 44 hectares où vivaient 800 exilés. Une stratégie de dissuasion déjà utilisée en 2020 sur un autre site.
La ville de Coquelle, collée à Calais, a également posé des rochers pour éviter que des migrants ne viennent se réinstaller. Natacha Bouchart avait fait de même en décembre 2020 à Fort Nieulay, sur une zone occupée par les associations allant à la rencontre des exilés.
Une autre technique utilisée par la ville de Calais a consisté à installer des arceaux de vélos sur un ancien camp, ou à ériger des grilles autour de terrains en friches transformés en lieux de vie informels.
Autant de pratiques qui participent au « harcèlement » permanent que subissent les exilés dans le nord de la France, insistent les associations. Dans son rapport, HRO dénonce une logique sécuritaire et non humanitaire dans la manière dont les autorités traitent les migrants. « Les forces de l’ordre ne sont pas utilisées dans un objectif de protection mais pour exécuter et encadrer un harcèlement pensé et organisé par les dirigeants français », écrivent les militants.
Cette politique migratoire menée depuis des années prône l’absence de « points de fixation » et essaye par tous les moyens d’éviter la (re)formation de campements. Le rapport de HRO montre que cette vision est vouée à l’échec et ne produit pas le résultat escompté par les autorités.
Leslie Carretero
Source: Infomigrants